À quelques jours du scrutin du 9 novembre, Trump fait preuve d’une étonnante résilience et l’hypothèse que les commentateurs autorisés considéraient impensable est impossible à écarter. Une telle « anormalité » dans le fonctionnement de la démocratie capitaliste US ne s’explique que si l’on prend en compte la profonde crise sociale qui secoue le pays, ainsi que l’accroissement des inégalités qui a connu une nouvelle impulsion après la récession de 2008-2009.
Quelques chiffres pour en rendre compte. Le revenu annuel médian des ménages était en 2007 de 57 423 dollars, il est tombé en 2015 à 56 516 dollars. Le nombre des pauvres (selon les calculs officiels, différents dans chaque pays) est passé de 13,5 % de la population en 2009 à 15,5 % en 2014. Les AméricainEs qui bénéficient du programme de bons alimentaires de l’État étaient au nombre de 26,3 millions en 2007, ils sont aujourd’hui 43,4 millions. Alors que la durée du travail a sensiblement augmenté, les salariéEs bénéficiant de contributions de leur employeur à un plan de retraite ne sont plus que 45 %, contre 57 % en 2001, et seuls 69 % d’entre eux (contre 77 % en 1980) disposent d’une assurance maladie payée par leur entreprise.
Les jeunes sont particulièrement touchés. De 28 000 dollars annuels en 1980, le salaire médian des 16-24 ans a chuté à aujourd’hui 25 000 dollars. Et cela, alors que suite à la hausse considérable des frais universitaires, 40 millions d’étudiantEs et anciens étudiantEs se trouvent sérieusement endettés.
Les 1 % confortés...
Dans le même temps, les 3 % de familles les plus riches ont en 2013 capté 30,5 % du revenu national, contre 27,7 % en 2010. Sur une plus longue période, de 1973 à 2014, le revenu national par tête s’est accru de 72 % (hors inflation), mais la rémunération horaire moyenne du travail n’a augmenté que de 8,7 % – en profitant fondamentalement aux segments supérieurs, ceux dont les fonctions et les très hauts salaires les assimilent en fait à la bourgeoisie. Les 1 % d’Américains les plus riches – ceux que dénonçait le mouvement Occupy de la fin 2011 – ont capté à eux seuls 85 % de la hausse des revenus intervenue entre 2009 et 2013. En 2014, les 3 % les plus riches ont accaparé 30,5 % de la richesse nationale, contre 27,6 % en 2009.
Quant aux chiffres du chômage, prétendument historiquement bas, ils sont particulièrement trompeurs. Les 5 % officiels montent déjà à 10 %, dans les statistiques officielles, lorsqu’on y intègre les travailleurs à temps partiel contraint ainsi que ceux qui sont considérés comme « momentanément découragés » de rechercher un emploi – les autres étant, comme partout, retirés des bases de calcul. Or les États-Unis ont l’un des taux d’emploi les plus faibles du monde développé : 68,7 % en 2015, pour la population de 15 à 65 ans, contre 71,8 % en 2007. Pour les 25 à 54 ans, ce taux est actuellement de 77,8 % – contre, par exemple, 79,8 % en France. Le site spécialisé Shadowstats estime le taux de chômage réel à 22,9 % de la population.
C’est cette réalité qui nourrit la contestation anti-système que l’on avait vu s’exprimer : à gauche autour de la candidature de Bernie Sanders, qui aurait certainement emporté la nomination démocrate si tout l’appareil du parti ne s’était pas mobilisé contre elle, et à droite autour de ce milliardaire mégalomaniaque, parce qu’il fait figure d’outsider face à la candidate de Wall Street et des multinationales.
Jean-Philippe Divès