Publié le Vendredi 6 mars 2020 à 13h48.

Spectaculaire rassemblement de Perpignan, la combativité indépendantiste de la Catalogne sud est toujours bien là !

Cela fait des mois, deux ans même, qu’ici ou là se pose la lancinante question de la défaite historique subie par l’indépendantisme catalan suite au référendum d’autodétermination du 1 er octobre 2017. Pourtant le constant succès populaire des Diadas (fête nationale) ou la puissante mobilisation beaucoup, plus « tumultueuse », pour riposter en octobre dernier aux lourdes condamnations des emprisonnés politiques auraient dû lever les doutes : il n’y a, à l’heure actuelle, aucun mouvement populaire dans l’Union Européenne, capable de mobiliser à ces échelles. L’impressionnante foule rassemblée ce samedi 29 février au Parc des Expositions de Perpignan, entre 150 000 et 200 000 personnes, venues principalement de toute la Catalogne Sud en bus (500, une centaine se retrouvant bloquées par la garde Civile à la frontière), voitures individuelles (12 000), camping-cars (400) et motos (250), a confirmé cette exceptionnelle disponibilité, malgré les vents mauvais de la répression, à se mobiliser pour, en premier lieu, démentir les pythies pressées d’enterrer ce qui, opérant un repli tactique obligé, n’en déstabilise pas moins toujours l’ordre en place. Il faut bien s’y faire, il y a, au nord-est de l’Etat espagnol, un mouvement populaire qui, certes, n’élude pas l’échec et la déception qu’il a subis en 2017, qui même en éprouve les douloureuses conséquences, mais qui maintient le cap déterminé… de l’autodétermination et du soutien à l’indépendantisme en tant qu’il est considéré, malgré les vicissitudes de la lutte, la seule option crédible pour porter cette revendication du droit de décider, celle de la pleine démocratie.

 

Ferveur indépendantiste

Le bouclage précoce de l’enceinte du Parc des Expositions par mesure de sécurité devant l’afflux des participants, avec des milliers de personnes, esteladas au vent comme à l’intérieur, se massant tout autour, est l’expression la plus exacte et émouvante d’un tranquille débordement populaire ayant surpris les organisateurs et jusqu’aux espagnolistes les plus endurcis. Témoin, Santiago Abascal, le grand chef des néofascistes de Vox, reconnaissant, accablé, dans un tweet crépusculaire, « Soyons réalistes, ils sont en train de gagner » avant de se ressaisir in extremis mais façon Coué guerrier « Soyons fermes, ils ne vaincront jamais »1 menée par JxC au détriment d’ERC et d’eux-mêmes, en aura probablement surpris plus d’un dans la capitale nord-catalane. Il est même à craindre que cet abstentionnisme n’ait suscité l’incompréhension et ne soit passé à côté de l’importance qu’une forte parole anticapitaliste fasse entendre, devant les dizaines de milliers de présents, l’urgence de sortir des faux-fuyants et autres beaux discours indépendantistes de l’exil ne donnant aucun indice qu’ils envisagent de se défaire sérieusement des opportunismes, voire des incohérences politiciennes, de l’indépendantisme, tous grands partis confondus, de l’intérieur. Une parole posant clairement que, sans auto-organisation populaire, il n’y a, comme cela se confirme tous les jours en Catalogne, que des déboires à attendre d’institutionnels portés quasi naturellement à s’auto-reproduire dans la reconduction de leur adaptation au système qu’ils disent pourtant combattre. Et cela pour le plus grand profit d’un espagnolisme fort de la faiblesse et de l’inconséquence de ses adversaires aussi radicaux qu’ils se proclament.  

Perpignan restera un grand moment de la mobilisation populaire catalane mais un moment politiquement incertain car il laisse entière la question des moyens de sortir ce mouvement national du labyrinthe dans lequel il est toujours piégé par ses représentants les plus en vue.

  • 1. https://www.elnacional.c…] !

    La ferveur populaire, à peine égratignée par la piteuse petite dizaine d’espagnolistes venus agiter leur drapeau « rojigualda » (avec les bandes sang et or héritées du franquisme, rien à voir avec les barres de la senyera catalane) et vite exflitrés par la police, s’est alimentée à l’écoute des discours des divers orateurs : ceux, bien sûr, du célèbre trio des députés européens exilés revenant au plus près de leur « pays » en signe ouvert de défi démocratique à l’Espagne liberticide qui, en piétinant la sentence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), leur interdit encore d’y séjourner sans autre forme de procès si ce n’est celui qui immanquablement les ferait être embastillés s’ils s’avisaient de s’aventurer au-delà de la frontière. Mais aussi les discours en direct ou enregistrés exprimant ou évoquant la grande diversité des sensibilités du mouvement indépendantiste, depuis celle du libertaire chanteur de rap Valtònyc, exilé aussi et qui vient de bénéficier ce lundi 2 mars d’un refus d’extradition par la même CJUE, ou celles des CDR (Comités de Défense de la République) Adriá Carrasco (en exil) et Tamara Carrasco, longtemps recluse sur ordre judiciaire dans son village, jusqu’à celle du plus célèbre des prisonniers politiques, le républicain de gauche modéré Oriol Junqueras, ex vice-président de Carles Puigdemont.

     

    Le sens politique de cette mobilisation

    Mais justement, par-delà le magnifique élan populaire dont Perpignan a été le lieu, quelle a été la portée politique de l’événement ? Tous les principaux médias espagnols et catalans, basques, etc. ou internationaux ont insisté sur la radicalité des positionnements exprimés par les trois eurodéputé.e.s en fort contraste avec celui dudit Oriol Junqueras cherchant, comme fait son parti, ERC (Esquerra Republicana de Catalunya, Gauche Républicaine de Catalogne), à marier le feu de la revendication indépendantiste avec l’eau, tiède, des négociations qu’il défend bec et ongles avec le gouvernement « progressiste » dont tous les signaux qu’il émet indiquent pourtant qu’il reste opposé à toute idée d’autodétermination et, plus encore, à la possibilité que s’y inscrive l’option indépendantiste. Tout au plus pourraient être concédées, mais jamais clairement énoncées, des réductions de peine pour les prisonniers politiques et des mesures améliorant l’ordinaire de l’autonomisme existant ! Les quelques sifflets et huées du public qui ont accompagné ce passage du discours renregistré du dirigeant républicain en disent assez sur la division qui traverse le mouvement indépendantiste. 

    Les discours prononcés par les eurodéputé.e.s permettent de cerner quelque peu ce qu’il en est de cette division : tous trois membres ou proches de Junts per Cat (JxC, droite modérée), ils ont en commun de défendre l’idée que l’indépendance républicaine est incontournable, nécessaire, pour que la démocratie se concrétise mais deux d’entre eux n’ont pas usé des mêmes mots pour l’exprimer. Ainsi Clara Ponsatí a surpris par la paradoxalement tranquille intonation avec laquelle elle a invoqué, pour leur rendre hommage, tous les acteurs de la révolte catalane, y compris les plus activistes et moins institutionnels comme les CDR qui bloquent tous les jours, sans exception, depuis l’annonce des condamnations des prisonniers politiques, la grande avenue barcelonaise de la Meridiana ou encore les jeunes de la place Urquinaona qui se sont affrontés physiquement aux policiers dont il est, tout de même, oublié de dire qu’ils n’étaient pas seulement espagnols  mais aussi catalans, des Mossos de Esquadra aux ordres du conseller (ministre) de l’Intérieur du Govern (Gouvernement catalan) présidé par un très proche de Carles Puigdemont ! Pour faire bonne mesure, elle a aussi très vivement mis en garde contre les illusions semées par les partisans (sous-entendu les indépendantistes d’ERC) des négociations engagées avec le Gouvernement central. En revanche l’ancien président de la Généralité s’est, lui, gardé de se prononcer sur ce sujet épineux qui divise l’indépendantisme et est resté plus imprécis sur les données concrètes des orientations mises en œuvre, dans la division, en Catalogne même par celui-ci. Comme en compensation il a insisté sur l’urgence qu’il y avait à enfin œuvrer, en évitant les erreurs commises par le passé, à la structuration, dans une unité faite de diversité, d’une mobilisation pour une rupture républicaine, envisagée plus proche qu’il n’y paraît, avec l’Etat monarchique espagnol, héritier inavoué mais révélé par ses actes liberticides, du franquisme.  Il a plus précisément appelé à multiplier dans toute la Catalogne les comités locaux du Consell de la Répública qu’il a créé et qui était l’organisateur en titre de ce rassemblement perpignanais. Pour résumer, il est légitime de concevoir que les nuances séparant les discours du bonaparte, au-dessus de la mêlée, Carles Puigdemont et de la plus militante et engagée Clara Ponsatí participent d’une dialectique savamment dosée des différences ou des contraires non trop explicitement contradictoires qui, tout en surfant sur la détermination palpable du peuple présent pour les écouter, ne règlent en fait rien de précis quant à la politique qu’à l’unisson tous deux, tous trois avec l’autre eurodéputé Toni Comín, disent défendre pour réellement relancer la dynamique de la rupture qu’ils déclarent pourtant l’urgence du moment. D’autant que leur commune radicalité postulée fait silence sur les pratiques institutionnelles de leurs camarades de l’intérieur qui, comme nous allons le voir, sont tout sauf radicalement en prise sur une démarche d’avancée vers l’autodétermination et de reconstruction du processus d’indépendance !   

     

    Des questions stratégiques non réglées

    Etape importante, cette mobilisation perpignanaise l’a donc été indubitablement, pour marquer les esprits tant des partisans du régime espagnol découvrant, stupéfaits, ce qu’ils ne voulaient pas voir de la vivacité populaire résiliente de la flamme indépendantiste que des partisans de l’indépendance, restés « à la maison », susceptibles de se laisser gagner par le défaitisme et son corollaire du renvoi aux calendes grecques de la proclamation de la république. Mais étape ayant à peine effleuré, et encore, des réponses à la désorientation qui pèse sur les consciences populaires au constat que, de retour au « pays », l’alternative qui s’offre à elles entre le parti de la négociation jusqu’au bout (ERC) avec Madrid et celui (des amis politiques de Puigdemont !) partie prenante de cette même négociation mais sans y croire, ne colle pas avec l’expression à la tribune de l’alternative exaltée, l’alternative à Madrid, à l’Etat espagnol oppresseur ! 

    Dans une telle situation de cacophonie et de brouillage des repères, le choix rendu public au dernier moment par les anticapitalistes de la CUP (Candidatures d’Unité Populaire), à l’exception de l’une des deux plus importantes de ses composantes, Poble Lliure, de ne pas participer à ce qu’ils ont réduit, contre l’évidence, à n’être qu’une mesquine opération pré-électoraleSuite à l’invalidation judiciaire du mandat de député du président de la Généralité, préfigurant sa destitution, des élections au parlement catalan ont été annoncées sans que leur date ait encore été précisée.