Publié le Samedi 19 mars 2011 à 11h12.

Ultimatum à Chypre

Le 11 avril 1965, Dervis Ali Kavazoglu, chypriote turc, et Kostas Michaulis, chypriote grec, tous deux syndicalistes, furent assassinés dans la même voiture, alors qu’ils sortaient d’une réunion, par l’organisation ultra-nationaliste turque TMT. Il s’agit d’un épisode tragique et significatif des violences qui ont marqué l’histoire moderne de Chypre entre nationalistes des deux communautés (grécophones majoritaires, turcophones minoritaires) unis contre l’important mouvement communiste et syndical, sur fond de rivalités entre impérialismes régionaux et mondiaux pour la domination de cette île à la position géostratégique cruciale (la Grande-Bretagne détient toujours d’immenses bases militaires dans le sud de l’île). Prenant prétexte de ce contexte (et notamment des massacres perpétrés par l’EOKA, l’équivalent chypriote grec du TMT), l’État turc est intervenu militairement en 1974. L’armée turque occupe le nord de Chypre depuis cette date et l’impérialisme turc y soutient un État fantoche (la République turque de Chypre du Nord RTCN). Après l’occupation, la Turquie mena une véritable politique de colonisation en installant des populations venues d’Anatolie et leur octroya la citoyenneté de la RTCN. Celle-ci est devenue avec le temps un « Las Vegas du pauvre » avec l’éclosion des casinos (permettant le blanchiment d’argent sale) et d’immenses maisons closes ayant pignon sur rue. Afin de rendre la population locale dépendante de la Turquie, les dirigeants turcs ont méthodiquement démantelé l’industrie locale et créé une fonction publique pléthorique. Or, l’impérialisme turc est lui-même confronté aux contradictions du capitalisme et essaie d’imposer depuis Ankara (capitale de la Turquie) des mesures néolibérales (dont le relèvement de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans, ce qui nous rappelle quelque chose en France !). De telles mesures remettent en cause non seulement des droits sociaux mais aussi l’existence même d’un peuple chypriote turc qui serait condamné à l’émigration en l’absence d’avenir sur sa propre terre. Ainsi, en raison du statut particulier de l’État fantoche qu’est la RTCN, la lutte sociale et anti-impérialiste vont de pair. Les meetings pour « l’existence sociale » mêlant syndicats, associations et partis ont connu un immense succès à l’échelle de la RTCN avec 30 000 participants le 28 janvier et 60 000 le 2 mars sur un peu plus de 400 000 habitants (il faut également indiquer que des manifestations de soutien ont eu lieu en Turquie même par des internationalistes contre l’impérialisme de leur propre État). Cela, malgré les intimidations orales du Premier ministre turc Erdogan et surtout des attaques commises par des militants ultra-nationalistes turcs à Chypre même. La stratégie de la tension mise en œuvre depuis Ankara n’a pas entamé la détermination du collectif social et politique à l’origine du mouvement qui a donné jusqu’au 25 mars au gouvernement fantoche de la RTCN pour démissionner. Au-delà de cette échéance se pose la question des peuples de Chypre à déterminer leur avenir. Le 20 juillet 1974, le code secret de l’armée turque pour annoncer le début du débarquement sur l’île était « Ayse part en vacances », comme le disent avec humour nos camarades internationalistes chypriotes turcs : « Ayse, les vacances sont finies ! » Suren