L’examen de la loi « séparatisme » a débuté au Sénat le 30 mars. L’occasion pour les sénateurs d’ajouter de l’abject à l’infâme en multipliant les déclarations et les amendements visant à « durcir » encore un peu plus un texte déjà particulièrement stigmatisant et liberticide.
Comme on pouvait malheureusement s’y attendre, le passage au Sénat de la loi « séparatisme », adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le mardi 17 février, se traduit par une surenchère raciste et liberticide. Difficile de lister ici l’ensemble des amendements adoptés par le Sénat, avec un gouvernement qui fait mine de s’y opposer alors qu’il est responsable de cette surenchère.
Une surenchère prévisible
Interdiction du port du voile dans l’espace public pour les mineures, interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires, mais aussi interdiction des drapeaux étrangers lors des mariages : les lubies racistes de la droite sont à l’honneur, et les sénateurs s’en donnent à cœur joie, adoptant également un amendement contre les « listes communautaires » lors des élections et un autre contre la délivrance ou le renouvellement des titres de séjour en France à des étrangerEs qui rejetteraient « manifestement les principes de la République ».
Le gouvernement, avec Gérald Darmanin et Marlène Schiappa en « première ligne », tente de se démarquer de cette surenchère en prétendant qu’elle va à l’encontre de « l’esprit » de la loi « séparatisme ». Et le moins que l’on puisse dire est que les démonstrations sont peu concluantes, principalement appuyées sur des arguments juridiques. Et pour cause ! Comme si ce n’était pas lui qui avait ouvert la boîte de Pandore et fait délibérément le choix de jeter en pâture les musulmanEs avec ce projet de loi par essence stigmatisant et discriminatoire…
En réalité, le « débat » entre, d’une part, le gouvernement et, d’autre part, la droite extrême et l’extrême droite, malgré les mises en scène et les effets de tribune, ne porte pas sur la logique générale du projet de loi. Pour ces gens, la question n’est pas de savoir si les musulmanEs doivent être visés par des mesures discriminatoires et liberticides, mais jusqu’à quel point ils et elles doivent l’être.
Le lamentable « amendement Unef »
Et le moins que l’on puisse dire est qu’une bonne partie de la « gauche » se rend complice de cette surenchère. À propos de l’amendement sur les titres de séjour, la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie a ainsi affirmé : « Nous partageons l’objectif mais nous pensons que c’est juridiquement instable ». Et que dire des résultats du vote sur l’« amendement Unef », adopté avec le soutien ou l’abstention de la « gauche », qui prévoit la dissolution des associations organisant des réunions non-mixtes entre personnes racisées… Avec ce commentaire de Jean-Pierre Sueur (PS) : « Ne pas voter [cet amendement], ça veut dire qu’on accepte une forme d’apartheid. » Et celui de Marie-Noëlle Lienemann, rattachée au groupe communiste : « Je ne veux pas que la gauche ait l’air complice de réunions qui excluent les gens. »
Les réunions en non-mixité choisie sont un outil destiné à favoriser discussions, prises de conscience et élaboration politique entre personnes victimes d’une oppression spécifique. Depuis longtemps, le mouvement des femmes a recours à ce type de réunions, qui sont un moyen pour les premierEs concernéEs par une oppression de se retrouver entre elles et eux. Et il n’y a rien de surprenant ou de choquant à ce que des personnes racisées puissent elles aussi se retrouver. En réalité, l’absence d’opposition résolue à l’« amendement Unef » et son adoption avec l’assentiment du pouvoir, qui a largement participé à la campagne raciste contre la non-mixité, sont des symptômes des succès idéologiques de l’extrême droite, qui n’aurait sans doute pas rêvé, il y a encore quelques années, du projet de loi « séparatisme » et des débats qui l’accompagnent. Il n’est pas encore trop tard pour réagir.