Entretien. Archéologue originaire de Palmyre, Mohamed Taha est à Paris un animateur infatigable d’initiatives de solidarité avec le peuple syrien. Il répond ici à nos questions.
Comment Daesh a-t-il pu prendre Palmyre le 21 mai 2015 ?
On peut dire que le régime a remis la ville à Daesh. Malgré la présence de 15 000 militaires de la base aérienne de Palmyre, mais aussi la présence de deux autres aéroports militaires à une distance qui ne dépasse pas 40 km, Daesh a pu déployer son offensive en traversant le désert, et prendre le centre de Palmyre facilement. Il a établi son emprise sur la ville pendant 307 jours, se glorifiant d’avoir libéré la plus célèbre prison du régime avant de mettre en scène ses propres méthodes sanguinaires.
Comment le régime Assad a-t-il pu reprendre la ville il y a quelques jours ? Est-ce une grande victoire pour lui ?
Aussi facilement qu’il avait perdu Palmyre, le régime a repris la ville dans un même spectacle médiatique, en ajoutant cette fois la destruction de la ville par des bombardements avec toutes sortes d’armes durant un mois.
Comme l’a publié la coordination populaire de Palmyre, « Les forces militaires russes, l’artillerie et les missiles n’ont pas cessé de frapper la ville au hasard et sans différenciation entre les humains et les pierres, […] avec des bombes à sous-munitions interdites en plus des obus, des roquettes et des barils explosifs. Ces attaques barbares étaient menées sous le prétexte de combattre l’État islamique, qui se bat en dehors de la ville et a été peu affecté par ces bombes et ces attaques, sauf un minimum de soldats à l’intérieur de la ville. Les raids russes ont complètement détruit les infrastructures, les écoles, les hôpitaux et les mosquées. Plus de 50 % des quartiers de la ville ont été détruits. » Finalement, toutes les forces de Daesh se sont retirées tranquillement, avec un déplacement de 5 heures dans le désert sans être inquiétées !
Le but du régime est d’envoyer le message qu’il est capable de récupérer des territoires, de vaincre Daesh, et de protéger le patrimoine syrien, dont les antiquités de Palmyre qui constituent une partie importante du patrimoine de l’humanité. Rien n’est plus faux, car le régime a contribué lui-même à détruire Palmyre, la ville antique, et Daesh n’a fait que compléter la destruction.
Quelle est la situation de la population de Palmyre ? Comment résiste-t-elle face à ces deux pouvoirs sanguinaires ?
La population de Palmyre vit un drame humanitaire avec de nombreux morts, et en ayant perdu 150 000 habitants déplacés à cause des combats. Après avoir vécu sous le joug des barbares de Daesh, 525 familles ont encore dernièrement fui Palmyre pour échapper aux exactions des forces du régime. Elles se sont déplacées pour trouver un refuge et sont actuellement dispersées dans 10 villes du nord de la Syrie. 227 familles vivent sous des tentes, au sud de la Syrie à la frontière jordanienne. Il faut imaginer l’ampleur du désastre ! L’armée d’Assad entreprend maintenant de piller les maisons des habitants qui ont quitté la ville à cause des bombardements. Le mercenaire, que sa petite cervelle limite à récupérer une bonbonne de gaz ou une couverture en laine, aura-t-il un esprit « noble ou bien civilisé » pour sauvegarder et défendre le patrimoine de l’humanité ? Car « le monde se préoccupe » de la reconstruction de la ville antique, alors qu’Assad, baissant les rideaux sur le spectacle, se vante de pouvoir coopérer avec les USA pour combattre les terroristes, oubliant qu’il avait accusé dès le début de 2011 les manifestants pacifiques de comploter avec les USA !
Certains disent que le mouvement révolutionnaire démocratique est actuellement presque totalement étouffé en Syrie, sur le plan civil et surtout militaire. Qu’en penses-tu ?
L’opposition démocratique a disparu ou été étranglée seulement dans les médias ! La société civile administre le pays depuis plus de trois ans en l’absence de l’État. Elle résiste en même temps à l’offensive du régime et à Daesh. Lorsque les hostilités ont été moindres récemment, une vague de manifestations pacifiques s’est réactivée dans de nombreuses villes. La route de la liberté et de la démocratie est très longue et difficile pour notre peuple, on le sait. Nous avons commencé à marcher sur cette route et ne nous nous arrêterons pas. Et l’histoire des révolutions confirme que le choix du peuple est celui qui va gagner à la fin, malgré le prix très cher habituellement payé...
Propos recueillis par Jacques BabelVidéo de Mohamad Taha