Il y a un an, mouraient Moshin et Larami, âgés de 15 et 16 ans, tués dans un accident de moto après avoir été heurtés par une voiture de police. Mardi 25 novembre, 1 500 personnes leur ont rendu hommage. À ce jour, aucune des six informations judiciaires ouvertes pour homicide involontaire n’a été bouclée.
La lenteur de la justice contraste avec les moyens mis en œuvre pour retrouver les auteurs de tirs au plomb, lors des « émeutes » qui ont suivi la mort de Moshin et Larami, le 25 novembre 2007 : appel à la délation, assorti d’une rémunération allant jusqu’à plusieurs milliers d’euros ; descente médiatisée d’un millier d’hommes, au cours de laquelle 35 personnes ont été interpellées, dont cinq sont toujours en détention provisoire1. Sur le fond, cette lenteur s’explique par le fait que la version des policiers est contredite par les travaux des experts : ce qui était, pour le parquet de Pontoise, « un accident de la circulation », apparaît, comme le soulignaient déjà les témoins à l’époque2, comme une course-poursuite engagée par un véhicule de police qui roulait sans gyrophare, sans sirène et à une vitesse de 64 km/h, et non de 40 km/h, comme l’avaient indiqué les policiers.
Une violence policière meurtrière, comme la technique d’immobilisation de « clé d’étranglement », qui a valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, par un arrêt du 9 octobre 2007, après la mort par asphyxie de Mohamed Saoud à Toulon. La plainte pour homicide volontaire déposée par la famille s’est achevée sur un non-lieu. Cette technique a, de nouveau, été utilisée par les policiers de Grasse contre Hakim Ajimi, mort dans les mêmes circonstances, le 9 mai dernier. À ce jour, les proches d’Hakim réclament toujours justice.
Populisme pénal
Ces pratiques policières et judiciaires ne sont pas sans rappeler la mort de Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois, en 2005 ; trois ans après, alors que, là aussi, la version de la police a été démentie, il n’y a toujours pas eu de comparution. Contre ces violences policières, plusieurs collectifs et associations appellent à une mobilisation3.
À chaque fois, il ne s’agit pas d’un dérapage de plus, mais d’une orientation politique de criminalisation de la jeunesse, et particulièrement de celle des quartiers populaires. Le tout-répressif policier s’articule avec la décapitation de l’ordonnance de 1945, qui affirmait la primauté de l’éducatif. Mettre en prison, dès l’âge de 12 ans, voire 10, condamner les enfants de 16 ans aux mêmes peines que les adultes, supprimer des mesures éducatives prononcées par les juges ; voilà, quelques conclusions de la commission Varinard qui véhiculent par médias interposés, une série de mensonges concernant la délinquance des mineurs, qui toucherait davantage de personnes, à un âge de plus en plus jeune, pour des actes plus graves prétendument impunis4. Ces affirmations sont des contre-vérités, à l’image des récents propos télévisés de la ministre de la Justice, Rachida Dati, au sujet d’un détenu mineur, 52 fois condamné, qui, après enquête, s’avère ne pas exister !5
Ce nouveau populisme pénal, de la comparution immédiate aux peines plancher, jusqu’à la mise à mort de l’ordonnance de 1945, traduit une violence de l’État faisant écho à la militarisation des discours et des pratiques policières. Pour les habitants des cités, leur stigmatisation publique aura permis, pour partie, l’élection de Sarkozy, et permet aujourd’hui, au moins dans la volonté du gouvernement, de masquer les effets d’une politique libérale d’appauvrissement, de fragilisation économique et sociale de toute la population.
L’autre volet est l’utilisation, par les gouvernements de gauche comme de droite, du même logiciel pour interpréter toutes les révoltes, de Vaulx-en-Velin en 1990 jusqu’à Villiers-le Bel en 2007. L’objectif : les dépolitiser, et de deux manières. Tout d’abord, en minimisant et en détachant à chaque fois le même événement déclencheur, à savoir la violence extrême de la police, de la révolte elle-même. En 1990, Michel Rocard, au sujet de la mort de Thomas Claudio à Vaulx-en-Velin, renversé au niveau d’un barrage de police, parlera à l’Assemblée nationale d’un « incident de parcours ». Rien ne sera dit, par ailleurs, sur les autres morts qui déclenchent, l’année suivante, les révoltes de Sartrouville et de Mantes-la-Jolie.
Ensuite, en rapportant ces révoltes à un « problème des banlieues », problème prétendument spécifique et interne aux quartiers eux-mêmes et qui ne renvoie à aucune logique sociale d’ordre structurel. Les propos de Sarkozy et de Fadela Amara expliquant que « les émeutes de Villiers-le-Bel n’ont rien à voir avec la condition sociale des quartiers », font écho à ceux tenus par Jospin : il faut « cesser de donner des excuses d’ordre socio-économique aux délinquants. » Il s’agit dès lors, et c’est bien pratique, d’évacuer les propos des habitants des quartiers, les travaux des sociologues, les politiques s’attaquant aux causes structurelles et aux discriminations, et de convoquer à la place une batterie de criminologues décrivant ces habitants comme une meute en proie à des mécanismes irrationnels et coupés du reste de la société. Les mêmes dénoncent en boucle, dans les médias, une école qui brûle, pour ne surtout pas évoquer les milliers de scolarités qui partent en fumée chaque année faute de moyens : dans de nombreux quartiers populaires, 40 % des personnes n’ont aucune qualification.
Plans d’exclusion
Cette approche s’efforce ainsi de redéfinir la question sociale, désormais déconnectée de l’exploitation liée au travail et rabattue sur une prétendue dualité des territoires. Il y aurait d’un côté les inclus, adaptés au système, et de l’autre les exclus, vivant dans les quartiers dits « sensibles ». Les gouvernements de droite comme de gauche imposent une nouvelle grille de lecture et, du même coup, des réponses à l’échelle des quartiers : les différents plans « Banlieues ». Cette approche à la fois spatiale et ethnique évacue la montée du chômage et de la précarité, la chute du pouvoir d’achat, la casse des services publics et du logement social. Ainsi, à Villiers-le-Bel : 40 % de chômeurs dans certains quartiers, un revenu annuel par habitant de 6 500 euros, 80 logements construits depuis 1999, la poste fermée temporairement, une disparition de points d’accueil CAF, l’inexistence d’un lycée d’enseignement général, un manque de personnel criant à la Protection judiciaire de la jeunesse…
Les derniers plans « Banlieues » mis en œuvre aboutissent à une accélération de la précarité6, de l’épuration sociale et ethnique par la destruction de logements sociaux sous couvert de mixité sociale, de la disparition des services publics sous couvert d’adaptation à ces quartiers7, de la stigmatisation des habitants des cités et, plus précisément, des Noirs et des Arabes. Ce qui s’impose, c’est à la fois une politique globale et continue de création d’emplois stables, de renforcement des services publics passant par une redistribution juste et égalitaire des richesses, de lutte active contre toutes les discriminations, et aussi d’auto-organisation de ceux et celles touchés par ces mesures.
1. Daily Motion : témoignage de la sœur et du père de Larami.
2. Daily Motion : témoignage sur la mort de Larami et Moshin.
3. Campagne « Police, personne ne bouge ?! », samedi 6 décembre, 14 h 30, 20, rue Monsieur-le-Prince, Paris 6e.
4. À voir, le site du sociologue Laurent Muchielli : www.claris.org
5. Le Canard enchaîné du 5 novembre 2008.
6. Le plan « Espoir Banlieues » de Fadela Amara prévoyait des emplois jeunes pour 2008, dont 1 % seulement verra le jour.
7. Siblot Yasmine, Classes populaires et services publics, L’Harmattan, 14,20 euros.