Publié le Jeudi 16 décembre 2021 à 08h00.

Un monde de plus en plus inégalitaire

Les plus riches captent une part énorme des revenus, ils possèdent l’essentiel des richesses et sont responsables d’une part disproportionnée des émissions de CO2. Tels sont les principaux enseignements du dernier Rapport sur les inégalités mondiales élaboré par un groupe international d’économistes et de statisticiens 1.

Depuis les années 1980, les inégalités de revenus et de patrimoine sont en augmentation presque partout, à la suite de programmes de dérégulation et de libéralisation. Cette tendance s’est accélérée ­pendant l’épidémie de Covid.

Actuellement, les 10 % les plus riches de la planète captent 52 % du revenu mondial, tandis que la moitié la plus pauvre n’en gagne que 8 %. Les inégalités de richesse sont encore plus prononcées que les inégalités de revenus. La moitié la plus pauvre de la population mondiale est pratiquement dépourvue de patrimoine, puisqu’elle ne possède que 2 % du total. À l’inverse, les 10 % les plus riches en détiennent 76 %. La part de patrimoine détenue par les 0,01 % les plus riches est passée de 7 % à 11 % entre 1995 et 2021

Au sommet, les 0,001 % les plus riches représentent 55 200 adultes en 2021 au niveau mondial, et possèdent un peu plus de 6 % de la richesse mondiale, ce qui signifie que leur richesse est plus de 6 000 fois supérieure à la moyenne. Pour mettre cela en perspective, la richesse totale des 50 % les plus pauvres de la planète, un groupe qui est 50 000 fois plus important que les 0,001 % les plus riches, est trois fois plus petite (2 %).

La question du changement climatique

Une des points les plus intéressants du rapport concerne la contribution au changement climatique. Les auteurEs soulignent la liaison entre inégalité de revenus et de patrimoine et inégalité des contributions au changement climatique. En moyenne, les êtres humains émettent 6,6 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2) par tête et par an, avec d’importantes disparités au sein de la population mondiale.

Les 50 % les plus pauvres émettent en moyenne 1,6 tonne par an et contribuent à 12 % du total. Les 40 % du milieu émettent 6,6 tonnes en moyenne, soit 40,4 % du total. Les 10 % les plus riches émettent 31 tonnes (47,6 % du total). Les 1 % les plus riches émettent 110 tonnes (16,8 % du total). Près de la moitié de toutes les émissions sont donc dues à un dixième de la population mondiale, et un centième de la population mondiale (77 millions d’individus) en émet plus que toute la moitié pauvre de la population (3,8 milliards d’individus).

Le rapport souligne une question fondamentale : contrairement à la présentation qui en est donnée couramment, cette inégalité n’est pas simplement une affaire qui opposerait pays riches et pays pauvres. Il y a de gros émetteurs dans les pays à revenus faibles ou moyens, et de petits émetteurs dans les pays riches. Selon les auteurs, en 1990, l’essentiel des inégalités mondiales en matière de carbone (63 %) était dû aux différences entre les pays : à l’époque, le citoyen moyen d’un pays riche polluait sans équivoque davantage que le reste des citoyens du monde. La situation s’est presque entièrement inversée en 30 ans. Les inégalités au sein des pays représentent aujourd’hui près des deux tiers des inégalités mondiales en matière d’émissions. Cela ne signifie pas qu’il ne subsiste pas d’importantes (souvent énormes) inégalités d’émissions entre les pays et les régions du monde. En fait, cela signifie qu’en plus de la grande inégalité des émissions de carbone entre les pays, il existe également des inégalités encore plus grandes entre les individus et les groupes sociaux.

En Europe, la moitié la plus pauvre de la population émet environ cinq tonnes par an et par personne ; en Asie de l’Est, elle émet environ trois tonnes et en Amérique du Nord environ dix. Le contraste est criant avec les émissions des 10 % les plus émetteurs de ces régions (29 tonnes en Europe, 39 en Asie de l’Est et 73 en Amérique du Nord).

« Pas d’issue sans mettre en question la concurrence »

Le rapport conclut donc que l’ampleur de la transformation nécessaire pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans les pays riches ne pourra donc être atteinte si les inégalités environnementales et sociales ne sont pas intégrées dans la conception même des politiques environnementales. Les auteurs critiquent ainsi les taxes qui, comme la taxe carbone, frappent indistinctement riches et pauvres. Mais suffit-il de limiter les inégalités de patrimoine ? Dans le capitalisme, les 1 % le plus riches sont d’abord ceux qui ont le pouvoir parce que les membres de ce groupe sont propriétaires des moyens de production. Ce sont eux qui déterminent investissements et orientations de la production, influencent les politiques des États. Ils sont la classe dominante. C’est ce pouvoir qui doit être remis en cause. Comme le souligne notre camarade Daniel Tanuro, auteur de plusieurs ouvrages sur la crise écologique, dans un texte récent qui s’appuie sur des données analogues, réduire les inégalités est nécessaire mais ce n’est pas suffisant : « Il n’y a pas d’issue sans mettre en question la concurrence pour le profit, moteur du productivisme basé sur le droit de propriété capitaliste » 2.

 

1 – Rapport du World Inequality Lab, en ligne sur https ://wir2022.wid.world/

2 – « Climat, inégalités et lutte des classes », sur gaucheanticapitaliste.org