Entretien. Porte-parole de l’association Droit au logement (DAL), Jean-Baptiste Eyraud fait un état des lieux du logement au moment où cette question est instrumentalisée par une partie de la classe politique pour dresser l’opinion contre l’accueil des réfugiés. Il revient aussi sur l’occupation en cours d’un immeuble à Saint-Ouen (93).
Vous occupez actuellement un immeuble à Saint-Ouen...
Ce sont les derniers moments de ce foyer de jeunes travailleurs qui est en cours d’expulsion. 170 résidents ont déjà été expulsés, et une trentaine d’entre eux résistent depuis 2 ans. La municipalité est propriétaire de cet immeuble par le biais de l’office HLM de Saint-Ouen. Elle attend de pouvoir dégager les derniers locataires pour le vendre à Vinci et en faire un hôtel de luxe dans ce secteur en pleine recomposition urbaine, en plein mouvement d’épuration sociale... Eux parlent de « requalification urbaine », nous ont dit que c’est de l’épuration sociale, ce qui veut dire que l’on dégage les classes populaires. Le maire de droite, élu aux dernières élections municipales, a annoncé qu’il allait réduire d’au moins 30 % les logements sociaux sur sa ville. Cet immeuble pour lui, c’est du logement social qu’il faut détruire.
On est donc arrivé mardi 15 septembre vers midi. On n’a pas demandé l’avis des vigiles, on est rentré et on a poussé, avec 150 personnes, avec des familles de différents collectifs qui ont été expulsées cet été. On est monté au 14e étage et sur le toit, et on a occupé les lieux. On a d’abord demandé la réquisition par l’État. Il semblerait que le concours de la force publique ait été demandé le jour même par l’office HLM, le préfet du 93 aurait donné son accord, et pourtant il n’y a pas eu expulsion.
Pourquoi cette occupation ?
L’idée, c’est qu’il faut réquisitionner. Il y a des campements dans toute l’Île-de-France. On s’occupe des réfugiés, mais il faut s’occuper de tous les réfugiés, c’est-à-dire des réfugiés des guerres militaires, des guerres coloniales ou post-coloniales, des réfugiés de la guerre économique, des réfugiés de la guerre contre les pauvres, la guerre que mène le capitalisme, que mènent les plus riches contre la majorité de la population mondiale, en tout cas contre les plus fragiles.
C’est sur ce mot d’ordre que l’on a rallié les différents collectifs des différents campements dans le 93 où il y a une répression très dure depuis 2 ou 3 ans, depuis l’arrivée du préfet Galli. Des familles qui campaient place de la République sont venues s’installer ici, mais aussi des familles roms du village d’insertion de Saint-Ouen, du chemin des Vignes à Pantin, de Saint-Denis, de Boulogne-Billancourt qui étaient en galère...
Ce que l’on demande, c’est le relogement de toutes celles et ceux qui sont là et la réquisition pour tous les sans-abris.
Marine Le Pen utilise le nombre de chômeurs, de sans-logis, pour s’opposer à l’accueil des réfugiés…
D’abord, il faut dire que tous les réfugiés ne sont pas hébergés. La preuve, on en a quelques-uns avec nous, de Syrie ou du Soudan. Et il y a plein de gens qui sont à la rue... et il y a plein de logements vides ! On va voir comment va réagir l’État. Cette action vient l’interpeller fortement sur la situation des autres sans-abris, des réfugiés de l’intérieur. Nous disons nous qu’il faut s’occuper de tous les sans-abris, et qu’il y a la place pour les héberger tous, qu’ils soient réfugiés des guerres militaires, des guerres sociales, des guerres contre les pauvres...
C’est le moment de foncer ! Dans la foulée compassionnelle, il faut pousser les acteurs politiques, les décideurs, les grands propriétaires, ceux qui gèrent les biens immobiliers, les obliger à s’occuper des autres. C’est le moment de se mobiliser.
La mairie de Paris a annoncé qu’elle avait hébergé 800 personnes des campements de réfugiés…
On n’a pas de retour. On n’a pas de signalement de familles qui auraient été virées pour être remplacées par des réfugiés. Ils ont mis plus de fric, et ont mobilisé des biens qui étaient vacants. Ils ont créé de nouvelles places, mais on sait ce qu’il en est des nouvelles places quand elles deviennent un peu vieilles. Quand il s’agit de payer les hôtels, alors on commence à fermer ici et là.
Il ne faut pas oublier que la COP21 arrive, c’est un élément déterminant. Le sentiment que l’on a, c’est que le gouvernement a l’intention de lisser un peu la situation. Pas de bordel comme à Sao Paulo, lors de la coupe du monde de foot au Brésil, où les manifestants venaient s’installer sur les terrains à côté des terrains de foot. Le préfet Galli de la Seine-Saint-Denis y est allé franco, comme il fait d’habitude, avec ses expulsions. Mais manque de pot, comme on était aussi présent avec un campement en plein Paris, place de la République, les campements du 93 ont tenu parce qu’il savait très bien qu’en cas d’expulsion, les familles allaient débarquer à République. C’est cela qui s’est passé cet été : on était un peu la clé de voûte des campements.
Et la politique de ce gouvernement ?
C’est la catastrophe. Sur l’hébergement, on pousse, il y a une fenêtre, c’est clair, mais pour le reste, c’est une politique du logement pour les riches. Ainsi, pendant l’été, il y a eu débat sur la possibilité d’économies sur les allocations logement. Qui touche les APL en France ? Les 10 % les plus pauvres touchent 90 % des APL. C’est sur ceux-là que ça va rogner, ce sont eux qui vont se faire raboter...
La suppression des aides à la pierre, c’est-à-dire les aides à la construction de logement sociaux, a été envisagée par le gouvernement. Peut-être que ça ne va pas se faire, mais ils veulent compenser par quoi ? Par un fonds de mutualisation des bailleurs sociaux ! Sur le fond c’est quoi ? C’est l’argent des locataires ! S’il y a des bailleurs sociaux qui ont de l’argent de côté, ils devraient l’utiliser pour améliorer les conditions de logement des locataires. Sil y a trop d’argent, normalement on l’utilise pour réhabiliter, pour s’occuper de ces cités qui sont dévastées, que ces bailleurs laissent à l’abandon. C’est ça qu’ils devraient faire, c’est leur boulot. Ils devraient en permanence entretenir leurs biens immobiliers. Mais ils ne le font pas, ils préfèrent démolir et faire des réhabilitations lourdes : on déplace les gens, on construit des résidences étudiantes ou pour personnes âgées à la place des logements détruits, on remplace, on pousse les gens indésirables. Notre occupation à Saint-Ouen fait partie des éléments de résistance à ces politiques.
Il y a aussi la baisse du taux du livret A à 0,75 %. Pousser à la dé-collecte du livret A, c’est fragiliser le financement du logement social, au profit des activités spéculatives des banques qui placent ces sommes à des taux plus élevés mais à risques. Beaucoup d’épargnants se retirent, et ce mois-ci, on va faire les comptes mais ça va être une catastrophe.
Quelles perspectives de mobilisation ?
Nous, on serait favorables à une initiative le 10 octobre sur le logement. Les deux thèmes sur lesquels on peut largement se retrouver, c’est un toit pour tous et le refus des expulsions. Ceci dit, il y a les politiques du logement. Il y a un texte qui est en cours de discussion entre les associations. Peut-être que les menaces qui pèsent sur le logement social vont en décider quelques-unes. La suppression des aides à la pierre, c’est une vraie révolution libérale, une régression importante qui peut amener certaines associations à se mobiliser. On espère qu’il va y avoir un sursaut. Là cela peut être l’occasion de se retrouver tous : un toit pour tous, pas d’expulsion, 200 000 HLM par an, la préservation des moyens du financement social, le livret A, la collecte du 1 % logement, l’encadrement des loyers qui sont à la hausse dans la proche banlieue.
Pour la COP21 en décembre, on verra. Le week-end prochain, dans le cadre d’Alternatiba place de la République, on y sera avec le campement. Pour la COP21, il faudra déjà s’assurer qu’ils ne virent pas les hébergés des hôtels pour faire de la place...
Propos recueillis par JMB