Dans une résolution déposée au bureau de l’Assemblée nationale le 12 juillet, près d’une quarantaine de députéEs de la NUPES affirment que l’État d’Israël a instauré un régime d’apartheid vis-à-vis des PalestinienEs, et invitent, entre autres, les autorités françaises à reconnaître l’État de Palestine, à cesser toute criminalisation de la campagne de boycott d’Israël et à mettre en place un embargo sur les livraisons d’armes à Israël. Depuis, c’est à un véritable déchaînement de violence verbale que l’on assiste, de la part de représentants du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite, de divers « intellectuels » et éditorialistes, mais aussi de certains dirigeants de gauche. Et pourtant…
« Israël n’est pas l’Afrique du Sud » ?
Le principal angle d’attaque contre la résolution est l’utilisation du terme « apartheid » pour qualifier le régime mise place par l’État d’Israël contre les PalestinienEs. « Israël n’est pas l’Afrique du Sud », nous dit-on. Cela tombe bien : ni la résolution des députéEs de la NUPES ni les centaines de travaux de recherche et d’articles visant à expliciter dans quelle mesure le terme « apartheid » peut être appliqué à la politique d’Israël n’affirment que cette dernière serait strictement la même que celle de l’Afrique du Sud de 1948 à 1991. Car l’apartheid n’est pas « le régime sud-africain », mais une notion de droit international permettant de qualifier un certain type de crimes.
La résolution le rappelle : « En usant du terme "apartheid", il ne s’agit pas de faire une analogie historique, mais d’appliquer le droit international. » Non, Israël n’est pas l’Afrique du Sud de l’apartheid. Mais le combat contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud et sa destruction dans les années 1990 ont donné naissance à des instruments de protection inscrits dans le droit international qui définissent l’apartheid comme un crime contre l’humanité à partir de plusieurs critères objectifs1. La résolution montre de façon claire et indéniable que l’État d’Israël remplit tous ces critères aujourd’hui, appliquant un régime de discrimination institutionnalisée sur une base nationale à l’encontre du peuple palestinien dans le but d’assurer la domination d’un autre groupe national, les Juifs d’Israël. En somme, la résolution proposée par les députéEs de la NUPES ne fait que dire le droit international à cet égard, ni plus ni moins.
Et elle ne fait en outre que répéter ce qu’ont affirmé, au cours des dernières années, des ONG internationales comme Amnesty International et Human Rights Watch, ou israéliennes comme B’Tselem, ainsi que divers rapports des Nations unies. En Israël même, le terme « apartheid » fait partie du débat public lorsqu’il s’agit de discuter de la nature du régime d’oppression des PalestinienEs, dans des articles, des tribunes, des interventions publiques. Et l’on pourra relever au passage que, pas plus tard que la semaine dernière, la ministre des Affaires étrangères sud-africaine, Naledi Pandor, affirmait qu’Israël devrait être classé comme « État d’apartheid »…
« Essentialiser les Juifs israéliens » ?
L’autre angle d’attaque, malheureusement peu original, est l’accusation d’antisémitisme à l’encontre des députéEs ayant proposé la résolution. Difficile ici de ne pas relever la stupidité de l’argumentation employée par certains des accusateurs, tels Éric Dupond-Moretti ou la députée LREM Prisca Thevenot, qui reprochent avec virulence à la résolution de designer les Juifs d’Israël comme un « groupe racial ». En insistant sur la volonté d’une « hégémonie démographique juive » et sur les critères ethniques, raciaux et nationaux qui la sous-tendent, la résolution essentialiserait ainsi les Juifs israéliens. Mais la résolution ne fait en réalité que reprendre les mots et les critères du droit international qui s’appliquent à l’ensemble de la communauté international, Israël y compris !
Ainsi, la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 30 novembre 1973, évoque « un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ». Et ce ne sont pas les députéEs de la NUPES qui ont décidé, en 2018, qu’Israël se définirait lui-même comme « l’État-nation du peuple juif », au sein duquel « seul le peuple juif a droit à l’autodétermination nationale », mais le Parlement israélien lui-même. Et ce ne sont pas davantage les opposantEs à l’apartheid israélien qui ont décidé qu’il n’y aurait pas de nationalité israélienne mais seulement une « citoyenneté », les registres d’état civil continuant de mentionner l’ethnie des individus.
Qui plus est, la volonté d’hégémonie démographique juive est bien réelle, et elle est assumée par les gouvernements en Israël : par une politique systématique de colonisation/expulsion, par des dispositifs législatifs et juridiques limitant, quand ils ne le suppriment pas, l’accès à la terre pour les PalestinienEs, l’État d’Israël a organisé depuis plus de 70 ans une entreprise de discrimination institutionnalisée qui aboutit aujourd’hui, entre autres, à cette aberration selon laquelle, sur un même territoire et pour une même infraction commise, différentes lois s’appliquent selon que l’on appartient à tel groupe national ou à tel autre.
Pour le droit et la justice
Toute lecture un tant soit peu sérieuse de la situation concrète en Israël et dans les territoires palestiniens, rapportée aux critères du droit international, en amène à la conclusion que c’est bel et bien un régime d’apartheid qui est appliqué aux PalestinienEs ou, au minimum, qu’il y a de nombreux éléments constitutifs du crime d’apartheid. Et la virulence des réactions à l’encontre de la résolution des députéEs de la NUPES est inversement proportionnelle à la qualité de l’argumentation des critiques.
On ne peut à ce titre que regretter qu’à gauche certains s’y soient mis eux aussi, à l’instar de Christian Picquet, membre de la direction du PCF, qui a cru bon, dans un post de blog, de s’en prendre vertement à la résolution dans le but avoué de faire pression publiquement pour que les députéEs de son parti signataires de la résolution la retirent. Avec une argumentation pas moins indigne que celle des critiques venues de la droite et du gouvernement, puisqu’on y retrouve pêle-mêle l’idée selon laquelle la résolution « assimile sans la moindre précaution Israël à l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid » (c’est faux), l’accusation d’essentialisation des Juifs israéliens (c’est malhonnête) et le chantage à l’antisémitisme (c’est abject). Misère.
Nous combattons l’antisémitisme en France d’où qu’il vienne, et l’oppression des peuples partout où elle existe, y compris quand c’est l’État d’Israël qui opprime. L’antiracisme, et donc le combat contre l’antisémitisme, est un combat indivisible, et celles et ceux qui refusent aujourd’hui que le crime raciste commis contre les PalestinienEs soit nommé comme tel n’ont aucune légitimité pour se placer en combattants de l’antiracisme. Parce que nous sommes révoltés contre l’injustice subie depuis près de 80 ans par les PalestinienEs et que nous considérons que leur combat a une portée universelle, nous encourageons les députés signataires de la résolution à résister aux pressions, d’où qu’elles viennent, et à la présenter devant l’Assemblée nationale. C’est ainsi que les combats les plus nobles avancent, quand nous faisons preuve de courage et de constance, avec comme boussole le droit et la justice, sans céder face aux vents mauvais.
- 1. Notamment la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (1973) et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998).