Pour les grandes puissances occidentales, la mobilisation Maïdan aurait exprimé un soutien enthousiaste et démocratique à l’enjeu immédiat, l’entente d’association avec l’UE. Or, au-delà des hésitations des oligarques, les sondages indiquaient un peuple divisé. La démarche démocratique aurait donc été de demander un référendum. Ce qui s’exprimait dans la rue s’est rapidement éloigné de cet enjeu. Or l’actuel gouvernement s’empare de la mobilisation populaire pour faire passer les accords avec l’UE.
En réalité, la grande majorité des manifestants était révoltée par la corruption omniprésente et mue par le désir de soumettre le gouvernement au contrôle populaire.
Un peuple sans solutionCe genre de mobilisation est caractéristique de notre période : un peuple atomisé qui exprime un ras-le-bol et se mobilise sans programme clair. Les fruits de la mobilisation sont alors récoltés par des forces organisées qui surfent sur la colère populaire pour leur propre agenda politique, sans véritable mandat sur leur programme. La cause profonde d’une telle situation est l’absence d’une gauche influente – ce qui reflète la faiblesse actuelle de la classe ouvrière, même si la majorité des manifestants étaient sans doute des salariés à revenu modeste.Car le vrai problème n’était pas Ianoukovitch, dont le gouvernement ne se distinguait guère des précédents, mais un système dominé par des oligarques qui instrumentalisent les divisions linguistiques et culturelles pour avancer leurs propres intérêts aux dépens des classes populaires. De ce point de vue, la « révolution » n’a rien changé. Les masses révoltées étaient incapable de pénétrer à la vraie source du mal et encore moins d’envisager une véritable solution, la socialisation des principaux leviers économiques. Elles voyaient dans le traité d’association à l’UE une solution magique à la corruption et une garantie des normes démocratiques.Cette situation explique le rôle joué par les éléments fascistes, qui rejetaient tout compromis avec le pouvoir contesté et s’insurgeaient contre le « système », revendiquant « une révolution nationale ». Leur intransigeance plaisait aux autres manifestants, conscients des fruits amers de la dernière « révolution » (la corruption des leaders libéraux de la dite « révolution orange » de 2004), mais ignorants les vrais buts de ceux qui prenaient la tête de la « révolution nationale » en cours.
Des fascistes au pouvoirUn fait bien réel est que l’un des trois partis de l’opposition, Svoboda, avant son lifting de 2005, s’appelait « Social-national » et affichait le wolfsangel, symbole d’unités SS. Suite aux élections de 2012 où Svoboda a obtenu 12 %, le Parlement européen, dénonçant le caractère raciste et xénophobe de Svoboda, a lancé un appel aux partis démocratiques du pays à ne pas s’y associer. Svoboda détient officiellement dans le nouveau gouvernement plusieurs portefeuilles ministériels, dont un Vice-Premier ministre, ministre de la Défense, et Procureur général.Pravyi Sektor est un regroupement plus petit mais plus violent, composé de voyous fascistes et de supporters de football. Armés, ses militants ont pu forcer le rythme de la situation pendant les derniers jours de Maïdan. En prenant par assaut des bâtiments publics pendant les négociations, ils ont empêché la réalisation d’un compromis (le 21 février) entre l’opposition et le régime qui l’aurait écarté. À présent, ses membres occupent des postes au ministère des Affaires internes. Trois sous-ministres de la Défense ont récemment été congédiés pour leur refus d’intégrer les unités armées de Pravyi Sektor dans l’armée régulière... Ce regroupement est à l’origine d’une vague de violence et de vandalisme qui traverse aujourd’hui le pays et qui vise des organisations, personnages et symboles russes-soviétiques ou de gauche.
Haute tensionL’Ukraine est profondément divisée au plan idéologique, bien que le premier État indépendant, proclamé en 1991, ait été plébiscité. Les héros des uns sont les collaborateurs des autres. L’économie de la partie orientale, la plus industrielle, est fortement intégrée à celle de la Russie.Une situation aussi fragile devrait conseiller la prudence. Pourtant, des 19 ministres du gouvernement actuel, seulement deux sont de l’Est et aucun du Sud. Ainsi, les nationalistes, minoritaires dans le pays, qui s’obstinent à imposer leur volonté aux autres, s’avèrent les pires ennemis de l’unité du pays.Par contre, le détachement de la Crimée sous déploiement de troupes russes, loin de favoriser le rejet des projets de l’Otan, risque de les favoriser.
David Mandel