Les deux organismes régionaux africains, la CEDAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), structure regroupant les pays ayant le Franc CFA comme monnaie, ont décidé l’instauration de sanctions contre le Mali. La raison évoquée est la décision de la junte de prolonger la période de transition de cinq années. La position de la CEDAO est fortement soutenue, pour ne pas dire suscitée, par la France, qui entend continuer à dicter sa volonté sur le cours de la guerre au Sahel.
Suite à des mobilisations populaires massives contre le gouvernement, des officiers de l’armée malienne avaient déposé le président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020. Ils avaient mis en place un premier gouvernement puis, après l’avoir limogé, ont pris directement les rênes du gouvernement de transition. Dans un premier temps la junte s’était engagée à organiser des élections le 27 février de cette année. Avec la tenue des assises nationales de la refondation, elle a décidé de prolonger la transition de cinq ans.
Bal des hypocrites
Les sanctions contre le Mali sont extrêmement dures : fermeture des frontières, interdiction de toute transaction, gel des avoirs de l’État malien dans tous les établissements bancaires de l’Afrique de l’Ouest. Si officiellement ces mesures ne s’appliquent pas aux produits de première nécessité et au carburant, leurs pénuries risquent rapidement de se faire sentir par l’absence de liquidités disponibles. Bref, le but est bien d’étouffer économiquement un des pays les plus pauvres au monde avec toutes les conséquences dramatiques pour les populations.
De telles mesures avaient déjà été prises contre le gouvernement de Gbagbo en soutien à Alassane Ouattara lors de la crise électorale de 2010 en Côte d’Ivoire, à l’instigation de la France.
Parmi les grands démocrates de la CEDAO, on trouve le président sénégalais Macky Sall qui, il y a quelques mois, a fait ouvrir le feu contre des manifestantEs avec un bilan de 13 morts dont un enfant de 12 ans, le nigérien Mohamed Bazoum qui vient d’emprisonner deux journalistes dénonçant le trafic de drogue, l’Ivoirien Ouattara qui s’est présenté, en dépit de la Constitution, à un troisième mandat, Faure Gnassingbé, qui lui en est à son quatrième mandat à la tête du Togo, le Béninois Patrice Talon qui a jeté en prison pour terrorisme ses deux principaux opposants, Frédéric Joël Aïvo et Réckyatou Madougou.
Si, au Mali, il y a des critiques fortes contre la junte militaire, la société civile, comme les partis politiques, condamnent l’embargo qui frappe leur pays. Ils font remarquer à juste titre que la démocratie n’est pas juste l’organisation des élections. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de profondes réformes. D’autant que le Mali a déjà vécu cette expérience en 2012. À l’époque, la France et la CEDEAO ont imposé un processus électoral qui n’a pas réglé, loin sans faut, la situation du pays.
La France chef d’orchestre de l’embargo
Beaucoup pensent que la France est à la manœuvre dans l’établissement de l’embargo comme elle l’avait fait en 2012. Elle a présenté une motion au Conseil de l’ONU pour appuyer cet embargo, qui a fait l’objet d’un veto de la part de la Russie et de la Chine. Un zèle que l’on retrouve pour convaincre l’Union européenne de soutenir les sanctions. Autre exemple de cet acharnement : Air France, qui procédait à l’embarquement des passagers à destination de Bamako mercredi 12 janvier, a dû annuler immédiatement les opérations sous l’injonction des autorités françaises, laissant en rade à l’aéroport de Roissy des dizaines de voyageurs. Par contre les vols militaires français continuent, et s’affranchissent même de l’autorisation de l’autorité de régulation malienne pour pénétrer dans l’espace aérien du pays.
Le Drian, pitoyable représentant de la Françafrique, dénigre la junte malienne fossoyeuse de la démocratie, mais reste muet quand Macron est le premier chef d’État occidental à rencontrer le dirigeant saoudien Mohammed Ben Salmane impliqué dans le meurtre ignoble du journaliste Jamal Khashoggi. Tout aussi muet quand son mentor soutient ostensiblement le coup d’État militaire au Tchad perpétré par le fils du dictateur défunt Idriss Déby.
Quelle que soit l’issue de cette crise, le pari de la CEDEAO et du gouvernement français est perdu. Les dizaines de milliers de MalienEs qui sont descendus dans la rue contre les sanctions renforcent la position de la junte qui joue habilement sur la défense du pays. Cette mobilisation populaire participe à renforcer le ressentiment contre la politique impérialiste de la France. Au moins, l’arrogance de Macron aura servi à ça.