Publié le Mercredi 28 mai 2014 à 18h30.

Ukraine : Petro Porochenko ou la révolte confisquée

Avec 54,5 % des suffrages exprimés et une abstention de moins de 40 % selon la presse ukrainienne, le milliardaire Petro Porochenko a été élu président de l’Ukraine.

Avec une fortune estimée par le magazine Forbes à 1,6 milliard de dollars, détenant l’industrie du chocolat, plusieurs entreprises de vente et de production d’automobiles, de camions et d’autobus, la chaîne de télévision Kanal 5 et le magazine Korespondent, c’est un des principaux oligarques ukrainiens. À noter cependant que sa chaîne de télévision est appréciée du fait du ton plus critique des informations et qu’il sait jouer le paternaliste, annonçant que le salaire moyen dans ses usines est deux fois plus élevé que dans le pays (438 euros).

Un oligarque opportuniste...En 1998, Porochenko s’est fait élire député du Parti social-démocrate unifié du président L. Koutchma. Puis il a créé son propre parti de « centre-gauche », Solidarité, avant de faire la campagne électorale de la coalition d’opposition « Notre Ukraine » du futur Premier ministre, puis président, V. Iouchtchenko (le parrain de ses filles). Il en sera d’abord président de la commission parlementaire du budget en 2002, et a été accusé d’avoir « égaré » 8,9 millions de dollars et aussi d’avoir été responsable de la vente à l’oligarque V. Pinchouk de l’entreprise publique Nikopol Ferroalloy pour 80 millions de dollars, alors qu’elle était estimée à 1 milliard… Puis, en 2005 et à nouveau en 2009, il devient secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, favorisant l’adhésion à l’OTAN. En 2007-2012 il prend la tête du Conseil de la banque nationale, et en 2009-2010, il est ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Ioulia Timochenko... ce qui ne l’empêchera pas de devenir en 2012, pour 9 mois, ministre du Commerce et de l’économie du président Ianoukovytch, après que ce dernier eut écarté puis fait emprisonner Timochenko. Enfin, signalons que, en décembre 2004, il a soutenu la « révolution orange », qui va permettre l’élection de Iouchtchenko, et en novembre 2013, le mouvement populaire de Maïdan... Bref, c’est un oligarque, ­capable de changer le camp à temps et d’utiliser ses relais politiques et médiatiques pour accroître sa puissance, qui a été élu président ce dimanche 25 mai.

Et un mouvement social freiné Comment cela a t-il été possible, alors qu’il y a à peine trois mois des centaines de milliers de personnes occupaient la Place (« Maïdan ») de l’Indépendance contre la tyrannie de l’oligarque Ianoukovytch, protestant contre la corruption, le mal-vivre, le pouvoir absolu de l’oligarchie ? L’auto-organisation du mouvement de Maïdan a été faible, signe du poids de l’atomisation, de la faiblesse d’une culture d’organisation et du rejet de la politique, identifiée au carriérisme, dans la société. Le mouvement ne s’est pas doté d’une direction élue et, de ce fait, les partis politiques de l’opposition et les petits groupes paramilitaires d’extrême droite nationaliste, popularisés par les médias, ont pu s’emparer du gouvernement et du Parlement, dont les députés pro-Ianoukovytch ont tourné leur veste ou se sont enfuis. Le nouveau pouvoir, faible, a cherché à réorienter le conflit sur le terrain ethnique et linguistique, soutenu en cela par la Russie de Poutine qui a utilisé le même terrain pour s’emparer de la Crimée et ­réveiller le nationalisme grand-russe. Les gangs employés par Ianoukovytch contre le mouvement de masse (les « titouchki ») et l’appareil répressif et administratif dans les régions orientales et méridionales de l’Ukraine ont pu alors s’emparer des bâtiments administratifs en Crimée et à l’est de l’Ukraine, y proclamant des « républiques populaires », effrayant la population en lui faisant croire à une « junte néonazie » à Kiev terrorisant les opposants. Notons que les candidats d’extrême droite à la présidentielle, O. Tyahnybok du parti Svoboda et D. Yaroch du Pravy Sektor ont obtenu respectivement 1,16 % et 0,7 %, des voix, ce qui devrait faire réfléchir ceux qui voyaient en Ukraine une montée du nazisme… C’est ce début de guerre civile – entre un gouvernement qui a confisqué la victoire populaire de Maïdan et des bandes armées pro-russes – qui a freiné le développement du mouvement social, a divisé les mécontentements et a permis l’élection d’un oligarque à la tête de l’État. Pour autant, Petro Porochenko n’a pas encore restauré un État fort en Ukraine. Les mesures d’austérité imposées par les créditeurs occidentaux et appliquées par le gouvernement de Kiev, la fin des affrontements nationalistes – car le grand capital ukrainien a besoin de stabilité – et les élections législatives annoncées en automne, si elles sont démocratiques, peuvent faire revenir les aspirations populaires non réalisées sur le devant de la scène.

Jan Malewski