Depuis janvier dernier, le Yémen connaît une mobilisation sans précédent qui ne faiblit pas malgré la terrible répression menée par le régime. Entretien avec Abdelalim Al-Amoudi, représentant de la Coalition de la jeunesse de la révolution yéménite en France.
Commençons avec l’actualité, où en est la révolution au Yémen aujourd’hui ?Depuis le début de la révolution, le régime a déjà perdu le plus important : sa cote de popularité. Dorénavant, ce régime est mort. Quoi que fassent ses alliés saoudiens, il ne survivra pas, ce n’est plus qu’une question de temps. Ce sont les Saoudiens, suivis des autres pays du Golfe qui, avec leur pseudo-initiative, ont maintenu le régime en vie au moment où il n’avait plus aucune chance. Mais, même ces derniers sont en train de chercher des remplaçants potentiels pour succéder à Ali Abdullah Saleh qu’ils ont maintenu au pouvoir depuis 1978. Pour les Saoudiens et tous les pays du Golfe, une démocratie au Yémen risque d’être contagieuse dans leurs propres pays, beaucoup plus que la Tunisie et l’Égypte. Il faut l’éviter à tout prix.Quelle est la position de la communauté internationale et plus particulièrement de l’Europe ?Prenons l’exemple de la France : le discours et la politique de la France envers la Libye et la Syrie a dépassé les simples condamnations de la répression menée par les régimes. Mais quand il s’agit du Yémen, les valeurs de la France changent. En plus de la pression américano-saoudienne sur la communauté internationale dont le but déclaré est de donner plus de temps au régime de Saleh, je crois que la France a d’autres calculs à faire aussi. Total a investi plusieurs milliards d’euros au Yémen, à quel point cela joue-t-il dans la politique de la France envers le dictateur ? Nous ne demandons pas au monde une intervention militaire. Nous sommes opposés à toute intervention extérieure, mais nous exigeons l’arrêt immédiat du soutien au dictateur.Saleh joue la carte d’Al-Qaïda, il veut faire comprendre au monde entier que le Yémen tombera aux mains d’Al-Qaïda. Pour cela, il joue sur deux niveaux. Saleh leur a livré deux gouvernorats, Shabwa et Abyane. Mais il faut savoir que les attaques qu’il lance soit-disant contre Al-Qaïda dans la zone d’Abyane, au nom de la lutte antiterroriste, ont causé la mort d’une brigade militaire qui avait rejoint la révolution, et qui, avec des combattants des clans de la région, étaient à deux doigts de libérer Abyane d’Al-Qaïda.Quel est le poids d’Al-Qaïda dans la rue yéménite ?Al-Qaïda au Yémen n’est pas la menace que le régime veut faire croire. Al-Qaïda n’aurait jamais trouvé sa place dans notre pays si le régime n’avait pas veillé à la consolider d’une manière ou d’une autre, afin de l’utiliser comme carte avec les Américains. Rappelons-nous que même quand le régime arrêtait des cellules d’Al-Qaïda, les prisonniers arrivaient toujours à s’échapper de prison par dizaines. En juin dernier, 63 prisonnier d’Al-Qaïda se sont évadés de la prison de Makala hautement surveillée. Le véritable danger au Yémen est la situation économique catastrophique causée par ce régime. Dans cette situation de crise économique et d’effondrement des services publics, Al-Qaïda et d’autres ont plus de chances de recruter. Enfin, nous pouvons considérer qu’après le départ de Saleh et de la fin de la corruption, une fois instaurés la démocratie et le partage des richesses, Al-Qaïda disparaîtra d’elle-même. Pouvez-vous nous parler de l’opposition ? Le mouvement au Yémen a été lancé par des jeunes qui ne sont pas issus de l’opposition traditionnelle, en grande partie domestiquée soit par le régime, soit par les Saoudiens. Ces forces traditionnelles de l’opposition, appelée le Forum commun (al-liqaa al-moshtarak) ont rejoint le mouvement bien plus tard et n’ont servi qu’à le freiner. Au mois de mars, après le massacre de la « Journée de la dignité », où le régime a tué plus de 50 manifestants, c’est cette opposition qui est intervenue pour lui sauver la peau, sachant que les manifestants étaient sur le point de chasser le régime pour de bon. Cette intervention pour le pseudo-dialogue et pour arrêter l’affrontement a permis au régime de regagner du terrain. Politiquement, l’opposition traditionnelle essaie d’aider les Saoudiens à trouver une alternative à Saleh, tout en garantissant le maintien du régime, à travers l’initiative du Conseil de coopération des pays du Golfe.Quel est l’avenir de la révolution ?Comme je l’ai dit avant, le régime est déjà mort. Sa chute n’est qu’une question de temps. La révolution a affronté beaucoup d’obstacles, et personne ne pourra l’arrêter. Vendredi prochain, nous manifesterons dans tout le Yémen avec pour mot d’ordre « Rectifions le cours de la révolution », afin d’écarter toute tentative de détournement de la révolution. La question pour nous aujourd’hui est de savoir comment remettre le pays sur pied et de le développer économiquement en exploitant ses richesses. Ce sont les défis que nous devrons relever après le départ de Saleh.