Publié le Mercredi 5 novembre 2014 à 10h16.

Tunisie: après les élections législatives

Malgré le désenchantement d’une partie de la population, particulièrement au sein de la jeunesse et des couches les plus défavorisées, la participation a été tout de même de plus de 60 %.

Lors des élections d’octobre 2011, Ennahdha avait raflé 41,5 % des sièges. Il n’en obtient que 31,8 %. Une partie de la population a exprimé ainsi son rejet des deux ans de gouvernement Ennahdha et des violences islamistes qui les ont accompagnés. Le CPR et Ettakatol, qui avaient participé au pouvoir, ont vu leur nombre d’élus s’écrouler.Nidaa Tounès, dont les responsables sont pour l’essentiel issus du pouvoir en place de l’indépendance à 2011, arrive en tête avec 39,2 % des sièges.Le Front populaire, qui regroupe l’essentiel de la gauche et une partie des nationalistes arabes, multiplie par 2,5 son nombre d’élus, avec 6,9 % des sièges, contre 2,8 % précédemment.

Le futur gouvernementCelui-ci n’entrera en fonction que début 2015. Mais avant fin novembre, le Premier ministre proposé par Nidaa sera chargé de le composer dans le mois, voire les deux mois qui suivent. D’interminables tractations sont donc à prévoir car Nidaa ne détient pas la majorité à l’Assemblée. Le Président de Nidaa avait expliqué avant les élections qu’il s’adresserait en premier lieu aux trois petits partis avec lesquels il avait initialement décidé de se présenter aux élections. Mais ceux-ci n’ont eu aucun élu.Déclarant à l’époque vouloir élargir cette alliance « aux partis partageant les mêmes visions et les mêmes projets que les nôtres », il avait simultanément répondu par une énigmatique pirouette à la question de savoir si celle-ci pourrait inclure ou pas Ennahdha...

Une avancée électorale de la gaucheContrairement à octobre 2011, l’essentiel des forces de gauche se sont présentés unies. Le nombre d’élus du Front populaire est passé de 6 à 15, dont 6 du Parti des travailleurs, 4 des Patriotes démocrates unifiés, 2 de la Ligue de la Gauche ouvrière (LGO), et 3 nationalistes arabes.De fortes pressions vont s’exercer sur le Front pour le pousser à voter la confiance au futur gouvernement, voire participer à celui-ci, ou à voter le budget. Pour relayer ses exigences, la population pourra également compter sur certains élus indépendants, comme par exemple Adnane Hajji, figure emblématique du bassin minier de Gafsa.Une volonté affirmée de « refer­mer la parenthèse de 2011 »Nidaa Tounès a pour projet que la Tunisie reprenne pleinement sa place dans la politique voulue par les investisseurs étrangers et tunisiens, le FMI et la Banque mondiale. Dans la continuité des gouvernements précédents, ce parti veut notamment continuer à rembourser la dette extérieure ; développer le libre-échange dans le secteur agricole, les services et les marchés publics ; abaisser les impôts sur les bénéfices des sociétés ; privatiser des sociétés confisquées au clan Ben Ali ; poursuivre la compression des dépenses sociales en réduisant notamment les subventions aux produits de première nécessité.

La place des mobilisationsAprès avoir été parasitée pendant près de quatre ans par la bipolarisation entre néolibéraux « modernistes » et néolibéraux islamistes, la question sociale va donc revenir au premier plan. En ce domaine, l’attitude de la centrale syndicale UGTT va jouer un rôle déterminant. En 2012 et 2013, sa direction a été essentiellement absorbée par sa volonté de faire partir en douceur le gouvernement Ennahdha. D’où son rôle moteur dans la mise en place du cadre consensuel ayant débouché en janvier 2014 sur l’adoption de la Constitution et la mise en place du gouvernement provisoire de « technocrates » chargé notamment de préparer les élections. Cette politique s’est accompagnée de relations de bon voisinage avec le syndicat patronal UTICA. Maintenant que les objectifs politiques que l’UGTT s’était fixés ont été pour l’essentiel atteints, reste à savoir comment évolueront en son sein les rapports de forces entre ceux qui ne voudront pas « gêner » le futur gouvernement au nom de « l’intérêt national », et ceux qui considèrent que la défense résolue des intérêts des travailleurs reste le fondement de l’action syndicale.Reste à savoir également comment la gauche politique associative et syndicale saura répondre aux attentes de celles et ceux qui ont été les moteurs de la révolution : la jeunesse, les chômeurEs, les salariéEs, les femmes et les populations déshéritées de l’intérieur du pays.

Freddy Mathieu et Dominique Lerouge

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