Publié le Mercredi 27 avril 2022 à 18h00.

Russie/Ukraine : « Il ne faut pas confondre le consensus actuel en Russie avec une situation politique stable »

Extraits d’un entretien accordé à spectrejournal.com par Ilya Budraitskis, historien et militant de la gauche radicale russe1.

L’état de l’opinion a changé depuis le début de la guerre. Dans les premiers jours, la plupart des gens étaient très désorientés par la guerre. La division et la confusion dominaient car il n’y avait pas eu de consensus construit à l’avance quant à la façon dont les gens devaient réagir.

Malgré le fait que les mobilisations contre la guerre n’ont pas été massives, elles ont été visibles et ont eu un impact. Des milliers de personnes ont participé à des manifestations dans tout le pays. Mais elles ont été durement réprimées.

Un apparent consensus de soutien à la guerre

Il semble maintenant qu’un nouveau consensus de soutien à la guerre se soit développé. C’est ce qu’indiquent les enquêtes d’opinion. Bien sûr, on ne peut pas leur faire confiance, mais il semble que la majorité de la population accepte la propagande du régime de Poutine. Il reste une minorité de la population, peut-être 20 à 30 %, qui s’oppose fermement à la guerre.

Je pense que le soutien à la guerre s’explique en partie par une prédisposition psychologique à croire à la propagande de l’État. Les gens se retrouvent dans une situation totalement inattendue, à laquelle ils n’étaient pas préparés, et ils optent donc pour la manière la plus confortable de la comprendre, c’est-à-dire accepter ce que dit le gouvernement plutôt que d’adopter une position radicale d’opposition.

Ils croient également à l’affirmation du gouvernement selon laquelle la guerre sera bientôt terminée et que les choses reviendront à la normale. C’est une illusion rassurante. Qui sait comment ils réagiront lorsqu’ils réaliseront que rien ne sera plus jamais comme avant en Russie ?

Le consensus actuel pourrait prendre une tournure dramatique dans les mois à venir. L’impact des sanctions est grave. Des centaines de milliers de travailleurEs ont perdu leur emploi. Les jeunes des grandes villes, qui étaient employés par des sociétés transnationales qui ont fermé leurs portes, se retrouvent soudainement sans emploi. Les travailleurEs industriels des entreprises automobiles transnationales comme Volkswagen ont perdu leur emploi.

L’inflation a également augmenté de façon spectaculaire. Elle a eu un impact différentiel sur les différentes classes et fractions de classes du pays. Avant la guerre, les inégalités sociales étaient très fortes dans les grandes villes et entre les régions. Les pauvres du pays s’étaient habitués à survivre avec le strict minimum. Pour eux, l’inflation aggravera leur pauvreté, mais elle n’introduira pas de conditions radicalement nouvelles.

Les classes moyennes, en revanche, se sont retrouvées dans une situation entièrement nouvelle. Elles ne peuvent plus se permettre de vivre comme elles en avaient l’habitude. Cela déstabilisera leur vision politique du monde, d’autant plus que la nature à long terme de la crise économique leur apparaît clairement. Ainsi, il ne faut pas confondre le consensus actuel avec une situation politique stable.

Le mouvement antiguerre dans le viseur

Le mouvement antiguerre a été immédiatement confronté à la répression. Le gouvernement a agi rapidement pour le détruire. Dans la première semaine de la guerre, la police a arrêté quelque 15 000 personnes. Ils les ont détenues jusqu’à vingt jours. Ils les ont obligé à payer des amendes assez élevées.

Le gouvernement a ciblé les étudiantEs en particulier. Il a obligé les universités à sanctionner les étudiantEs qui participaient aux manifestations. Il est allé jusqu’à expulser certains d’entre eux.

Il a fermé tous les médias indépendants. Ils ont détenu et condamné à une amende le journaliste qui avait protesté au journal télévisé du soir. Ils se sont même attaqués à des personnes qui avaient simplement publié des messages sur les réseaux sociaux. Certains d’entre eux ont été placés en détention.

Si le gouvernement a été si brutal, c’est parce qu’il ne voulait pas que le mouvement antiguerre touche l’ensemble de la population. Malheureusement, pour l’instant, ils ont réussi à réprimer et à isoler l’opposition à la guerre.