C’est un soulagement pour les populations de voir le vieux lion, comme Mugabe lui-même aime s’appeler, obligé de quitter le pouvoir. Une revanche pour toutes celles et tous ceux qui ont eu à souffrir de sa politique.
Cette mise à la retraite est aussi une garantie que sa femme Grace Mugabe ne lui succédera pas.
Pas d’État de Grace
En effet, la femme de Mugabe a réussi à symboliser tous les maux de ce régime, la corruption et le gaspillage de l’argent de l’État – d’où son sobriquet de Gucci Grace du nom de la marque de luxe –, l’arrogance et la violence – le dernier épisode en date fut l’agression contre un mannequin dans un hôtel en Afrique du Sud –, l’arrivisme et les pires manœuvres pour succéder à son mari.
Autour d’elle dans la ZANU-PF, le parti au pouvoir, s’est créée une nouvelle génération de quadragénaires, comme le ministre de l’Éducation Jonathan Moyo ou celui du Développement rural et du Logement Saviour Kasukuwere. Ce réseau d’apparatchiks, connu sous le nom de G40, a tout fait pour écarter les éventuels successeurs de Mugabe. Ainsi Joice Mujuru, une vétérane de la guerre de libération, a été limogée en 2014, puis ce fut au tour d’Emmerson Mnangagwa qui a dû se réfugier en Afrique du Sud.
Cette dernière éviction ouvrait la voie à la prise du pouvoir par Grace Mugabe et le G40. Ce que les responsables de l’armée n’ont pas accepté, d’où leur intervention.
Crocodile contre vieux lion
Emmerson Mnangagwa est donc revenu de son court exil, pour être nommé président par intérim et concourir sous les couleurs de la ZANU-PF à la prochaine élection présidentielle.
Cet ancien guérillero, surnommé le crocodile pour avoir fondé le groupe éponyme de combattants dans les années 1960, a rapidement occupé les postes clefs des gouvernements : les finances, la sécurité d’État puis la défense. Il est l’homme de Mugabe, et même l’homme des basses besognes. Il a été en charge, dans les années 1980, d’écraser la ZAPU, un groupe politique rival de la ZANU-PF et, à ce titre, il est responsable de la mort de plus de dix mille personnes lors du massacre de Matabeleland, région acquise à l’opposition. Sa participation au durcissement de la dictature et au désastre économique figure dans son palmarès tout comme son enrichissement par la corruption, marque de fabrique des élites de ce pays.
Au vu du pedigree de ce dirigeant, son retour triomphal à Harare, la capitale du pays, peut susciter des interrogations. Certes, dans son premier discours il a dit ce que les gens voulaient entendre, qu’il allait garantir la démocratie et la liberté et œuvrer à la création d’emplois, mais la raison principale de sa popularité réside dans sa réussite à écarter Mugabe du pouvoir. Il apparait pour les populations comme la seule alternative crédible d’autant que l’opposition politique dans le pays est affaiblie et divisée.
Les illusions ne sont pas de mise sur ce nouveau pouvoir, qui n’est que l’émanation de l’ancien. Le seul point positif, mais il est de taille, est l’irruption des populations sur la scène politique. Au contraire de l’Angola où, avec l’élection de João Lourenco, on assiste à un re-partage du pouvoir au sein du MPLA, avec l’éviction de la fille de l’ancien président Dos Santos de la société pétrolière Sonango et, pour l’instant, une population spectatrice de ces rivalités entre clans. Dans le cas du Zimbabwe, le combat entre les deux fractions de la ZANU-PF a occasionné de puissantes manifestations, jamais vues depuis le rassemblement de 1980 pour fêter la libération du pays du joug raciste de Ian Smith, alors Premier ministre de la Rhodésie, l’ancien nom du Zimbabwe.
Cette volonté populaire de tourner définitivement la page de l’ère Mugabe ouvre l’espace politique, et l’élection présidentielle qui devrait se tenir en 2018 va certainement contribuer à entretenir cette mobilisation, née avec le départ de Mugabe, qui reste un beau cadeau de fin d’année pour les populations.
Paul Martial