Cinq livres soudanaises, c’était le prix d’une miche de pain en octobre 2021. Six mois plus tard, les SoudanaisES doivent débourser cinquante livres ! Le marasme économique s’accompagne d’une répression à l’endroit des manifestantEs qui, avec ténacité, maintiennent la mobilisation contre le coup d’État dirigé par al-Burhane et Hemidti. Les généraux putschistes tentent de briser leur isolement en se rapprochant de la Russie.
Les problèmes économiques frappent de plein fouet la grande majorité des populations. La livre soudanaise au marché noir perd un quart de sa valeur, rendant plus onéreuses les importations des produits de première nécessité comme l’huile, le savon ou l’énergie. Dans le domaine agricole, le pays connaît une baisse de production de près d’un tiers du blé et du sorgho. Les principales causes sont le climat, une succession de sécheresse puis des pluies torrentielles, des maladies notamment pour le sorgho et enfin des problèmes d’irrigation liés à la pénurie d’électricité nécessaire aux motopompes.
Une mobilisation continue
Cette situation économique frappe évidemment les populations les plus démunies, dans un pays où plus de la moitié des habitantEs vivent en dessous du seuil de pauvreté. C’est donc sur deux fronts que les luttes se poursuivent. Contre la misère et contre les putschistes qui ont mis fin à la période de transition issue de la révolution de 2019 qui avait renversé Omar el-Bechir.
La mobilisation, malgré le temps et la répression, ne faiblit pas. La dictature tente de museler l’opposition en accentuant les arrestations, le plus souvent la nuit au domicile des personnes ciblées. Les organisations de défense des droits humains font état de tortures systématiques contre les opposantEs. Chaque manifestation est réprimée par les forces de sécurité qui n’hésitent pas à tirer à balles réelles.
En parallèle de leurs actions pour faire vivre cette combativité, les comités de résistance, cheville ouvrière de la lutte anti-dictature, ont finalisé leur travail d’élaboration d’un projet politique1. Un document qui a été discuté à la base par les nombreux comités à travers tout le pays. Cette « Charte pour l’instauration de l’autorité du peuple » vise à organiser une nouvelle transition. Elle prévoit un Premier ministre nommé par les Forces du Changement. Il gouvernera avec une assemblée qui aura aussi un rôle de constituante à l’issue de la période de transition. Des élections seront organisées, les éléments de l’ancien régime d’el-Bechir et des soutiens des putschistes ne pourront y participer. Ce texte est présenté comme une proposition et vise à unifier les éléments disparates de l’opposition, qu’ils soient politiques syndicaux ou associatifs. Cette charte exclut toute négociation avec les putschistes et s’oppose ainsi à la stratégie des Nations unies et de l’Union africaine qui tentent de revenir à une transition bicéphale entre militaires et civils.
La Russie, planche de salut des putschistes
La nouvelle situation créée par l’agression contre l’Ukraine permet aux généraux al-Burhane et Hemidti de jouer la carte russe pour affermir leur pouvoir. S’ils avaient bénéficié de la mansuétude de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis lors du coup d’État de 2019, la Russie leur permet de desserrer leur isolement sur la scène internationale. Une situation favorisée par l’ambivalence des dictatures du golfe dans la guerre contre l’Ukraine.
La Russie poursuit le renforcement de sa présence dans le pays. Ainsi, les mercenaires de la société russe Wagner sont majoritairement déployés sur les mines aurifères en collaboration avec Hemidti dans un trafic totalement opaque. Dans le même temps, les différents corps de l’armée et de la police continuent à faire main basse sur les principales ressources économiques du pays. Autre atout stratégique pour la Russie, l’installation d’une base de la marine russe à Port-Soudan permettant l’accès à la mer Rouge. Cela serait la première base militaire de la fédération de Russie en Afrique.
L’administration Biden commence à agiter la menace de sanctions économiques contre les dirigeants du Soudan, officiellement il s’agit de faire pression contre le coup d’État. Cependant la quasi-inaction des USA pendant les mois qui ont suivi le coup de force laisse plutôt penser que l’objet de la pression est de mettre à mal l’alliance trop étroite entre Poutine et les putschistes.
Avec ou sans les Russes, les généraux n’ont pas réussi à infliger une défaite au mouvement social. Ce dernier avec la crise économique s’étend à l’image des manifestations récurrentes des populations qui bloquent les routes menant vers l’Égypte pour protester contre l’augmentation du prix de l’électricité.
- 1. Voir l’Anticapitaliste n°598 (13 janvier 2022).