Publié le Mardi 4 juillet 2023 à 12h00.

Contre le patriarcat et le capitalisme, construisons des Prides de lutte, de masse !

La saison des Marches des Fiertés a commencé. Celles-ci vont encore être massives, plus encore que l’année dernière. En effet, les questions LGBTI sont aujourd’hui une porte d’entrée vers la politisation pour de nombreuxSES jeunes. Certaines villes comme Agen, Blois ou Tarbes ont vu une Pride organisée pour la première fois cette année.

 

Loin des festivités célébrées par de nombreuses entreprises capitalistes, gouvernements et même parfois la police, la première pride était une émeute. Dans la nuit du 28 au 29 juin 1969 à New York, une énième descente de flics a lieu dans un bar gay, le Stonewall Inn. C’est celle de trop. Elle provoque une émeute, des affrontements entre des personnes trans, des drag queens, des gays, des lesbiennes, contre la police new yorkaise. C’est en hommage à cette émeute de Stonewall qu’a eu lieu la première Pride l’année suivante à New York. C’est toujours en hommage à cette émeute de Stonewall que de nombreuses Pride ont lieu à cette période de l’année partout dans le monde.

Stonewall n’était pas le premier soulèvement contre le harcèlement policier1, mais il marque l’émergence du militantisme LGBTI aux États-Unis et dans le monde, et visibilise le combat pour l’égalité des droits. L’héritage de Stonewall c’est qu’il faut s’organiser, que c’est par la lutte que nous pouvons nous battre pour ne plus subir et arracher des droits.

L’extrême droite et les réactionnaires à l’offensive au niveau mondial

En Ouganda, une loi promulguée le 29 mai dernier est parmi les plus répressives du monde. Elle condamne à mort toute personne qui commettrait des actes « d’homosexualité aggravée ». Elle punit de 20 ans de prison toute personne qui ferait la « promotion » de l’homosexualité et met en place des thérapies de conversion obligatoires. C’est le résultat de plus de vingt ans de prosélytisme religieux des groupes intégristes chrétiens américains2.

Aux États-Unis justement, selon le Trans Legislation Tracker3, 556 projets de loi pour restreindre les droits des personnes trans ont été proposés, et parmi eux 86 sont entrés en vigueur. Ces projets ont pour objectif de bloquer les transitions, retirer la garde d’enfants trans aux parents qui les soutiennent, interdire de parler d’homosexualité ou de transidentité à l’école. Les LGBTI et en premier lieu les personnes trans commencent à fuir les États républicains pour échapper aux attaques3.

Plus récemment, en Russie, les députés viennent d’adopter l’interdiction de la transition médicale et le changement de mention de genre sous prétexte de défendre les « valeurs familiales traditionnelles ». Bien évidemment, ce texte prévoit des exceptions afin de continuer les mutilations sur les personnes intersexes.

La France n’est pas épargnée par les attaques

Si le contexte en France reste meilleur, l’offensive anti-trans a pourtant déjà commencé. Le groupe LR du Sénat a créé un groupe de travail sur les enfants trans, après avoir voulu autoriser les thérapies de conversion sur les personnes trans. Tous les mois, une nouvelle tribune transphobe paraît dans les journaux, répétant ad nauseam les mêmes faux arguments sur la protection des mineurs, contre le consensus médical international. Le RN a lancé une « association parlementaire contre le wokisme » et commence à ferrailler à l’Assemblée sur le sujet. Des activistes anti-trans, Marguerite Stern et Dora Moutot, ont été reçues en grande pompe par Aurore Bergé, patronne des députés macronistes.

Ce débat sur la « question trans » rappelle les débats sur le mariage pour tous avec 10 minutes pour les homophobes – arguant que cela sonnait la fin de notre civilisation – et parfois 10 minutes pour les personnes qui voulaient seulement se marier. Situation qui rappelait déjà les débats sur la fin de la pénalisation de l’homosexualité, elle aussi qualifiée de fin de la civilisation il y a un peu plus de 40 ans. À chaque fois la parole des concernéEs fut minimisée, cachée, rejetée, étouffée.

Dans ce contexte, les attaques contre les personnes LGBTI se multiplient. Des centres LGBTI sont dégradés et attaqués, à l’explosif comme à Tours. Des lectures drags sont menacées, suivant là encore les paniques américaines. Et ce n’est pas uniquement l’extrême droite qui est à l’offensive. La police s’y met aussi. Le 24 mai, le Bonjour Madame, bar queer et féministe de Paris, a fait l’objet d’une descente qui a mobilisé une vingtaine de policiers et a abouti à deux semaines de fermeture pour des prétextes administratifs. Cette intimidation arrive un peu moins de deux mois après l’arrestation violente et injustifiée de deux personnes présentes dans le bar après avoir manifesté contre la réforme des retraites.

Le mouvement LGBTI à la croisée des chemins

Dans sa motion soumise aux votes des AG lors du 5e Congrès du NPA en décembre 2022, la commission LGBTI écrivait4 : « Plusieurs stratégies coexistent au sein du mouvement LGBTI. La stratégie réformiste est présente dès le début des mouvements de libération dans les années 1970 – et elle s’accélère au cours des années sida – autour d’une politique de lobbying et d’interpellation des parlementaires. Si elle a pu obtenir plusieurs succès (dépénalisation des lois sur l’homosexualité, mariage pour toutEs, évolution des discours au sein du mouvement social sur les questions LGBTI…), son discours en faveur de l’intégration au système capitaliste bénéficie davantage aux personnes LGBTI aisées qu’aux plus défavorisées (issues des classes populaires, racisées, trans, migrantes, etc.). Elle empêche une critique en profondeur du capitalisme, favorise la marchandisation des Prides et le pinkwashing. De plus, l’écroulement du PS a rendu plus difficile la politique de lobbying vis-à-vis des institutions, LREM oscillant entre “progressistes” et LGBTIphobes, le plus souvent au profit de ces derniers. En face, une orientation plus radicale, méfiante envers l’État et ses institutions, existe depuis les premiers mouvements politiques LGBTI. À l’heure actuelle, elle se définit comme intersectionnelle, ouverte à l’articulation entre LGBTIphobies et racisme, mais également indépendante de l’Inter-LGBT (qui incarne la posture intégrationniste). Elle a permis de politiser toute une génération militante en mettant au jour les schémas de domination au sein des communautés LGBTI. Ses limites sont qu’elle tend à poser les questions politiques en termes individuels, autour notamment de la question des privilèges, c’est-à-dire des bénéfices que tire une personne de sa position dominante. Il ne s’agit alors plus de construire un mouvement de masse et large, pour gagner de nouveaux droits, mais uniquement des petits collectifs, plus radicaux et « safes » que les autres – et souvent éphémères. En découle une volonté de mettre à distance les syndicats et partis du mouvement ouvrier, ce qui s’explique d’autant plus par l’absence de campagnes politiques et de présence sur le terrain sur les questions LGBTI du mouvement ouvrier et de ses organisations. »

La situation a évolué depuis. La prochaine marche parisienne, organisée par l’Inter-LGBT, se fera sans chars d’entreprises5 dans un contexte de « décarbonation » de la marche. En face, émerge une volonté de travailler avec le mouvement ouvrier et ses organisations, même si elle est encore parcellaire et balbutiante6. La présence du Pink Bloc initié par les Inverties dans les manifestations contre la réforme des retraites en est une illustration7. La présence d’un cortège intersyndical lors de l’Existransinter8 (comprenant Solidaires, la FSE (Fédération syndicale étudiante) et le STJV (Syndicat des TravailleurEs du Jeu Vidéo) en est une autre. Lors de la même manifestation, l’OST (Organisation de solidarité trans) de Tours a appelé à reconstruire les syndicats9. À Strasbourg, une Pride radicale, plus revendicative, a été organisée par la FSE et des sections locales de Solidaires10.

Cette recherche de convergences entre le mouvement LGBTI et le mouvement social est à saluer. Il faut saluer quand les organisations du mouvement ouvrier, en premier lieu les syndicats, s’approprient les revendications du mouvement LGBTI et, d’autre part, quand les personnes LGBTI investissent les organisations du mouvement ouvrier. Néanmoins, l’objectif n’est pas de subordonner le mouvement LGBTI à la gauche syndicale et politique, le transformant en simple émanation de celle-ci. Le mouvement LGBTI doit se développer de manière autonome, pour pouvoir être « à égalité » avec le mouvement ouvrier, pour pouvoir le pousser à aller plus loin qu’il ne le voudrait, en termes de revendications, de participation aux mobilisations, et de prise en charge des LGBTIphobies en interne et en externe.

Ce que défendent les révolutionnaires

Dans ce cadre, les révolutionnaires prennent leur part dans le développement du mouvement LGBTI pour construire un mouvement large et unitaire à tous les niveaux. Nous sommes là pour « tenir les bouts », c’est-à-dire construire les alliances pour faire front. Tout d’abord au sein du mouvement LGBTI entre groupes plus radicaux et secteur « réformiste », comme l’Inter-LGBT. Puis entre le mouvement LGBTI et le mouvement ouvrier, ainsi qu’entre le mouvement LGBTI et le mouvement féministe pour le droit à disposer de son corps librement. Ces mouvements n’en seront que plus forts et ce n’est qu’ainsi que nous parviendrons à entraîner l’ensemble du mouvement LGBTI dans la lutte contre le gouvernement, contre l’extrême droite et le fascisme, contre le capitalisme, pour gagner de nouveaux droits.

Dans le contexte de la montée de l’extrême droite, les forces réactionnaires ciblent les LGBTI. C’était le cas lors du mariage pour tous. Nous le voyons aujourd’hui dans les offensives anti-trans. L’évolution de la réaction impose d’adapter notre intervention car renforcer le mouvement LGBTI devient un enjeu clé et un impératif antifasciste. Contre la marginalisation des questions LGBTI, il faut rappeler que défendre les revendications du mouvement LGBTI, c’est défendre les droits d’un des groupes les plus opprimés au sein des classes populaires.

Défendre ces droits et défendre la libre disposition de nos propres corps impliquent que nous devons revendiquer l’amélioration de l’accès des droits reproductifs et leur extension, c’est-à-dire la PMA pour toutEs, le remboursement par la Sécurité sociale de tous les frais de transition, la libre disposition de nos gamètes. Cela implique aussi que nous nous battons contre les violences médicales, notamment les thérapies de conversion et les mutilations des personnes intersexes. Nos corps, nos choix !

Mais défendre concrètement ces droits c’est faire face aux forces réactionnaires et d’extrême droite à l’offensive contre les LGBTI. Comme nous l’avons écrit, partout à travers la planète un mouvement réactionnaire se cristallise contre les personnes trans afin de pouvoir attaquer ensuite les droits des femmes, les droits de toutes les personnes LGBTI, à l’image des États-Unis où la Cour suprême a remis en cause le droit à l’IVG. Que cette remise en cause se soit faite après des années de montée des mouvements, discours et attaques anti-trans dans les sphères politico-médiatiques américaines n’est pas un hasard. C’est aussi la raison pour laquelle les réacs et les transphobes s’en prennent au Planning familial, trop transinclusif à leur goût : pour liquider la structure féministe historique du combat pour le droit à l’avortement en France.

Dans le même temps, puisque les attaques sont mondiales, il s’agit de défendre une politique internationaliste : accueil et régularisation des sans-papiers et des migrantEs LGBTI, prise d’initiatives de soutien avec les LGBTI oppriméEs à travers la planète par l’organisation de rassemblements et de réunions publiques, etc. Ce travail de construction des liens et des solidarités s’est produit lors de l’Existransinter qui a défilé également contre la loi Darmanin.

Défendre nos droits en tant que LGBTI, c’est aussi défendre notre droit à une vie digne face aux attaques anti-sociales du gouvernement qui nous affectent davantage encore. On l’a vu avec la réforme des retraites ou celle de l’assurance chômage. La précarisation accrue des LGBTI par les attaques de ce gouvernement contre notre camp social est un rappel parmi d’autres que la grande majorité des LGBTI font partie de la classe ouvrière et sont exploitéEs par le capitalisme à ce titre. Nous revendiquons donc l’abrogation de ces réformes, l’augmentation massive des salaires et des minimas sociaux, la fin de la précarité. De la même manière, le travail du sexe (ou prostitution) est aujourd’hui le seul moyen de subsistance pour nombre de personnes LGBTI, en particulier les personnes trans (et parmi celles-ci, les femmes trans, notamment migrantes), c’est pourquoi il convient de se battre pour l’abrogation de la loi de pénalisation des clients de 2016, contre le harcèlement policier.

Les LGBTI, en première ligne contre le capitalisme et le patriarcat

Pour défendre nos droits, il faut ainsi en finir avec le patriarcat, pilier fondamental du capitalisme, et en finir avec le système capitaliste responsable de notre oppression. C’est parce que ce système a besoin de la famille hétérosexuelle pour se maintenir que la division de genre et l’hétérosexualité comme normes existent. C’est parce que nos existences fragilisent ces normes que le capitalisme nous oppresse.

Il est essentiel de reconstruire un mouvement LGBTI fort, qui se lie aux mouvements féministe, antiraciste, écologiste et ouvrier. Un mouvement d’ensemble qui mette un coup d’arrêt aux attaques, qui soit assez fort pour arrêter l’extrême droite, dégager le gouvernement et qui pose les bases d’une rupture avec le système capitaliste. Il y a urgence à mettre en œuvre la vraie démocratie, celle des LGBTI et de touTEs les oppriméEs et les exploitéEs, celle de celles et ceux qui produisent les richesses, celle du mouvement ouvrier. C’est par la lutte que nous défendrons nos droits et que nous en obtiendrons de nouveaux.

  • 1. Nous pouvons citer l’émeute de Cooper Do-nut à Los Angeles en 1959 ou celles de la Cafétéria Compton à San Francisco en 1966.
  • 2. Paul Martial, « Intégrisme chrétien : croisade réactionnaire en Afrique », L’Anticapitaliste n° 665 du 8 juin 2023.
  • 3. Erin Reed, « US Internal Refugee Crisis: 130-260k Trans People Have Already Fled », Erin in the morning, 14 juin 2023.
  • 4. BI de congrès d’octobre 2022, page 31.
  • 5. Florine Cauchie, « Il n’y aura pas de char cette année à la Marche des Fiertés de Paris, on vous explique pourquoi », Néon, 19 avril 2023.
  • 6. Hélène Lamide, « Les LGBTI mobiliséEs contre la réforme des retraites ! », L’Anticapitaliste n° 665 du 8 juin 2023
  • 7. Dans certaines villes, les organisateurEs, se voulant plus radicaux, refusent malheureusement la présence d’organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier, perçues comme liées au « système »…
  • 8. Manifestation pour les droits des personnes trans, intersexes, et celleux qui les soutiennent
  • 9. Existransinter, notre discours, Instagram.
  • 10. Joffray Vasseur, « “C’est par la lutte qu’on arrache des victoires”, la première Pride radicale de Strasbourg aura lieu samedi 10 juin », France 3 Grand Est.