Quatre mois après le début du soulèvement populaire qui a abouti à la chute d’al-Béchir, les SoudanaisES semblent progresser vers une transition politique négociée comme aucune autre révolution arabe n’avait réussi à le réaliser ces dernières années.
À l’issue d’une rencontre samedi 27 avril entre la Coalition pour la liberté et le changement et le Conseil militaire, un accord a été conclu pour la formation d’un « Conseil de souveraineté conjoint » chargé de diriger dans la prochaine période. Quelques minutes après, le Conseil militaire a annoncé la démission de trois de ses membres, des lieutenants-généraux impliqués dans la répression qui a causé la mort de dizaines de manifestants ces dernières semaines. L’Association des professionnels soudanais avait exigé qu’ils soient écartés du pouvoir et traduits en justice.
D’autres mesures ont été prises, telles le gel de comptes bancaires de membres du gouvernement d’al-Béchir et de membres importants du National Congress Party.
Un conseil de compromis
Ce Conseil conjoint, qui remplacerait le Conseil militaire, constituerait l’autorité suprême du pays et serait chargé de former un nouveau gouvernement civil de transition pour gérer les affaires courantes et ouvrir la voie aux premières élections post-Béchir.
Des négociations sont en cours pour déterminer quel pourcentage du Conseil sera dévolu aux civils et combien aux militaires. Reste également à négocier le nombre des membres du Conseil, les compétences attribuées à chacun et enfin le choix crucial de celui qui incarnera la présidence du Conseil.
Il s’agit bien entendu d’un compromis entre l’armée qui voudrait garder la main sur le pouvoir, et l’opposition qui exige qu’elle passe la main aux civils. La question demeure, s’agira-t-il d’un futur gouvernement majoritairement civil ou bien d’un Conseil militaire à l’apparence civile ?
Craintes de l’opposition
Après l’annonce de l’accord avec le Conseil militaire, les responsables de la contestation ont appelé les manifestantEs à rester mobilisés pour maintenir la pression. De nombreuses voix s’élèvent pour exiger que la totalité du pouvoir soit transférée aux civils, l’opposition craignant à raison une mainmise des militaires sur l’exécutif.
Les relations étroites que le Conseil militaire entretient avec l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats sont également source d’inquiétude. Les protestataires craignent en outre une intervention des pétromonarchies dans leurs affaires nationales. Les Émirats ont annoncé qu’ils allaient déposer 250 millions de dollars à la Banque centrale du Soudan, rapidement suivis par l’Arabie saoudite. Ces annonces ont été reçues sèchement par des manifestantEs scandant « Nous ne voulons pas de l’aide de l’Arabie saoudite, même si l’on ne doit manger que des fèves ou des falafels. » On se souviendra que l’armée soudanaise intervient depuis 2015 militairement au Yémen au côté de l’Arabie saoudite…
Équilibre incertain
Le Soudan est confronté à une grave crise économique, avec notamment une pénurie de devises étrangères et une forte inflation, après avoir perdu les trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011. Cette quasi-faillite de l’économie est un terrain fertile aux tentatives de déstabilisation extérieure.
Si la chute d’al-Béchir et les reculs du Conseil militaire, forcé de composer avec les civils constituent des développements extrêmement positifs, il faudra mesurer dans les prochains jours jusqu’à quel point le régime militaire assure un maintien d’un statut quo et conserve le contrôle de la situation via l’État profond, les milices et l’appareil sécuritaire. L’équilibre du pouvoir reste incertain et, si la pression populaire ne se poursuit pas, un maintien d’une dictature militaire semblable à la situation précédente est un scénario tout à fait envisageable.
Romain Prunier