Publié le Mardi 10 janvier 2017 à 10h41.

Syrie : Les peuples sacrifiés sur l’autel des grandes puissances

La chute d’Alep-Est est un tournant majeur du soulèvement populaire syrien, permettant au régime d’Assad de réaffermir son pouvoir, et aux puissances mondiales et régionales d’imposer leurs intérêts politiques propres.

 

La chute d’Alep-Est n’aurait sûrement pas été possible de cette manière sans l’accord de la Turquie. Le président turc Erdogan est resté silencieux dans cette période tragique, tandis que son Premier ministre déclarait qu’il ne voyait pas d’objection au maintien d’Assad pour l’instant... Ils ont en fait conclu un accord avec les dirigeants russes et iraniens qui peut être résumé de la manière suivante : Alep pour Assad, et les régions frontalières nord pour Erdogan.

Pour rappel, certaines brigades islamistes et de l’Armée syrienne libre (ASL), dépendantes de l’assistance politique et militaire du gouvernement turc, avaient quitté le front d’Alep pour participer à l’intervention turque en Syrie depuis la fin août, contre Daech mais surtout contre les forces kurdes du PYD (organisation sœur du PKK en Syrie). La priorité turque est en effet la prévention de toute autonomie et expansion des forces kurdes du PYD à sa frontière.

 

Tractations au sommet et manifestations populaires

Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’Iran, de la Turquie et de la Russie se sont rencontrés le 20 décembre pour discuter du futur de la Syrie. À l’issue de cette conférence, les trois puissances ont adopté une déclaration commune visant à mettre fin au conflit, par laquelle ils s’engagent à œuvrer à la mise en place d’un cessez-le-feu dans l’ensemble du pays, la préoccupation commune devant être de « lutter contre le terrorisme » et non d’aller vers un changement de régime à Damas. Une déclaration qui a reçu après coup le soutien des pays occidentaux.

Un cessez-le-feu national (qui exclut les forces djihadistes Daech et Jabhat Fateh al-Sham) a ainsi été proclamé le 30 décembre, parrainé par la Russie, la Turquie et l'Iran. Mais le régime Assad a continué le bombardement de certaines régions d’opposition, tandis que ses forces armées et le Hezbollah ont poursuivi leur offensive militaire au nord-ouest de Damas dans la vallée de Wadi Barada. Cette zone est stratégique car s’y trouvent les principales sources en eau potable pour les plus de cinq millions d'habitants de la région de Damas. C’est aussi une voie d'approvisionnement majeure utilisée par le Hezbollah entre le Liban et Damas.

De nombreuses forces d'opposition armées ont déclaré bloquer toute discussion sur leur possible participation aux négociations de paix préparées par Moscou au Kazakhstan, tant que le régime syrien et ses alliés violent le cessez-le-feu. En même temps, des manifestations populaires massives avec des slogans démocratiques et non confessionnels ont eu lieu ces deux derniers vendredi (31 décembre et 6 janvier) dans les territoires libérés, profitant de l’accalmie.

 

Les intérêts du peuple kurde sacrifiés

Le 29 décembre dernier, les responsables militaires russes ont organisé une réunion dans la base aérienne russe à Hemeimem, en Syrie, avec divers représentants des mouvements kurdes, dont les deux principales composantes le PYD et le Conseil national kurde. Il s'agissait de discuter de leurs relations futures avec le régime d'Assad. Les autorités du régime ont soumis une liste de conditions qui encadreraient les relations entre Damas et l’enclave kurde, non reconnue par le régime Assad : soutien des mouvements kurdes à Bachar el-Assad aux prochaines élections, abandon de leur demande principale d’établir un système fédéral en Syrie, tandis que le drapeau du régime syrien devrait être déployé sur tous les édifices publics dans les régions à majorité kurde contrôlées actuellement par le PYD. En contrepartie, le régime ne réprimerait pas les mouvements kurdes, et certaines de leurs demandes seraient discutées... sans aucun engagement.

Sentant le vent tourner en leur défaveur, les dirigeants du PYD avaient annoncé la suppression du mot Rojava – qui signifie Kurdistan occidental en kurde – du nom officiel de la fédération du nord de la Syrie, cela la veille des négociations. Des informations ont aussi fait état du départ des forces armées du PYD des quartiers kurdes d’Alep qu’ils contrôlaient, après un ultimatum de Damas.

L’avenir pour les populations en lutte en Syrie, (arabes, kurdes ou autres), s’obscurcit toujours plus, malgré des résistances populaires et démocratiques locales qui continuent, à la fois contre le régime et contre les mouvements islamistes fondamentalistes. Et le cas de la Syrie a démontré de nouveau la futilité de ceux qui cherchent des accords stratégiques avec des puissances impérialistes et régionales, ou mettent leur confiance en elles pour réaliser l’émancipation des classes populaires.

Joseph Daher