Publié le Mardi 16 septembre 2014 à 07h16.

Crise du PS, crise du Front de gauche

Le 25 août 2014, coup de théâtre : Hollande et Valls forment un nouveau gouvernement pour mettre leurs dissidents au pied du mur et accélérer la fuite en avant dans l’austérité. Cet article est bouclé ce jour même et ne peut préjuger de la suite. Mais la dernière séquence politique est déjà lourde de sens.

Avant ce coup de la dissolution gouvernementale, la « fronde » socialiste s’était avérée plutôt frileuse. Benoît Hamon et Arnaud Montebourg étaient censés incarner la gauche du PS en 2012. Mais le premier a assumé l’austérité au ministère de l’éducation, le second est devenu le bouffon du roi en marinière. Emietté et même étêté, ce qui reste de la nébuleuse de la « gauche » du PS s’est bruyamment agité après la débâcle des municipales. Mais l’« Appel des 100 » députés qui menaçait de rejeter le pacte de responsabilité a fait pschitt : 41 députés se sont finalement abstenus. Puis les « frondeurs » ont voté le collectif budgétaire et les mesures sur la sécu, les deux clefs de voûte de l’austérité. Ces « gauches », pas vraiment prêtes à rompre, affirmaient alors vouloir préparer le congrès du PS de l’automne 2015 et même rêver d’une alliance avec Martine Aubry.

Leur opposition est d’ailleurs aussi timorée sur le fond. Les frondeurs ont seulement demandé à Valls de rééquilibrer le pacte de responsabilité (et les 50 milliards de baisse des dépenses publiques qui le financent) par des mesures de relance du pouvoir d’achat pour les plus modestes. Pour eux, « changer de cap », c’est « rééquilibrer la politique de l’offre par une politique de la demande » et « cibler l’aide sur les entreprises qui en ont vraiment besoin. »

 Et que dire d’ailleurs d’EELV, qui a certes quitté le gouvernement mais continue d’affirmer son appartenance à la majorité parlementaire, qualifie l’opposition du Front de gauche de stérile,  et rejette « la guerre des gauches » qui « profiterait au FN » ?

Les perspectives électorales du PS sont pourtant si catastrophiques, l’impasse du gouvernement si manifeste, que Hamon et Montebourg ont décidé de passer à l’offensive à la fin de l’été, pour sauver leur propre avenir politique, tout en affirmant rester… « solidaires du gouvernement ». Or c’est le duo exécutif qui a décidé de trancher dans le vif. Valls avait prévenu au printemps les parlementaires socialistes : « la gauche peut mourir ». Mais pour cet admirateur de Blair, de Schröder et de leur transformation des vieux partis social-démocrates en partis démocrates à l’américaine, c’était sans doute moins l’expression d’une crainte qu’une menace et presque un projet. Ce coup d’accélérateur ne pourra qu’avoir de profondes répercussions sur les autres partis, à commencer au Front de gauche.

 

La stratégie du Front de gauche

Les élections du printemps ont laissé un profond désarroi au sein de celui-ci. Il espérait capitaliser sur le plan électoral la colère contre les socialistes. C’est au cœur de sa stratégie : dépasser le PS, « changer la majorité au sein de la gauche » pour la rendre à nouveau « de gauche ». Et pourquoi pas, s’il y avait crise politique, imposer une nouvelle majorité et un nouveau premier ministre à François Hollande ?

C’est ce projet que le conseil national du PG rappelait en ces termes en février 2014 : « Le temps est venu (…) de construire une opposition de gauche à ce gouvernement avec l’objectif de créer les conditions d’une majorité de gauche alternative ». Il proposait des « listes communes aux municipales avec EELV ou encore avec des militants PS qui acceptent de travailler avec nous au regroupement de toutes celles et tous ceux qui refusent l’austérité ». Et il notait : « les élections européennes restent le grand rendez-vous où nous ambitionnons de passer devant les listes gouvernementales ». 

Mais les municipales ont été calamiteuses pour le Front de gauche, d’autant plus que le PCF a renoncé à se compter pour préserver à tout prix ses positions institutionnelles en s’alliant avec le PS dans un grand nombre de villes. Et après la crise interne qui a opposé alors le PG et le PCF, comment le Front de gauche à peine rabiboché aurait-il pu alors ensuite prétendre incarner aux européennes l’opposition au PS, avec lequel sa principale composante s’était alliée deux mois avant ?  Il n’a pu qu’égaler son score des européennes de 2009 (6,3 %). Loin des ambitions du début de l’année.  

Il a tenté aussitôt de rebondir. Dans la rue, et c’était effectivement nécessaire, en reprenant la proposition du NPA d’une manifestation nationale unitaire contre l’austérité, le 12 avril. Mais aussi de façon plus politicienne, en tentant de désolidariser du gouvernement les écologistes et des socialistes traumatisés par le choc électoral, mais avec un contenu politique très faible. Mélenchon brandissait la promesse enchantée de Grenoble, où le PG et EELV s’étaient alliés pour terrasser le maire sortant socialiste. Pourquoi ne pas en faire une expérience nationale ? Dès le 3 avril, le PG proposait à EELV, en vue des cantonales et des régionales de 2015, de construire une « majorité alternative » prête à gouverner « sans attendre 2017 ».

 

Le Front de gauche vers une nouvelle crise

Or, tout le long du printemps 2014, la déception a été au rendez-vous face aux « frondes » écologistes et socialistes en forme de pétards mouillés. Sur son blog, Mélenchon a accablé ses anciens camarades :  « Le  pauvre couteau sans lame qui avait été agité avec des cris de guerre n’a tranché que ce qui était dans ses moyens : du vent ! Les “frondeurs’’ ont ainsi fonctionné comme un paravent utile au crime en donnant l’illusion d’une résistance qui s’est opportunément effacée au moment de passer à l’acte. »

Mais le PCF n’a pas réagi de la même façon. Quelques jours après la dérisoire capitulation des frondeurs, Pierre Laurent organisait une conférence de presse avec Marie-Noëlle Lienemann (sénatrice socialiste, qui venait de voter le budget vallsien) et Emmanuelle Cosse (secrétaire nationale d’EELV), pour présenter un « document de travail » commun pour « une stratégie alternative à gauche ». A la grande indignation des dirigeants du PG, décuplée par une supplique adressée par le PCF à la direction du PS, pour l’exhorter à accepter des listes communes aux élections sénatoriales de septembre 2014 !

Et Mélenchon de dénoncer aussitôt la « tambouille de l’alternative à gauche » qui sacrifie la nécessité d’une opposition assumée (« on ne s’allie pas avec ceux que l’on combat ») aux combines d’appareils : « L’alternative à gauche parait plus lointaine que jamais. En tous cas plus politicienne que jamais. (…) Dans le registre des couteaux sans lame, on sent bien que la gamme va s’élargir bientôt fort vite. (…) Il est tout à fait possible de débaucher des composantes du cartel [le Front de Gauche] comme les élections municipales l’ont montré. (…) Nous sommes prévenus. La samba des sénatoriales menée de nouveau sans vergogne au nom du Front de Gauche montre que l’addiction au PS est parfois irrémédiable. Elle recommencera avec les cantonales et les régionales, et ainsi de suite. »

 

Où est le désaccord entre le PG et le PCF ?

Voilà donc relancée cet été la crise du Front de gauche, pour les mêmes raisons qu’aux municipales : le PG est un parti neuf, sans guère d’élus, qui pour exister doit manifester haut et fort son opposition à l’égard du PS, alors que le PCF, obsédé par la préservation de son appareil et de ses nombreux élus (cogestionnaires de nombreuses collectivités), se refuse à la rupture avec le PS, donc modère sa dénonciation du grand partenaire-adversaire et abaisse la barre d’une entente avec les satellites dissidents du PS.

Ce fil à la patte à l’égard du PS est une hypothèque majeure sur l’avenir du Front de gauche, un obstacle pour qu’il puisse réussir à profiter du discrédit socialiste et à apparaître aux classes populaires comme une force « anti-système ». Pourtant, au-delà de ce désaccord de tactique électorale et de posture politique, il y a bien accord entre les deux partenaires sur le programme et sur la méthode. 

Même programme : des mesures strictement cantonnées à l’antilibéralisme, ne remettant pas en cause le pouvoir des capitalistes sur l’économie, et pimentées d’un brin de démagogie nationaliste. Or même ce programme limité, aussi bien le PG que le PCF semblent prêts à l’affadir encore si cela les aide à concocter une alliance électorale élargie sur leur droite.  

Même méthode : le PG comme le PCF ne jurent que sur la voie électorale, ne proposent aux classes populaires qu’une perspective étroitement institutionnelle. L’un et l’autre donnent donc pour seule vraie perspective à leurs militants une recomposition électorale avec d’autres forces réformistes. 

Le PG cherche à sortir le Front de gauche de son impasse, y compris en menaçant d’en sortir lui-même. La gesticulation estivale de Mélenchon, sa démission de la présidence du PG le 22 août (pour être « plus libre » de sa parole) sont des épisodes de cette bagarre. Mais le PG est lui-même pris dans ces carcans politiques.  

Ce qui pourrait changer le climat politique, ce sont des expériences de mobilisations de masse, qui engageraient des épreuves de force avec le patronat et le pouvoir, qui permettraient au monde du travail d’imaginer qu’une autre politique serait réellement possible. Pas la magie d’une coalition électorale hétéroclite illuminant le bon peuple. Si les dirigeants du PCF et du PG « bénissent » les luttes, ils n’en font pas les leviers et les perspectives majeures de leur politique, et ils gardent bien soigneusement la sacrosainte (et complètement artificielle) frontière entre la lutte sociale et la lutte politique, en laissant les directions des centrales syndicales mener la première comme elles l’entendent. C’est-à-dire dans le mur. 

L’accélération de la crise au PS pourrait bien maintenant redonner de l’eau au moulin de la stratégie de « l’alternative à gauche » du Front de gauche. Mais pour quelle politique ?

Yann Cézard