Planète en feu, précarité qui s’étend rapidement, retour du service militaire, scolarité profondément dégradée, emplois de misère et de galère pour les jeunes en sortie d’apprentissage. Tel est le schéma de vie catastrophique dans lequel le néolibéralisme a laissé ou plongé des millions de jeunes en France. Un pays qualifié de « ce qui se fait de mieux ». Aux quatre coins du monde, la réalité est similaire ou bien pire. Allant, entre autres, jusqu’à l’interdiction aux jeunes filles d’étudier ou au recrutement forcé d’enfants soldats.
Le statut de jeune a pour spécificité d’être à un moment charnière de la vie. « ProtégéE » du travail salarié pendant un temps, grâce à la présence de l’école. C’est aussi un moment majeur de construction d’une autonomie vis-à-vis des autorités parentales ou institutionnelles, ainsi que d’une construction d’autonomie sociale, matérielle et parfois politique. Si la convergence des diverses autonomies acquises peut permettre un degré d’émancipation individuelle, ce n’est pas le cas à une échelle collective. Cette émancipation relative est d’ailleurs de moins en moins vraie au regard des multiples attaques sociales et crises auxquelles nous faisons face. Aussi, il est nécessaire pour la jeunesse de tracer un projet de société viable et enviable, réactualisé pour le XXe siècle, en considérant la catastrophe écologique globale qui a démarrée. Nous parlerons d’un écosocialisme pour la jeunesse. Cela ne peut se faire qu’en renversant le capitalisme et ses conséquences dans toutes les dimensions de nos vies.
Les Jeunesses Anticapitalistes (JA), organisation anticapitaliste et révolutionnaire, sont là en ce sens. Nous visons à reconstruire des cadres d’intervention et de formation permettant à la jeunesse d’aller dans le sens d’un tel projet de société. Cela implique de développer un militantisme attentif aux réalités de la jeunesse, un militantisme radical, unitaire lorsqu’il le faut mais non sectaire, ni dogmatique, ni identitaire. Le premier congrès des JA, prévu courant 2023, permettra d’affiner plus grandement l’orientation et la structuration de l’organisation.
Mouvement sur les retraites : point d’étape et perspectives
Les organisations de jeunesse en difficulté
La crise du Covid, avec ses différents confinements, a illustré une accélération de la perte d’engagement actif des jeunes. Notamment dans les organisations classiques telles que les syndicats étudiants, qui ont été pendant des décennies aux avant-postes des mobilisations de jeunesse. Cela s’explique par près de deux ans d’universités « fermées » et de cours à distance qui font que la plupart des jeunes de l’enseignement supérieur n’ont jamais connu de mouvements ou milité sur leur établissement. À cela s’ajoutent des parcours de formation de plus en plus à la carte, qui éclatent les classes, premier cadre collectif, ce qui a pour conséquence de renforcer l’isolement, voire l’individualisme.
Une présence timide des jeunes contre la réforme des retraites
La mobilisation contre la réforme des retraites est la première grande mobilisation sociale depuis la crise du Covid, la jeunesse doit alors découvrir ou réapprendre à militer et à s’organiser. Aussi, organiser et remplir des assemblées générales, de même que recruter des militantEs dans les organisations est devenu plus difficile.
En revanche, on note un retour important de courants autonomes qui agissent en dehors des organisations traditionnelles, On observe également une attraction importante sur des actions ponctuelles mais qui se déroulent hors des lieux d’études (et hors des lieux de travail) et confirme le constat que cette approche-là du militantisme ne s’inscrit pas dans un engagement à long terme, voire ne dépasse pas le temps de l’action. Certes cela a toujours existé, mais apparaît à présent comme plus étendu.
Nous avons constaté cette difficulté à s’organiser dès le début du mouvement contre la réforme des retraites, où on a pu voir dans le mouvement une absence marquée de la jeunesse jusqu’à avant la mi-mars.
Mesure autoritaire et violences policières : la jeunesse rentre dans le mouvement
Petit à petit, les Assemblées générales et les cortèges jeunes ont grandi mais en restant faibles, jusqu’à l’activation du 49.3. Dès lors, nous avons observé une bascule : le mouvement de la jeunesse s’est amplifié, avec des dizaines de milliers de jeunes dans les rues et des sssemblées générales bien plus fournies. Cette mobilisation s’est construite sur la colère engendrée par le déni de démocratie qu’est le 49.3 et sur la répression policière. Par une forte présence dans les manifestations du soir, les jeunes montrent que le cours autoritaire du gouvernement ne passe pas. Ce mode d’action marque la présence d’une certaine radicalité et permet, notamment à Paris, d’instaurer une vraie pression sur le gouvernement. Loin de mettre en contradiction les divers modes d’actions, nous pensons qu’il est nécessaire de continuer à construire un mouvement de masse dans la diversité des tactiques mais cherchant une cohésion d’ensemble.
Pour notre avenir, luttons contre la réforme des retraites
Les JA doivent continuer à développer ce mouvement massif de la jeunesse en y apportant une orientation politique concrète. Le mouvement actuel se concentre sur la question de la répression et des violences policières. L’élargissement à ces thématiques nous semblent un point d’appui complémentaire, car elles remettent en question la société que veulent nous imposer les capitalistes : une société autoritaire, une société violente. Mais il faut réussir à l’articuler à la question des retraites sans les découper comme deux combats distincts, ce qui a pu s’illustrer dans certains milieux. En effet, cette réforme antisociale concerne directement la jeunesse, parce qu’elle s’inscrit dans un modèle de société que nous refusons, dans lequel nous devrions travailler jusqu’à la mort. Alors que nous devrions tendre vers une réduction de la production et donc du temps de travail, on nous demande de travailler plus longtemps. Cela implique de laisser moins d’alternatives aux jeunes, en leur mettant une pression de réussite supplémentaire, car on n’a plus de temps à perdre. Cette question de la retraite doit être liée également aux problématiques qui préoccupent les jeunes, à savoir l’écologie et le féminisme… En effet, cette réforme est injuste particulièrement pour les femmes et les minorités opprimées. Concernant la dimension écologique, elle est un nouveau révélateur de la nature productiviste du capitalisme qui exploite la force de travail du prolétariat et épuise les ressources de la planète. Or, si on se mobilise pour nos retraites, c’est aussi pour en profiter sur une planète vivable.
Quelles perspectives ?
Les JA poursuivent leur objectif de construire un fort mouvement de la jeunesse en continuant d’intervenir dans nos lieux d’études et dans nos lieux de travail et en militant dans les syndicats, pour convaincre celles et ceux qui partagent nos conditions matérielles d’existence. L’exigence d’un salaire étudiant ou que les années d’études ou de stage comptent comme années de cotisation pour la retraite, sont des revendications qu’il convient de développer et de populariser. On ne doit pas cependant rester statique et se contenter de la question des retraites. Il faut développer une réflexion d’ensemble sur la scolarité actuelle et celle que nous voulons et sur l’arrivée dans le « monde du travail salarié ».
Le gouvernement a peur de la jeunesse et commence à reculer sur certaines de ses réformes concernant les jeunes (la réforme des lycées professionnels ou l’obligation du SNU). Il a même annoncé une augmentation des bourses, certes à peine symbolique au regard des besoins, mais attendue depuis des années. C’est le moment de s’organiser en grand nombre et de revendiquer la cantine ou le restaurant universitaire gratuit, la gratuité de la scolarité à tous les niveaux et plus généralement de mettre en débat et en action les fondations d’un autre système et le renversement du capitalisme.
En dehors du mouvement, il est plus qu’urgent de recréer des réseaux de solidarité sur nos lycées et nos lieux d’études. Cela passe par le renforcement des organisations de jeunesse, notamment des syndicats étudiants et lycéens, avec une activité au plus près des réalités des jeunes. Cela passe notamment par une activité syndicale de terrain : campagne des sans facs, lutte contre le harcèlement sexuel, accompagnement d’étudiantEs en difficulté… Mais aussi par une activité syndicale de lutte, en lien avec les préoccupations et le niveau de conscience des étudiantEs : sur les questions écologistes, antiracistes, féministes, anti-validistes, LGBTI, contre les attaques antisociales telles que l’équivalent de Parcoursup en master… Recréer des bases syndicales solides, c’est aussi recréer la capacité à réagir collectivement face aux attaques et à penser les alternatives, c’est recréer des réseaux de solidarité pérennes et d’actions sur nos lieux d’études.
L’éducation, un secteur de réflexion et d’intervention hautement prioritaire
L’éducation ne concerne pas que les jeunes scolariséE.es mais tout le monde, toute la vie. Les jeunes non scolariséEs ou déscolariséEs, les personnes en reprise d’études, les personnes qui ont des enfants, qui en ont dans leur entourage ou qui souhaitent en avoir, ainsi que la formation à titre personnel ou professionnel au cours de la vie dite « active », et même après.
Qu’est la scolarité en 2023 ?
Dans sa forme actuelle, il s’agit, surtout dans les pays anciennement industrialisés, d’une composante essentielle du capitalisme, si ce n’est son pilier principal. Ce qui est aussi paradoxal car l’école peut être la fragilité première du capitalisme de par l’espace critique qu’elle peut offrir. La division du travail qu’exacerbe le néolibéralisme pour maximiser son idéologie et ses profits traverse aujourd’hui l’école en profondeur avec les multiples processus de tri, de sélection sociale et de spécialisation poussée à l’extrême (ParcourSup, « Trouve ton Master »). Mais cela passe aussi par le type de filière, les moyens engagés, la manière d’enseigner et la stigmatisation de certaines couches de la société. Tel que l’ont illustré pendant des années Blanquer et Vidal, s’en prenant à un soi-disant « islamo-gauchisme » gangrénant l’Université. La multiplication des cours de management quel que soit les filières est un exemple concret de la place qu’a pris l’idéologie néolibérale au sein de l’enseignement.
Ce système scolaire est aussi intimement lié au chômage de masse, en précarisant l’accès aux emplois stables via les stages non rémunérés, les services civiques, les « jobs étudiants », l’apprentissage surprécarisé (passé à une échelle de masse sous Macron), ainsi qu’en limitant tout simplement le nombre de postes ouverts. La spécialisation exacerbée des connaissances et des compétences, couplée à ce chômage de masse, lui-même couplé à la rétention des postes ouverts, conduit au phénomène suivant. Avoir une « armée » de jeunes, forméEs à des niches déjà occupées ou dont personne ne veut.
Finalement, cela retire à l’individu la libre disposition de lui-même par l’impossibilité d’appliquer ses connaissances. Les non-renouvellements de contrat qui se multiplient, à l’initiative même des jeunes travailleurs/ses, en est frappant. La « prolétarisation du travail intellectuel » que démontre Ernest Mandel dans ses travaux de 1979, semble en ce sens devoir être réactualisée sous deux angles.
Nouvelle prolétarisation du travail intellectuel ?
Premièrement, la barrière entre travail manuel et travail intellectuel demeure au niveau des postes mais pas forcément au niveau des individus. Car aujourd’hui s’est généralisé le fait de travailler à côté des études et plus seulement en termes de « job » d’été, mais tout au long de l’année. Passant dans la même journée, de travaux manuels tel que caissier à un travail de recherche (en master par exemple). Non pas que ce schéma n’était pas observé auparavant, mais il tend à s’homogénéiser (un étudiantE sur deux concernéE). De même que « l’ascenseur social » promis par le travail intellectuel que sont les études, est a minima en panne. Voire s’illustre de plus en plus par le mirage qu’il n’a pu être que partiel et passager, limité aux générations des Trente glorieuses et leurs descendences immédiates. Le travail intellectuel souffre par ailleurs d’entraves supplémentaires. Les années vécues comme perdues si on n’est pas « sélectionné » au niveau supérieur, ou pas comptées pour la retraite, pourraient en particulier conduire à ce que beaucoup se détournent du souhait de faire des études. La conséquence pourrait être un fort retour en arrière, où la massification de l’enseignement supérieur ne serait plus au programme de la société.
En second lieu, alors même que la situation sociale est très dégradée, la catastrophe écologique en cours peine à donner des perspectives d’avenir pour toute l’humanité. L’impossibilité, au travers du système capitaliste, d’appliquer ses connaissances pourtant vitales dans ce contexte, est très impactant pour les individus. Ce qui ne peut que renforcer le sentiment de ne pas pouvoir disposer de soi-même ni de « peser » sur le cours des choses. Donc de renforcer cette aliénation, mais sous une situation inédite.
Une nouvelle scolarité pour un nouveau schéma de société
C’est bien de ça dont il s’agit. Les organisations de jeunesse dans leur ensemble ont perdu de vue l’importance de la scolarité pour l’émancipation individuelle et collective, c’est pourtant une des pierres angulaires qui manque pour animer la vie des mouvements sociaux de la jeunesse sur le long terme. L’école (apprentissage et lycée pro compris) n’est plus là pour apporter critique et débat mais au contraire, pour former aux domaines jugés rentables. Nous devons sortir de ce schéma nuisible en ouvrant les discussions sur nos établissements et entre organisations du mouvement social. L’école et la formation pro doivent être pensées non plus pour les profits mais pour grandir, réfléchir, s’émanciper, se former à des métiers sociaux et écologiques, pour et avec les moyens de faire face à la catastrophe écologique.
Cela implique de ce fait d’affronter le modèle en vigueur. En réinsérant des espaces et des positions critiques directement au sein des cours et dans leur périphérie et en reconstruisant un puissant réseau d’associations et de syndicats capable d’en être à l’initiative ou de s’en faire le relais. Au-delà, c’est la structure même de l’enseignement qui est à repenser. Fini la verticale enseignantEs-enseignéEs. Il nous faut être en interaction permanente, au regard des besoins du XXIe siècle, cela passera par un refus systématique de la participation de près ou de loin des entreprises délétères en termes sociaux et écologiques, par la pleine gratuité de l’enseignement, par un salaire d’étudiantE, par une coparticipation des étudiantEs à la construction des programmes et des stages. Il est aussi prioritaire de réduire fortement la division du travail. Pourraient être ainsi mis en place des études de quatre jours par semaine maximum qui ne sépareraient pas travail intellectuel et manuel.
Avec des ateliers collectifs d’apprentissage et de réparation sur les campus, des terres à cultiver aux abords des établissements pour apprendre les bases de la paysannerie et être touTEs en capacité de prendre part à l’ensemble des galères qui nous attendent au XXIe siècle. Ou tout simplement pour s’émanciper !