En Syrie, le pouvoir dictatorial et les forces de l’opposition sont entrés dans une spirale de contestation et de répression.En Syrie, le rythme des protestations s’est accéléré, depuis la fin avril. Les funérailles des manifestants tués par les forces de sécurité donnent lieu, à chaque fois, à d’importants rassemblements populaires. Ces quinze derniers jours, des protestataires ont été tués à plusieurs reprises durant les funérailles des victimes des rassemblements précédents. Depuis le 15 mars, le mouvement de contestation populaire syrien possède plusieurs foyers : à Deraa, dans la ville industrielle de Homs, à Banias, proche de la côte méditerranéenne et plus récemment dans des communes de la banlieue de Damas telles que Douma. Jusqu’ici, environ 500 personnes ont été tuées par la répression (dont un tiers à Deraa). Parallèlement, des arrestations massives ont lieu dans l’opposition et parmi les militants des droits de l’homme. Dernièrement, environ 2 000 personnes auraient été arrêtées de façon ciblée en quelques jours. À Deraa, ville symbole de la révolte et « martyre » de la répression, le régime tente de faire un exemple. La ville est assiégée depuis bientôt quinze jours par 3 000 soldats des unités spéciales de l’armée. Le régime agite le spectre de Hama, ville assiégée et partiellement détruite par l’armée en 1982 après une révolte locale canalisée par des forces islamistes, et dont le bombardement avait fait au moins 20 000 morts. Des dissensions importantes sont apparus au sein de l’armée, où le frère du président, le sinistre Maher el-Assad, dirige personnellement la répression mais où des unités entières auraient fait acte de désobéissance. Par ailleurs, environ 250 démissions du Parti Baath au pouvoir ont été publiquement annoncées. Les dissidents dénoncent l’action brutale des forces de sécurité et parlent d’une violation « des valeurs de toujours du parti ». En réalité, le recours à la répression violente n’est pas nouveau sous ce régime, mais l’inédit réside dans la crainte d’une partie de sa base politique de tout perdre. Le noyau dur du régime tente de manier le bâton – comme à Deraa – mais aussi la carotte. Ainsi la levée de l’état d’urgence n’est qu’un toilettage : le régime a annoncé au même moment que la « loi d’urgence » sera remplacée illico par une « législation antiterroriste ». Ainsi l’interdiction des manifestations a été remplacée par un système de demande d’autorisation préalable. Il reste qu’une partie de la population est encore attentiste, craignant une plongée dans le chaos et la division du pays, à l’instar des guerres civiles irakienne et libanaise. Des tensions entre les communautés et groupes de populations ne sont malheureusement pas à exclure, le régime jouant lui-même la carte communautaire. Le régime s’appuie surtout sur la minorité alaouite (une branche de l’islam chiite), mais s’érige aussi en prétendu protecteur des minorités chrétienne et druze. Cependant, la participation visible de chrétiens aux manifestations, notamment le vendredi 22 avril, a été très positivement remarquée par les protestataires. Le poids du régime pèse surtout sur la majorité sunnite. Au sein de celle-ci, quelques crispations identitaires se sont fait sentir, en réaction aux événements ; il y a eu quelques prédications contre « les mœurs des femmes druzes » dans des villes contestataires. Pour l’opposition, il sera important de garantir l’unité du pays au-delà de toutes les divisions sectaires. La Syrie est aussi un pays où existent des traditions du mouvement ouvrier et de la gauche. Dans le passé, plusieurs partis communistes ont co-existé pendant de longues années. L’opinion publique arabe ne réagit pas aux événements en Syrie comme à ceux en Tunisie ou en Libye. Alors que les médias et les opinions arabes avaient presque unanimement salué la lutte contre les régimes de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, les réactions sont souvent plus mitigées concernant la Syrie. Les craintes pour l’unité du pays, mais aussi sa position géographique stratégique (aux frontières d’Israël et de l’Irak) incitent beaucoup d’observateurs régionaux à « plus de prudence ». La Ligue arabe qui avait demandé une intervention occidentale, y compris militaire, en Libye, ne le fera certainement pas pour la Syrie. Une telle intervention impérialiste n’est pas souhaitable et ne semble envisagée par les pays impérialistes eux-mêmes. Les USA ont adopté quelques sanctions personnelles contre Maher el-Assad, l’Union européenne a décrété un embargo sur les armes. Mais ces puissances ne semblent pas très décidées à aller beaucoup plus loin. Le contexte régional, l’attitude d’Israël – qui préfère finalement « la stabilité » et le régime d’el-Assad comme « le diable que nous connaissons », face aux « dangers de l’inconnu » – et les risques d’une dislocation de cet État pluriethnique et plurireligieux les incitent à davantage de prudence qu’en Libye. Dans ce contexte, nous devons saisir l’occasion pour exprimer une réelle solidarité entre tous les peuples. Celle-ci ne peut venir que d’ « en bas ».
Bertold du Ryon