« Nous avons la liste des kamikazes, mais nous ne pouvons pas les arrêter tant qu’ils ne passent pas à l’action. Vous ne pouvez pas arrêter les gens sans raison », a déclaré le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, deux jours après l’attentat d’Ankara du 10 octobre qui a causé la mort de 106 manifestants pour la paix.
En guise de réponse aux critiques sur la déficience des services de renseignements, Davutoglu a ainsi tenté d’expliquer que le gouvernement contrôlait la situation, et a à cette occasion exprimé sa foi en l’État de droit.
Un laissez-faire criminel...
Inutile bien évidemment de lui rappeler que depuis presqu’un an, suite à une révision du code de procédure pénale, un simple « soupçon raisonnable » est suffisant pour autoriser la police à mener des perquisitions et à déclencher des garde à vue, ce qui a d’ailleurs été utilisé maintes fois contre activistes, opposants, et journalistes critiques vis-à-vis du gouvernement, comme l’arrestation récente à Diyarbakir d’un lycéen qui, ayant les mains sales, fut suspecté d’avoir participé à des échauffourées avec la police.
Toutefois malgré l’aberrante interdiction de toute « information, reportage, critique » dans les médias jusqu’à la clôture des investigations, il est avéré que les termes de « déficience » ou même de « négligence » ne sont pas suffisant pour rendre compte de la responsabilité de l’État dans « le plus grand attentat terroriste de l’histoire de la Turquie ».
En effet par l’intermédiaire de certains quotidiens refusant de se soumettre à cette interdiction, l’opinion publique a appris que la cellule de militants djihadiste recrutés dans la ville d’Adiyaman et liés à Daech était sur écoute depuis 2013. Rappelons que les kamikazes de l’attentat de Diyarbakir lors du meeting du HDP (4 morts) et de celui de Suruç (32 morts) appartenaient aussi à cette cellule. Ce dernier kamikaze était d’ailleurs le frère d’un des kamikazes de l’explosion d’Ankara. Les parents des militants djihadistes avaient à plusieurs reprises signalé l’adhésion de leur fils à Daech à la police et donné les noms des autres membres de la cellule...
Mensonges d’État
D’autre part, alors que le rôle de Daech dans l’attentat d’Ankara est devenu incontestable, le gouvernement et Erdogan s’en tiennent à leur première déclaration, à savoir que l’attentat pourrait avoir été commis par l’alliance de plusieurs organisations. Si l’organisation d’extrême gauche DHKP-C et la confrérie Gülen – ancien allié de l’AKP dont la présence dans la bureaucratie a été jugée comme une menace pour le gouvernement – ne sont maintenant plus citées, le PKK est montré du doigt comme le principal promoteur des explosions aux côtés de Daech par les médias organiques de l’AKP. « Daech et le PKK pourraient s’être mis d’accord », a osé déclarer la ministre chargé des rapports avec l’Union européenne, ancien professeur en relations internationales...
L’AKP en est ainsi arrivé à recourir aux plus flagrants mensonges afin de discréditer le mouvement kurde, faire baisser les voix du HDP, et rester au pouvoir, sans être dans l’obligation de former un gouvernement de coalition susceptible d’affaiblir son parti-État.
La guerre continue
L’annonce par le PKK qu’il arrêtait ses actions militaires (sauf en cas d’agression par les forces turques) pour ne pas entraver le déroulement des élections du 1er novembre n’a pas eu de retentissement au niveau du gouvernement. La guerre continue : des enfants, des jeunes, des femmes meurent tous les jours.
La Constitution est de facto suspendu, l’appareil judiciaire ne fonctionne pas, la presse est sous diktat, une vingtaine de maires kurdes sont arrêtés pour « soutien à l’organisation terroriste », un régime de massacre est en vigueur…
Et l’Union européenne semble prête à s’en accommoder, à condition que la Turquie accepte de devenir un énorme camp de détention pour migrants, loin de ses yeux... Encore une fois, l’impérialisme ne trahit pas sa tradition d’arriver toujours à l’heure pour sauver les siens. À nous tous de perturber leur horloge.
D’Istanbul, Uraz Aydin