« Tête haute et mains propres », qu’ils disaient. A travers ce slogan, Jean-Marie Le Pen voulait prétendre dans le passé – sur fond de scandales politico-financiers et de procès spectaculaires (en 1990 et 1995) – qu’il était extérieur aux « magouilles de la classe politique ». A cette dernière, les partisans du FN collèrent le qualificatif « Tous pourris », qu’ils ne pensaient évidemment pas appliquer à leur propre parti.
Depuis le 8 juin 2015, une enquête judiciaire est ouverte contre Jean-Marie Le Pen. Son objet est le délit de « blanchiment de fraude fiscale », sur fond de compte secret ouvert en Suisse. Son existence avait été révélée en 2013 par « Mediapart » ; selon ses informations, ce compte, ouvert dans les années 1990, avait été alimenté de 2,2 millions d’euros, dont 1,7 millions sous forme de lingots et de pièces d’or. Jean-Marie Le Pen n’aurait-il pas fait confiance, alors, en la valeur du franc (français ou suisse) ?
Ce n’est pas la seule enquête pénale en cours contre des représentants, ou – dans le cas de Jean-Marie Le Pen – désormais ex-représentants, du FN. Rappelons que le « micro-parti Jeanne », structure de financement du FN, est à son tour mis en examen, en tant que personne morale. Depuis le 5 mai dernier, une enquête est en effet ouverte contre cette structure pour « escroquerie » et financement illicite d’un parti politique. Dans la même affaire, un très proche de Marine Le Pen, un certain Frédéric Chatillon (et ex-militant du groupe violent GUD, et proche du régime syrien de Bacher Al-Assad), a été en examen à plusieurs titres. Il collectionne ainsi des poursuites pour « faux et usage de faux », « escroquerie » , « abus de biens sociaux (ABS) », « blanchiment d’ABS » (depuis fin janvier 2015) et pour « financement illégal de parti politique » (depuis le 8 avril 15). « Mains propres », qu’ils disaient…
Rappelons aussi que la situation de 29 assistants parlementaires de la délégation du FN au Parlement européen de Strasbourg fait, à son tour, l’objet d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris pour « abus de confiance », le 24 mars 2015. Ils sont soupçonnés d’avoir détourné des moyens du Parlement européen, en occupant des postes fictifs. 19 parmi eux et elles ne possédaient même pas une adresse de bureau à Strasbourg ou Bruxelles, et 18 avaient en même temps un mandat local (contre trois au PS et six à l’UMP se trouvant dans le même cas). Ce qui signifie que, très probablement, ils ne s’occupaient que d’affaires franco-françaises, et que leur emploi auprès du Parlement européen était purement fictif… destiné à encaisser des (gros) ronds.
A ce niveau précis, le FN a tenté d’apporter une réponse aux reproches qui lui furent adressés, et de faire évoluer la situation. Le Monde du jeudi 18 juin 2015 nous apprend que les instances dirigeantes du parti – au niveau national – se réunissent elles-mêmes, dorénavant, à Strasbourg. La parade semble ainsi tout trouvée, et la solution semble pratique, du point de vue de l’appareil du parti néofasciste lui-même. Puisque sept membres de son « Bureau exécutif » sur huit sont aussi eurodéput-é-s, tant qu’à faire les réunions à Strasbourg !
A l’avenir, ils et elles ne manqueront d’ailleurs pas de boulot, à Strasbourg (ou Bruxelles), parce que le FN vient de réussir – après deux tentatives infructueuses en juin puis octobre 2014 – la constitution d’un groupe au Parlement européen. Baptisé « Europe des nations et des libertés », il comprend 36 eurodéputéEs, dont 21 viennent du FN français seul. (Ses 24 europdéputé-e-s initialement élus, moins Joëlle Bergeron qui a été exclu en juin 2014, moins Jean-Marie Le Pen « suspendu » du parti, moins son fidèle Bruno Gollnisch qui ne supporte pas de voir le vieux viré).
Ce groupe a été officiellement créé le mardi 16 juin. Sa constitution est devenue possible parce que des parlementaires de deux pays-membres de l’UE supplémentaires se sont joints aux alliés initiaux. Le règlement du Parlement européen, depuis l’élection de 2014, exige que les groupes soient constitués d’au moins 25 députéEs (ce qui n’avait causé aucun problème à l’extrême droite dès le départ) ; mais aussi qu’ils ou elles viennent de 7 pays différents. Or, il manquait, pendant plusieurs mois, des représentant-e-s de deux Etats-membres pour former un groupe d’extrême droite.
C’est chose faite, désormais. Il y a eu, d’abord, une transfuge du parti souverainiste et xénophobe britannique UKIP (« Parti de l’indépendance du Royaume-Uni ») de Nigel Farage. Celle-ci n’est, certes, pour ainsi dire, pas « toute blanche (enfin, si…), toute propre » : elle avait été exclue de son parti d’origine parce que son assistant aurait truqué des factures. Enfin, peu importe, les slogans (« Tête haute et…. ») ne sont faits que pour ceux qui veulent y croire ! L’odeur du vinaigre n’a pas d’importance, tant qu’il permet d’attraper des mouches.
Deux autres eurodéputés qui viennent de rejoindre le groupe, représentent le « Congrès de la nouvelle droite » (KPN) polonais. Celui-ci passait jusqu’ici pour « infréquentable » aux yeux du FN, puisque son vieux chef, Janusz Korwin-Mikke, était ouvertement antisémite, négationniste et homophobe. Hum, ça ne vous rappelle rien ? Enfin, si ! Un dirigeant du FN (demeurant anonyme) commente, dans Le Monde du mercredi 17 juin : « Ils s’occupent de leur chef, comme nous. » Korwin-Mikke a été, en effet, écarté de la présidence du parti KPN au début de l’année 2015.
C’était, en quelque sorte, le prix à payer pour que d’autres partis acceptent de s’allier avec lui. Dont les Néerlandais de Geert Wilders, le chef (et formellement le seul adhérent) du « Parti de la Liberté » PVV. Ce dernier n’est pas antisémite – mais plutôt très proche de la droite israélienne -, tout en étant anti-musulman à un degré qui confine à la pathologie. Il n’aurait pas accepté de siéger à côté de partis dont le dada, c’est plutôt la défense de l’antisémitisme et le négationnisme.
Ce sont ainsi deux vieux chef (deux au prix d’un ?) qui ont été, en quelque sorte, sacrifiés à la conclusion de nouvelles alliances ; puisque la mise à l’écart de Jean-Marie Le Pen, dont la « présidence d’honneur » au FN a été définitivement supprimée le 12 juin, servait elle aussi le même but.
Qu’est-ce qu’on ne fait pas, pour promouvoir l’œuvre de la réaction ! Se séparerait-on de ses siens, au nom de la maxime « Mon ami est étranger ? » Pas tout à fait, puisque dans ce camp politique-là, « l’étranger » est bienvenu surtout s’il sert les propres intérêts de celui qui s’allie à lui. Par exemple s’il s’agit d’un banquier étranger…
Or, même Adolf Hitler pouvait dire de lui-même qu’il avait « des amis étrangers ». Le maréchal Philippe Pétain, par exemple. Jusqu’il y a pas si longtemps, cela aurait pu servir de modèle, au FN (Jean-Marie Le Pen avait encore dit, dans « Rivarol » du 09 avril 2015, qu’il n’avait « jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître », au grand jamais !). Mais aujourd’hui, pour des raisons stratégiques, il n’est plus très bien vu au FN de le dire (trop) haut et fort.
Disposer d’un groupe au Parlement européen ouvrira droit, aux formations politiques qui y participent – au premier lieu dont le FN, avec 21 membres sur un total de 36 – à des moyens non négligeables. En dehors du temps de parole accordé à un groupe dans l’hémicycle et de la présence de toutes les commissions du parlement européen, il s’agit de moyens financiers considérables. Un groupe peut encaisser entre 20 et 30 millions d’euros par an à titre de subventions pour des collaborateurs (sans jeu de mot...) et collaboratrices, des expertises et pour la tenue de réunions. S’ajouteront des remboursements de frais de voyage, si les dépenses peuvent être justifiées. « Engage-toi, qu’ils disaient ! Tu verras du pays, qu’ils disaient… »
Bertold du Ryon