Marches pour le climat, blocus lycéens et occupations étudiantes… Si les classes qui se tiennent sages se font de plus en plus rares, les jeunes inquietEs et mobiliséEs se font, elles et eux, toujours plus nombreux et nombreuses. Cependant cette jeunesse mobilisée est régulièrement, pour ne pas dire constamment, remise en cause et discréditée que ce soit dans ses modes d’action ou dans les enjeux dont elle s’empare. Et si ces thèmes ne sont pas critiqués pour ce qu’ils sont, la manière dont les jeunes incarnent ces enjeux ne semble jamais être la bonne.
La jeunesse fut de tout temps porteuse d’un message de rupture. Cependant, aujourd’hui, la place destinée à être occupée par la jeunesse dans le monde politique semble changer de nature. Sa présence dans le débat médiatique a augmenté et sa perception de la politique semble, elle aussi, en proie à de nombreux changements. Mais cette perception est-elle vraiment propre à la jeunesse des années 2000 ? Et si effectivement la jeunesse d’aujourd’hui est différente, comment l’expliquer ?
En rupture avec les partis traditionnels
Ce thème de la jeunesse et de son engagement politique n’est pas nouveau. La jeunesse se constitue elle-même comme un thème social à part entière depuis les années 1960, et Mai 68 est la première expression de masse de cette jeunesse révoltée. La volonté de rupture et la jeunesse forment donc depuis un certain temps un couple qui fonctionne en duo.
Il est néanmoins clair que l’entièreté des jeunes qui s’engagent ne sont pas en faveur d’une rupture incarnée par une révolution queer et anticapitaliste. Les partis de droite et d’extrême droite trouvent eux aussi un écho dans la jeunesse. L’engagement à l’extrême droite, s’il s’inscrit en réaction à l’émergence de valeurs post-matérialistes (on parle de contre-révolution silencieuse), s’inscrit aussi dans une logique de rupture. L’extrême droite et ses idées réactionnaires ne sont pas nouvelles, elles ne changent pas même si elles prétendent répondre à des problèmes différents. Cependant la manière dont les jeunes s’en emparent se fonde, elle, sur une logique de rupture puisque ces derniers entendent aller à l’encontre d’une marche du monde qui leur est défavorable (un dominant ne l’est jamais autant que lorsqu’il se prétend dominé).
Mais face à cette volonté de rupture, quels moyens pour faire changer radicalement les choses ? Le militantisme jeune dans les partis traditionnels n’est plus représentatif de l’engagement de la jeunesse, qu’il s’agisse du Parti socialiste ou des Républicains. Les jeunesses des partis politiques traditionnels ont, en général, plus servi à l’utilisation des jeunes pour promouvoir des candidats plutôt qu’à la réelle transmission d’un message. Que ce soit à gauche ou à droite : en 2007, les jeunes de l’UMP se rangent ainsi d’une seule et unique voix convaincue derrière la promotion du candidat Sarkozy, faisant ainsi disparaître, derrière la ligne du parti, la voix des jeunes ; le Parti socialiste n’est pas en reste et, lorsque par exemple les Jeunesses socialistes de la Seine se montrent trop agitées en s’opposant fortement à l’Algérie française, le parti décide de les dissoudre.
Les partis traditionnels ont en réalité perdu leur crédibilité à représenter un message jeune et différent. Et la volonté de la jeunesse d’aujourd’hui est claire : il ne s’agit plus d’être l’outil de transmission d’un message mais d’incarner le message. Les partis traditionnels ont donc été largement délaissés par les jeunes qui, au vu des urgences propres à leur génération, n’ont pas le temps de se plier à des échéances électorales. Les jeunes sont au contraire plus présents dans les associations, les syndicats qui ont récemment émergé. Le fort engagement dans de nouvelles organisations semble acter l’incapacité des outils traditionnels du champ politique à répondre aux préoccupations de la jeunesse. En outre, une partie importante des jeunes se déclare sensibles et concernés par certains enjeux, sans pour autant adhérer à des organisations conventionnelles. À ce titre la comparaison entre le nombre impressionnant de manifestantEs lors des marches pour le climat et le fait que seulement 11% des jeunes se disent proches du parti Europe Écologie Les Verts (enquête de l’institut Montaigne) montre bien que les partis politiques traditionnels n’ont plus le monopole de l’expression politique.
Au lycée, l’institution ou la répression
Il est possible d’expliquer ce phénomène par le manque d’écoute et de considération des institutions traditionnelles envers les jeunes.
Ce discrédit et cette volonté de délégitimer son action politique, le ou la jeune les rencontre dès la découverte de ses idéaux politiques. Le lieu de socialisation politique qu’est le lycée en est le parfait exemple. C’est au sein l’établissement scolaire que se font les premières manifestations, les premières discussions et débats politiques. Et si ce lieu semble aussi emblématique de la découverte d’une certaine forme de protestation ou d’implication, c’est parce qu’il arrive dans la vie d’unE jeune adolescentE au moment où il ou elle commence à s’émanciper de la sphère familiale. Et au sein de ce lieu où bouillonnent les prémices de la découverte du monde politique, deux choix s’offrent aux lycéenEs. Ils et elles peuvent choisir de s’engager de manière traditionnelle et conventionnelle dans la vie lycéenne en étant d’abord élu délégué de classe, puis être élu au Conseil de la vie lycéenne pour représenter ses camarades au conseil d’administration, et puis peut-être même au niveau régional ou national. Si ce modèle semble démocratique, il n’en est en réalité rien puisque la politique menée dans les lycées reste subordonnée aux choix faits par les dirigeants d’établissements et par le ministère de l’Éducation (un peu comme un État qui fonctionnerait à l’aide du 49.3 face à ses députés…). L’autre choix qui s’offre aux lycéenEs est donc celui d’une mobilisation moins conventionnelle, qui passe principalement par le blocus et la manifestation. Dans ce cas-là, le ou la lycéenE se trouve confronté à plusieurs problèmes : il ou elle est qualifié de fainéantE cherchant juste à sécher les cours, on lui dénie toute légitimité, et enfin quand il ou elle semble vraiment trop convaincuE de ses idées la police se charge de lui rappeler qu’il évolue dans une République synonyme d’écoute et d’expression politique. Les élèves du lycée Joliot-Curie à Nanterre, cibles d’une importante répression en octobre, peuvent en témoigner. La vie politique lycéenne est donc représentative de ce que rencontre le ou la jeune lorsqu’il ou elle cherche à s’exprimer politiquement : du discrédit, une absence de structure adaptée et une répression.
La question climatique au centre
Mais pourquoi cette jeunesse se démarque-t-elle des précédentes, en refusant les moyens d’action qui était auparavant les siens ? Le bousculement majeur dans l’identité jeune, ce qui fait sa particularité est peut-être quelque chose de commun à l’entièreté de la société. Le contexte qui est celui des 20, voire 30 dernières années semble, en effet, être empreint d’une négativité persistante et d’un manque d’espoir dans l’avenir. Il ne s’agit plus de rendre les choses meilleures, seulement d’essayer de conserver tel quel ce dont nous disposons déjà. Les mobilisations sociales se font de moins en moins pour l’avancée des droits et libertés mais de plus en plus pour leur maintien. À cela s’ajoute un élément central de l’identité des jeunes : la crise et le changement climatique.
Il est aujourd’hui clair que, quel que soit son niveau de politisation, plus personne n’est en mesure d’ignorer l’existence de la crise climatique. Seulement, cette crise climatique n’impacte pas les générations de la même manière. En effet, l’appréhension différente de cet enjeu par la jeunesse est indéniable. Et cela pour plusieurs raisons. Pour la plupart des jeunes nés dans les années 2000, le changement climatique fait partie du quotidien depuis leur plus jeune âge. La place laissée à l’innocence n’est pas très importante lorsque l’entièreté du fonctionnement et des comportements de la société humaine sont à revoir, au risque de la disparition de l’espèce humaine. À cette responsabilisation précoce s’ajoute le fait que chaque rapport du GIEC, chaque article consacré au climat, chaque documentaire animalier n’ont de cesse de rappeler l’urgence ainsi que notre inefficacité à agir face à cette dernière.
Cette omniprésence de la crise et de son caractère inéluctable pousse même certains jeunes à développer un syndrome d’anxiété climatique. Selon une étude menée par des universitaires étatsuniens, britanniques et finlandais sur 10 000 jeunes du monde entier, 46 % d’entre elles et eux déclarent souffrir d’« éco-anxiété ». Cette statistique témoigne de la place centrale prise par la cause environnementale, pas uniquement dans les causes qui mobilisent la jeunesse mais aussi dans son quotidien. Ce caractère omniprésent et urgent a amené aux plus grandes manifestations de jeunes de ces dernières années : les marches pour le climat de 2018, à l’initiative notamment de Greta Thunberg. Ces manifestations ont été marquées par un fort élan de très jeunes, pour une bonne partie lycéenEs, qui trouvaient dans ces rassemblements hebdomadaires un lieu de communion et d’action face au mépris apparent de la classe politique pour une réelle action climatique. Il est également intéressant de souligner que la plupart des militantEs d’organisation écolos sont des jeunes. Que ce soit avec Dernière Rénovation en France ou avec Stop Oil au Royaume-Uni, les actions de ces derniers mois ont laisse voir des jeunes engagés et déterminés dans la mise en œuvre d’actions directes dans le cadre de la lutte climatique. On ne peut appréhender la jeunesse d’aujourd’hui sans penser cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
La question des inégalités de genre
D’autres enjeux, nouveaux par leur intensité ou leur thème, sont aussi l’apanage d’une jeunesse qui bouscule le champ politique. La question du genre et de la lutte contre les inégalités, si elle n’est pas nouvelle, rencontre un écho très fort chez les jeunes. Tout comme c’est le cas avec l’écologie, quel que soit son degré de politisation, la majorité des individus a une conscience de l’existence des inégalités de genre. De nombreux collectifs féministes ont émergé ces dernières années, portés par des jeunes femmes qui entendent bousculer et renverser le patriarcat et avec lui ses oppressions.
Il est encore une fois question du contexte dans lequel la jeunesse est appelée à grandir et à se construire. La génération de jeunes d’aujourd’hui s’est politisée avec MeToo, avec la conscience des inégalités qui traversent l’absolue totalité des sphères sociales et sociétales. De nouvelles organisation émergent, mettant l’accent sur des oppressions jusqu’ici banalisées : l’exemple de NousToutes et des violences sexuelles et sexistes est parlant. Ce collectif née en juillet 2018 s’est depuis imposé comme un acteur central du féminisme et de la lutte contre les violences découlant du patriarcat hétérosexuel. Ces militantEs entendent tourner leur engagement vers l’action directe soit par de grandes manifestations, soit par des formations, soit par une pression exercée sur les politiques publiques. Son écho dans de nombreux départements, villes, universités témoignent d’une volonté de changement social généralisé et plus seulement institutionnel. Avec l’écologie, les inégalités de genre et les questions d’identité sexuelle — mobilisations pour les droits des personnes LGBTI — marquent la génération des années 2000 et font partie des thèmes nouveaux par leur intensité et par leur besoin d’une réponse efficace et urgente.
D’autres thèmes plus traditionnels marquent aussi la jeunesse tels que la précarité étudiante. Cette dernière pousse unE jeune sur deux à se salarier en plus de ses études. Et si des politiques d’aide sont mises en place, ces dernières sont très largement insuffisantes. Cette précarité étudiante a d’ailleurs été très fortement accentuée par la crise du Covid. Si des mesures ont été mises en place pendant la crise sanitaire, comme le repas à un euro pour touTEs les étudiantEs, elles ont depuis été supprimées. Alors que l’inflation n’a pas cessé et touche toujours aussi durement la population étudiante, les mesures visant seulement à atténuer des situations de crise extrême ne suffisent donc plus à rendre acceptable la situation de précarité à laquelle font face de nombreux jeunes. S’ajoutent à cela de forts problèmes d’isolement et de dépression, particulièrement présents chez les 18-24 ans. Tout cela se superpose, et produit une jeunesse qui ne se voit pas faire le tour du monde en avion avec la promesse d’un emploi grassement payé à leur retour.
Une jeunesse « dépolitisée » ?
Des enjeux nouveaux face à des structures anciennes : ici se cristallise la tension des mobilisations de la jeunesse. Cette tension débouche sur de la colère, de la frustration mais aussi, comme nous l’avons vu, sur de la mobilisation. S’il est possible de comprendre pourquoi cette jeunesse rompt avec les précédentes, comment expliquer le discrédit dont souffre la jeunesse dans une partie du discours médiatique et politique ? En effet, au cours de chaque cycle électoral, il est abordé la difficulté que rencontrent les partis politiques à mobiliser les jeunes pour aller les faire voter (pour eux, évidemment). Le portrait parfois fait de la jeunesse tend à la faire paraître désengagée, animée par des enjeux individualistes et matériels. Au contraire, lorsque les jeunes se mobilisent en faveur d’un parti, comme ce fut le cas pour LFI, ce dernier met fortement en avant le fait qu’il dispose du soutien de la jeunesse. En faisant quelque part un argument d’autorité du soutien électoral de la jeunesse, cette stratégie politique occulte le fait que l’abstention ne rime pas forcément avec démobilisation. Face à tous les problèmes que nous avons évoqués, la jeunesse est en recherche d’efficacité. Pour cela, elle aura tendance à favoriser l’action directe, aux dépens peut-être de la mobilisation électorale. La jeunesse n’a pas attendu Jean-Luc Mélenchon pour être écologiste, sociale et féministe. C’est au contraire elle qui l’a poussé vers certaines positions politiques.
Les principales critiques contre les jeunes et leurs actions émanent, dans les faits, des branches institutionnelles et conventionnelles de la sphère politique et médiatique. Toutefois, cette critique finit par rencontrer sa propre contradiction. Il est vrai que 40 % des jeunes (moins de 24 ans) n’a pas voté au premier tour des présidentielles. Mais ce fait est à mettre sur le compte d’un manque d’écho au sein de la population du régime représentatif. En cherchant à expliquer par les seules caractéristiques propres à la jeunesse les raisons de l’abstention du vote des jeunes, on se trompe d’objet. C’est le système qui se présente à la jeunesse qui est à questionner, pas l’inverse. Malgré tout, il est toujours plus facile de porter un regard critique sur les jeunes plutôt que d’admettre que l’on n’est pas en mesure d’apporter des solutions aux problèmes qu’elles et ils rencontrent.
La jeunesse n’est jamais à appréhender comme une et indivisible. Les divisions qui la traversent sont similaires à celles qui traversent le reste de la société. Ce qui fait sa particularité, c’est que des thèmes transcendent la quasi-totalité des clivages politiques et partisans. Seules des grandes causes fédèrent et dépassent les oppositions politiques. La jeunesse n’a pas choisi ses combats, ces derniers s’imposent durement à elle. Et face à l’ampleur de sa tâche, elle n’a guère le temps de s’embarrasser de considérations qui sont celles d’un autre temps. Si elle ne trouve pas les structures adéquates pour se mobiliser et changer brutalement les choses, la jeunesse créera ses structures en ou transformera d’autres. La révolution n’a jamais été aussi nécessaire, il est par conséquent grand temps de se donner les moyens de son ambition.