Publié le Dimanche 29 octobre 2017 à 09h13.

Syrie-Irak : Kirkouk et Raqqa : deux politiques kurdes inconciliables

État-nation kurde ou confédéralisme démocratique ? Il ne s’agit plus d’un débat abstrait, mais tout à fait concret quand les puissances impérialistes alliées des Kurdes ramènent à l’âge de pierre des villes entières comme Mossoul et Raqqa, et quand les États régionaux renforcent leur domination sur les peuples et les minorités…

Les commandants des peshmergas de l’UPK et du PDK à Kirkouk s’accusent mutuellement de lâcheté face à la récente offensive de l’armée irakienne et des milices chiites du Hachd al-Chaabi, appuyées par l’Iran.

Kirkouk sous la botte de Bagdad et de Téhéran

Peu importe qui est responsable : les faits sont là. Envoyés sur place pour sécuriser les bâtiments officiels du gouvernorat, ils les ont livrés sans combat. Tout comme ils ont abandonné les populations civiles des quartiers kurdes de la ville, dorénavant soumises à la férule de leurs oppresseurs de l’État d’Irak et des milices alliées de l’Iran.

Des rumeurs contradictoires circulent au Kurdistan du Sud sur les accords secrets que l’UPK et le PDK auraient passés avec Bagdad pour se répartir la manne pétrolière et sécuriser leurs bastions respectifs d’Erbil et de Souleymanié en échange de leur « trahison » des Kurdes de Kirkouk et des populations yézidies de Shengal et kurdes de Makhmouk, désormais sous la menace d’une invasion militaire du régime fasciste AKP-MHP d’Ankara. 

Les rivalités entre les féodalités kurdes ont montré une fois encore leur nocivité. La tentative d’installation d’un État-nation kurde « croupion » par Barzani dans le nord de l’Irak a ouvert la boîte de Pandore de l’explosif empilement des oppressions nationales où les minorités turkmène, yézidie et arabe ne veulent en aucun cas troquer la domination de Bagdad pour celle d’Erbil.

Cemil Bayık, dirigeant historique du PKK et co-­président de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), l’énonce sans détour : « Nous ne nous tiendrons au côté ni du gouvernement du Kurdistan du Sud ni de celui de l’Irak qui mènent des politiques nationalistes et confessionnelles. […] Nous continuerons à suivre notre voie indépendante, démocratique et libertaire pour préserver notre peuple de ce conflit. » 

Raqqa libérée de Daesh, mais après ?

Le même KCK salue en ces termes la libération de Raqqa : « Nous sommes convaincus que la libération de Raqqa débutera une nouvelle période en Syrie […] la création d’une Syrie démocratique […] où les Arabes, les Kurdes, les Syriaques, les Tchétchènes, les Druzes et Turkmènes viv[ro]nt ensemble côte à côte avec leur propre identité et culture, [qui] sera un modèle pour tout le Moyen-Orient. »

Nous ne doutons guère de la sincérité du KCK, ni du fait que les Forces démocratiques syriennes (FDS), après 134 jours d’une guerre populaire menée rue par rue, maison par maison, entendent tenir leurs promesses, comme elles l’ont fait après les batailles de Kobanê et de Mambij. Elles ont annoncé qu’elles remettraient le pouvoir à un conseil civil composé de toutes les communautés, où les Arabes seront les plus nombreux, et paritaire femmes-hommes, garantissant les droits culturels, politiques et sociaux de touTEs.

Mais leur marge de manœuvre est étroite face à leurs alliés de la coalition impérialiste qui a mené « sa » guerre aérienne de bombardements dits « ciblés », faisant des milliers de victimes civiles, et dont une représentante, Florence Parly, ministre des Armées, vient de déclarer : « S’il y a des djihadistes [français] qui périssent à Raqqa, c’est tant mieux. » Voilà toute la différence de « civilisation » entre la loi du talion de la barbarie impérialiste et le respect des conventions de Genève auquel les FDS se sont engagées pour les prisonniers de Daesh, sans parler de l’abolition de la peine de mort que prône la charte du Rojava.

Pierre Granet