La chute d’Alep-est, mi-décembre, aujourd’hui entre les mains du régime d’Assad, a révélé un tournant du soulèvement syrien, avec une nouvelle entente russo-turque sur le dos des populations mobilisées.
Des informations convergentes confirment que la Turquie a usé de son influence sur les groupes islamistes qu’elle soutient pour que ceux-ci se retirent d’Alep-est, permettant la chute finale de ces quartiers. Ce virage d’Erdogan lui a permis une intervention militaire directe au nord d’Alep sous prétexte de chasser Daesh, mais en fait pour empêcher toute tentative d’autonomie kurde au nord de la Syrie (Rojava). En contrepartie, la Turquie ne pose plus le départ d’Assad et de ses proches comme condition préalable à toute solution politique.
Accord entre puissances
Un accord-cadre entre les trois puissances les plus impliquées en Syrie (la Russie, la Turquie et l’Iran) a été établi, axé sur l’arrêt des combats, excepté contre Daesh et Jabhat al-Nusra, et l’ouverture de négociations entre le régime et les factions armées soutenues par la Turquie, le tout sous la bannière de la lutte contre le terrorisme... Le 29 décembre 2016, le gouvernement Erdogan a convoqué les chefs d’une trentaine de groupes « islamistes » armés pour leur signifier le changement des priorités de la politique turque et leur imposer de signer une déclaration de cessez-le-feu que la Russie et la Turquie ont déjà préparé. De son côté, la Russie a fait pression sur l’Iran et le régime d’Assad pour l’accepter.
Les effets de cet accord n’ont pas tardé à se manifester, créant un nouveau clivage au sein des groupes armés islamiques, entre ceux qui acceptent ou n’acceptent pas de se dissocier de Jabhat al-Nusra.
Parodies de négociations
Une première conférence de négociation a été convoquée à Astana, la capitale du Kazakhstan le 23 janvier. Le régime syrien s’est trouvé face à une délégation de chefs de guerre des groupes majoritairement islamiques soutenus par la Turquie, dirigée par Mohamed Aloush, le chef de guerre de Jaysh al-Islam. Aucune formation politique de l’opposition syrienne n’y a été invitée. Deux questions ont été discutées : la prolongation du cessez-le-feu et la lutte contre le terrorisme. La Russie a envoyé, aussi bien au régime qu’à tous les groupes d’opposition, la « proposition » d’une nouvelle Constitution de la Syrie, et choisit les groupes de l’opposition invités à Moscou.
Les forces politiques syriennes ne sont plus invitées aux conférences concernant l’avenir de leur pays que pour signer des accords imposés par les puissances impérialistes et régionales. La Coalition nationale et la Haute Commission de négociations, soutenues, en principe, par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et les pays occidentaux, sont de plus en plus marginalisées, leur existence est devenue fantomatique et corrompue...
Un ressort populaire reste possible
Le mouvement populaire ne s’est pas encore relevé de six ans de souffrances et d’immenses dégâts socio-économiques et humains infligés par la guerre totale menée par le régime criminel d’Assad. Les comités populaires de coordination des luttes sont affaiblis et atomisés, ainsi que les conseils locaux. Les groupes et formations politiques révolutionnaires démocratiques et de gauche restent dispersés et faibles. Le mouvement kurde, en particulier le Conseil de la Syrie démocratique qui comprend des composantes arabe, kurde, turkmène et assyrienne, subit une pression immense exercée par l’intervention militaire turque.
Le soutien aussi bien américain que russe aux troupes des Forces démocratiques syriennes (FDS) n’a pas seulement faibli, mais il s’est avéré incertain et changeant. L’aide américaine aux FDS a diminué dans sa guerre contre Daesh, et du côté russe, l’autonomie kurde n’est plus admise qu’en tant qu’autonomie culturelle. Les forces kurdes n’ont d’ailleurs pas été invitées à participer à la conférence d’Astana.
Une recomposition progressiste nécessaire
Le pays subit donc une occupation par plusieurs puissances impérialistes et régionales, chacune avec ses acolytes locaux. Il subit aussi plusieurs groupements contre-révolutionnaires : Daesh, Jabhat al-Nusra, Ahrar Asham et d’autres groupes hostiles les uns aux autres.
Du côté régime, de plus en plus exsangue et dépendant de la Russie et de l’Iran, de multiples milices (y compris Hezbollah et les milices chiites irakiennes) bénéficient de leur propre autonomie.
La destinée du peuple syrien lui échappe. Une recomposition des forces populaires, démocratiques et progressistes arabes et kurdes est plus qu’urgente pour changer le rapport de forces existant, raviver le mouvement populaire aujourd’hui épuisé, et reprendre les luttes pour ouvrir un horizon progressiste au peuple meurtri de la Syrie.
Ghayath Naisse