Ramatoulaye, 19 ans, tazée devant son frère de 7 ans. Sofien, Yassin, Ali tabassés... Ces exemples de violences policières dans nos quartiers ont un peu émergé au sein d’un discours dominant qui renouvelle le thème des « zones de non-droit » en temps d’épidémie. Le confinement y serait défié par une jeunesse décidément incapable de respecter lois et principes du vivre ensemble. Une rengaine répétée de Michel Onfray à l’extrême droite politique et par les principaux syndicats policiers. Comme souvent, le discours sur les quartiers est la pointe avancée d’une logique tendant à justifier partout plus de flics et de répression sous prétexte d’irresponsabilité de la population. Pourtant, l’image est loin de la réalité de la plupart de nos cités, où le confinement est généralement respecté. Ne serait-ce peut-être parce que les conséquences d’une rencontre avec la police y sont souvent bien plus traumatisantes qu’un simple PV. Et que ça, lorsqu’on l’on y est unE jeune raciséE, ou parent de jeunes raciséEs, on le sait depuis longtemps.
Conséquences de l’abandon étatique
Se confiner en quartiers populaires est pourtant particulièrement compliqué et la vie « dehors » souvent essentielle. Avec des logements trop exigus, parfois insalubres, les zones d’intimité et les espaces de loisirs sont réduits tandis que les enfants sont relativement nombreux et que précarité et chômage imposent aux jeunes adultes de rester longtemps dans l’appartement des parents. D’autre part, et contrairement à bien d’autres endroits, la densité de population déjà forte dans le quartier n’a pas diminué. Pas de départs, ici, pour les résidences secondaires ou les grandes maisons familiales. Le quartier est plein. Si tout le monde s’offre son heure de balade légale, c’est vite la foule. On réduit donc au maximum. D’autant que le manque de services publics et de commerces, déjà problématique en temps normal, impose des files d’attente anxiogènes : à La Poste, devant les photocopieurs permettant de reproduire ces fichues attestations, au tabac... Le pseudo-journaliste hâtif verra dans ces regroupement des signes de relâchement, et les flics l’occasion de faire les cow-boys. Ce ne sont pourtant qu’une des conséquences de l’abandon étatique. Et puis, il faut bien sortir travailler, puisque ici, ceux et celles qui ont un emploi l’ont rarement en télétravail, et sont bien souvent dans ces « premières lignes » acclamées par ailleurs : personnels hospitalierEs, caissierEs, livreurs et livreuses, postierEs, prolos dans les usines que l’État se refuse à fermer... Nombre de témoignages de violences policières viennent d’ailleurs de salariéEs chopés au retour du boulot.
Violence institutionnelle et économique
Un réel accroissement des violences policières dans les quartiers n’est pour autant pas une évidence. Peut-être sont-elles juste plus visibles de par la disponibilité importante de témoins aux fenêtres. Si l’on pense à la mobilisation massive de la police sur l’ensemble du territoire tandis que les espaces dégagés des grands ensembles sont largement vidés de leur jeunesse, ce constat est logique. L’arbitraire policier, nourri par un sentiment de légitimité sanitaire en plus de son habituelle impunité, s’est développé largement au-delà des quartiers où la police a l’habitude d’exercer ses pratiques coloniales et racistes.Alors, si au bout de deux jours de confinement, 10% des amendes avaient été délivrées en Seine-Saint-Denis, département qui a aussi le triste record du nombre de victimes du virus, cela ne dit pas forcément l’accroissement de la présence policière. Mais cela dit par contre toute la violence institutionnelle et économique que subissent ceux-ci en temps « normal », que l’épidémie révèle et accentue, comme elle révèle bien d’autres tares du capitalisme... Et comme elle révèle le sens des priorités d’un gouvernement incapable de se poser la question de l’accompagnement humain des populations les plus fragilisées, ne sachant répondre à la crise que par la répression policière et judiciaire, et bientôt l’exploitation capitaliste accrue.