Publié le Mercredi 24 février 2021 à 09h42.

Vu d’Israël : « Si vous êtes pour la paix, rejetez cette paix »

Les PalestinienEs et la droite israélienne comprennent que les accords d’Abraham sont un outil pour enraciner l’apartheid. La gauche sioniste ne comprend toujours pas.

Le 15 octobre, un événement unique s’est produit à la Knesset [Parlement israélien]. L’accord très applaudi entre Israël et les Émirats arabes unis a été présenté au Parlement pour un vote, quelques semaines après que le Premier ministre Benjamin Netanyahu les a signés sur la pelouse de la Maison Blanche. Une majorité écrasante de 80 membres de la Knesset a ratifié l’accord – du parti libéral sioniste Meretz au Likoud de Netanyahou, en passant par la Yamina, nationaliste et religieuse, de Naftali Bennett. Seuls 13 des 120 membres de la Knesset ont voté contre : tous étaient membres de la Liste commune, l’alliance de quatre partis représentant les citoyenEs palestiniens d’Israël.

Faire céder les PalestinienEs

Du point de vue de la droite israélienne, le principal objectif de ces accords est ainsi de consolider son pouvoir et d’affaiblir davantage la lutte palestinienne contre l’occupation et l’apartheid. En prime, ces accords ont offert une couverture positive aux administrations de Netanyahou et de Trump, par ailleurs très impopulaires, qui ne parviennent pas à gérer la pandémie de coronavirus et ses répercussions économiques, et qui sont confrontées à des conséquences juridiques et à la pression de l’opinion publique sur leur corruption.

Pour sa part, Netanyahou est extrêmement direct sur le lien entre son programme de normalisation et l’occupation israélienne. « Les Palestiniens disent que nous devrions nous replier sur les frontières de 1967 et diviser Jérusalem, ce qui est absurde », a-t-il déclaré à la radio de l’armée israélienne en août, après l’annonce des accords d’Abraham. « J’ai supposé que nous devions initier un concept entièrement différent : la paix en échange de la paix, la paix obtenue depuis une position de force ».

Ainsi, non seulement les accords ne font rien pour promouvoir la fin de l’occupation, mais ils la cimentent activement. Comme l’a récemment déclaré le président du parti Balad, Jamal Zahalka, avant l’annonce de l’accord de normalisation avec le Soudan, les accords d’Abraham sont essentiellement une alliance de trois États pratiquant l’apartheid : Israël avec son apartheid contre les Palestiniens ; Bahreïn et son oppression de la majorité chiite par les sunnites soutenus par les Saoudiens ; et les EAU, où un million de citoyens émiratis vivent avec huit millions d’« étrangers » sans droits.

La gauche sioniste sur la sellette

Ce qui nous amène à la rupture au sein de la gauche juive israélienne, dont les lignes de faille peuvent être grossièrement tracées autour de sa relation avec le sionisme. Alors que les militants de la gauche juive anti ou non sionistes soutiennent la position de la Liste commune contre les accords, le Parti travailliste et le Meretz votent et s’expriment en leur faveur. Cette position, sans surprise, ignore complètement les voix des Palestiniens eux-mêmes, qui ont souligné que les accords sont utilisés comme une couverture pour renforcer l’apartheid. Ce qui est très clair pour les Palestiniens et la droite israélienne est en quelque sorte perdu pour les sionistes libéraux.

Étant donné que le stratagème de Netanyahou est utilisé contre le camp de la paix israélien et les Palestiniens, la réaction chaleureuse de la gauche sioniste aux accords peut sembler surprenante. Pendant des années, la gauche s’est appuyée sur deux arguments principaux pour la paix avec les Palestiniens : mettre fin à la violence et aux effusions de sang, et gagner en légitimité et en normalisation avec les pays arabes. Netanyahou a rendu ces deux arguments superflus. Le nombre de victimes israéliennes du conflit a été divisé par 10 au cours de la dernière décennie, réduisant ainsi le coût de l’occupation en vies humaines. Et maintenant, avec ces « accords de paix », il devient évident pour les Israéliens qu’ils n’ont même pas « besoin » des Palestiniens pour accéder au grand Moyen-Orient. Pendant ce temps, Israël peut continuer à profiter de l’occupation, de terres « bon marché » (lire : volées) pour le logement, de l’eau et d’autres ressources naturelles, d’un marché et d’une main-d’œuvre captives, etc.

Comme dans le cas du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS), la question des accords d’Abraham met les juifs israéliens de gauche sur la sellette. Une véritable résistance à la situation coloniale exige de remettre en question nos privilèges et, en l’occurrence, de résister aux « accords de paix » qui ne profitent qu’aux Israéliens.

Traduction J.S.

Version originale sur 972mag.com