Jet d’œuf devant une usine de transport bretonne, puis exfiltration de la cathédrale de Reims : le sacre de Marine Le Pen (MLP) en fin de campagne n’a pas eu lieu. Pour les journalistes, tout aurait basculé dans le débat face à Macron, perdant sa posture de présidentiable, jusqu’à démoraliser ses troupes. Mais une élection ne se joue pas (que) sur les quatre derniers jours.
En tout cas, le sérieux de son équipe a cédé le pas à une certaine fébrilité sur les réseaux sociaux : diffusion d’un faux SMS attribué à En marche appelant à tuer symboliquement MLP ; rumeur selon laquelle Macron aurait été équipé d’une oreillette pendant le débat ; relais des Macron leaks laissant entendre des révélations à venir… Un accroc dans la stratégie « mégretiste » pour apparaître comme une femme d’État ? En ne respectant pas la bienséance du débat de l’entre-deux-tours, MLP aurait « trumpisé » sa posture. Jean-Marie Le Pen y a vu, lui, un « match viril contre Macron, le tenant de tout l’établissement » et MLP s’est justifiée : « j’incarne l’irruption bienvenue du peuple dans le monde suranné de l’entre-soi des élites ».
Le plafond est haut...
Marion Maréchal Le Pen estimait que plus de 40 % des suffrages « seraient déjà une énorme victoire »... Avec 33,9 % est-ce vraiment raté ? Le FN rassemblait 5,5 millions de voix au deuxième tour en 2002, 700 000 de plus qu’au premier, mais était resté sous les 4 millions en 2007. En 2012, près de 6,5 millions de voix. Et en 2017, 7,6 millions au premier tour, puis 10,6. Difficile d’y voir une défaite, même si MLP plafonne.
MLP a certes rassemblé plus que avec le vote Dupont-Aignan (1,7 millions, 2 avec Asselineau), mais pas franchement au-delà. Le grand écart de l’appel aux voix de Fillon et de Mélenchon n’a pas fonctionné, malgré le « terrible bilan Macron-Hollande ». Pourtant, sans jamais oublier ses fondamentaux (islamisme, sécurité et immigration), MLP a multiplié les clins d’œil à La France insoumise, comme l’appel lancé lors du dernier meeting au « peuple qui jamais ne se soumettra au système entier coalisé derrière [Macron] ». Du point de vue de la droite, le flou autour de la sortie de l’euro a mis à mal le sérieux de son programme. Notons que le patronat a plus agité ce spectre que les menaces sur les droits démocratiques et surtout que l’avenir réservé aux immigrés si MLP était élue. Leur sort compte sûrement moins que les perspectives d’importations et d’exportations...
L’accord avec Dupont-Aignan est venu rassurer les courants, y compris au FN, qui ne font pas de la sortie de l’euro un préalable absolu. Un premier pas a été fait vers une alliance de gouvernement, espérant qu’une partie de la droite s’y retrouve. Reste à transformer cet élan en alliance de « la seule véritable opposition crédible », que MLP a voulu incarner pendant la campagne et qu’elle a réaffirmé dans sa déclaration de « non-victoire » dimanche soir.
Divergences et recomposition
MLP envisage même une recomposition politique sur le « clivage patriotes-mondialistes », où le changement de nom du parti ne sera que l’élément symbolique. Mais un symbole fort peut être difficile à faire passer. Le FN ne peut pas se couper de ceux qui placent le « combat civilisationnel » avant le débat sur l’économie et l’euro. D’ailleurs, on a peu commenté les soutiens venus de l’extrême droite, qui a, dans sa diversité, majoritairement appelé au vote pour MLP ou au « tout sauf Macron », de Synthèse nationale à l’Action française. Certes, il ne s’agit pas là d’une réserve de voix, mais le FN doit conserver son hégémonie à l’extrême droite et éviter que de trop nombreux dissidents renforcent ses franges, parfois hostiles, aujourd’hui groupusculaires et éclatées.
Si les divergences entre une ligne de droite identitaire et le « néo-chevènementisme » de Philippot débouchent sur une crise, ce sera après les législatives, en fonction des résultats et des postes accordés. D’autant qu’il faudra faire avec l’allié Dupont-Aignan. La première recomposition viendra à ce moment. Ce n’est pas une nouveauté : en 1986, le FN s’était ouvert à droite avec le FN-Rassemblement national. Les tensions peuvent aussi venir non de différences idéologiques mais des relations internes, en particulier autour de la « GUD-connexion » de MLP. Si on y rajoute les diverses affaires judiciaires, l’ambiance va être bonne au FN...
Mais crise ou pas, attention à ne pas enterrer trop vite le FN et la dynamique qui le pousse. « Ma voix n’a été que l’écho de la violence sociale qui va exploser dans ce pays », avait revendiqué MLP après le débat du second tour. Gare à la couleur du drapeau qui mènera la révolte.
Tanguy Redita