Publié le Mercredi 15 janvier 2025 à 12h00.

Trump, l’Europe et la vertu outragée : malaise dans le suprémacisme impérial

Trump annonce la couleur avec des déclarations de politique extérieure fracassantes : annexion du canal de Panama, colonisation pure et simple du Groenland et, pour le Canada, publication sur son réseau social d’une carte de l’Amérique du Nord intégralement recouverte de la bannière étoilée.

 

Comme inspiré par Netanyahou brandissant la carte d’un seul grand Israël devant l’assemblée générale de l’ONU, voici donc Trump, saison 2.

De vrais projets ? 

Stratégie de l’imprévisibilité et de la menace généralisée ? Symptômes de sénescence d’un vieillard autoritaire se rêvant en maître d’empire ? On peut toujours spéculer sur les ressorts de telles provocations. Quelles que soient ses intentions ultimes en la matière, ce coup d’éclat fait entendre nombre de motifs familiers. En premier, l’agressivité viriliste, désormais marqueur privilégié de l’identité politique de la nouvelle extrême droite planétaire, de Trump à Duterte en passant par le bolsonarisme. Un autre motif est l’antiféminisme, celui déclaré de l’ex-­président sud-coréen (Yoon Suk Yol, maintenant déchu) en passant par celui du mouvement Vox en Espagne et la version française de « l’anti-wokisme ». De ce point de vue, ces sorties sont pleinement en cohérence avec les signaux adressés par Musk en direction des dirigeants de l’extrême droite européenne. 

On y reconnaît aussi un signe de la très nette tendance à la concentration du pouvoir présidentiel américain, en cours depuis une quarantaine d’années. La posture de Trump n’en est à présent que la manifestation la plus caricaturale. 

Retour à la tradition

Un registre un peu plus ancien encore : l’argument de la « sécurité nationale », dont ne dépendraient rien moins que le bon ordre et la liberté du monde, fait écho mot pour mot à celui des dirigeants américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Soucieux de pérenniser le déploiement d’ampleur inédite de bases militaires à travers le monde, ceux-là faisaient déjà de la « sécurité » la clé de toutes leurs justifications : au nom de la « sécurité », le Pacifique, débarrassé de la puissance japonaise défaite, avait vocation à devenir « notre lac » ; certains, et pas des moindres, se « foutaient de l’appellation choisie, dès lors que nous avons un contrôle absolu, incontesté de nos besoins en bases militaires »

Les indignés

Le « meilleur » de toute cette affaire est ailleurs. On le doit avant tout au spectacle offert par des « partenaires européens » en plein émoi, en pleine « incompréhension » face au mépris affiché par l’allié, l’ami, le protecteur, emblème universel de « nos valeurs occidentales ». On apprend que la France et l’Allemagne officielles se sont montrées « catégoriques » : « Les frontières ne doivent pas être déplacées par la force ». Pour Scholz (chancelier allemand), au côté du président du Conseil européen (A. Costa) : « Le principe de l’inviolabilité des frontières s’applique à tous les pays, qu’ils soient à l’est ou à l’ouest ». « Ce principe ne peut et ne doit pas être ébranlé. » « Les États-Unis doivent appliquer les principes des Nation unies, tout le monde s’y tient et cela restera certainement ainsi. », selon un porte-parole du gouvernement allemand. Enfin, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, déclare que l’UE ne tolérerait pas une intervention militaire américaine : « Il n’est pas question que l’Union européenne laisse d’autres nations du monde, quelles qu’elles soient […], s’en prendre à ses frontières souveraines ». De son côté, Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a dénoncé « une forme d’impérialisme », carrément. Sens des valeurs, grands principes, ardente indignation : on tremble à la Maison Blanche, c’est sûr.

Sinistres menteurs

Il nous vient une petite question, en même temps qu’une nausée : s’agit-il bien là des mêmes dirigeants qui ont applaudi et activement contribué à plus d’une année de génocide israélien en Palestine, massivement armé par les États-unis de Biden-Harris, et ont laissé piétiner le droit international ? qui ont réprimé férocement toutes les solidarités en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne ? Et dénié tout principe de souveraineté au Liban abandonné à la folie meurtrière sioniste ? Et qui laissent filer la guerre à travers le Moyen-Orient, comme si plus de trente années de carnages et d’échec abyssal ne suffisaient pas ? Les mêmes se livrent à présent aux grimaces sordides de la vertu outragée sur fond du racisme colonial qu’ils gardent en partage. L’hypocrisie ne tue pas, et c’est bien là leur chance. 

Thierry Labica