De la justice, et de son indépendance.
Les sourires étaient bien là même s’il ne faudra pas se réjouir trop tôt, c’est-à-dire avant de connaître le résultat final de la procédure : un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, a été mis en examen, vendredi 16 octobre, pour « association de malfaiteurs » (article 450-1 du Code pénal), en lien avec les financements libyens supposés de sa campagne électorale de 2007. C’est d’ailleurs sa quatrième mise en examen, déjà, mais sans doute la mise en cause la plus grave dont il fasse l’objet.
Nous en retiendrons provisoirement que l’appareil judiciaire « peut, quand il veut ». Oui, il peut s’affranchir, temporairement ou non, du poids des puissants – si Sarkozy est officiellement retiré de la vie politique, toujours est-il qu’il conseille sur plusieurs dossiers l’actuel président de la République, sans parler de son intervention dans les affaires du parti LR – pour instruire leurs affaires. On se rappelle cependant les décisions de justice contre Alain Juppé, condamné en première instance en 2004 de manière spectaculaire pour les emplois fictifs du RPR (le jugement du tribunal de Nanterre précisant qu’« Alain Juppé a trompé le peuple souverain »), mais « blanchi » en appel. Observons, donc, les suites qui seront données aux multiples dossiers dans lesquels se trouve impliqué Nicolas Sarkozy.
« Indépendance » ?
En attendant, de nouvelles menaces sur l’indépendance des juges par rapport aux influences des puissants du monde politique semblent s’accumuler à l’horizon. Elles sont liées, cette fois-ci, directement au nouveau ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. Une fronde des magistratEs monte, depuis la fin septembre, à son encontre, dans la mesure où des poursuites judiciaires engagées par le ministre semblent mettre à mal leur indépendance statutairement garantie.
CertainEs reprochent à l’actuel Garde des Sceaux d’être resté trop proche de sa fonction antérieure d’avocat. C’est le cas du très réactionnaire Thibault de Montbrial, également avocat mais aussi « spécialiste » de questions liées à la sécurité intérieure et au terrorisme, diffusant des thèses très « sécuritaires » – avec leur déclinaison en matière de droit des étrangers, préconisant des expulsions plus ou moins massives – et qui a formulé de tels reproches contre Dupond-Moretti. Dans son esprit, ce dernier serait resté trop défenseur des justiciables, trop peu enclin à défendre « l’autorité » (un des termes fétiches de Me de Montbrial) puisqu’il serait resté trop proche de ses clients antérieurs. Ce qui semble peu plausible dans la mesure où Dupond-Moretti, en tant qu’avocat, ne se plaçait pas tellement sur un terrain de défense par conviction (politique ou autre) qui fonderait une proximité avec ses clients ; il agissait bien plus par intérêt matériel et symbolique, sans conviction visible.
Certes, avocat, il affrontait souvent l’autorité des juges, mais sa conduite paraissait parfois critiquable dans la mesure où il rudoyait et déstabilisait souvent les victimes et/ou témoins dans le cadre d’un procès, ce que la défense n’est nullement obligée de faire, a fortiori lorsque la dignité de ces personnes risque d’être atteinte. Mais cela ne révélait pas une conception profonde vis-à-vis de l’organisation des pouvoirs, plutôt une simple manière de faire, sans scrupules, au service des intérêts qui lui étaient confiés. Anti-autoritaire, Dupond-Moretti semble d’autant moins l’être qu’il vient par exemple de proposer, début octobre, un « partenariat » entre la justice et l’armée française pour encadrer les jeunes délinquants.
Conflit d’intérêts
Le point essentiel, celui qui a remonté de nombreux et nombreuses magistratEs contre le ministre, réside dans les poursuites disciplinaires lancées, au mois de septembre 2020, contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF), sur injonction du ministre de la Justice. C’est cette décision qui a fait débrayer, le 24 septembre, plusieurs centaines de juges, créant d’ailleurs une certaine unanimité entre les trois syndicats de magistratEs, de l’UNM (classée à droite) jusqu’au SM (ancré à gauche). Le problème vient du fait qu’Éric Dupond-Moretti, avant de devenir ministre, avait porté plainte contre ces trois magistrats pour avoir ordonné – en 2014 – la mise sur écoute de plusieurs avocats, dont lui-même. Il s’agissait, à l’époque, de détecter l’origine de la fuite de l’information selon laquelle Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy, avait fait l’objet d’une interception de ses communications téléphoniques dans le désormais fameux dossier « Paul Bismuth », mais avait fini par en être averti. Or, Herzog était un ami personnel de Dupond-Moretti. D’où un sérieux risque de « conflit d’intérêts ».
L’association Anticor (lutte contre la corruption) ainsi qu’un militant écologiste ont déposé une plainte contre le ministre, pour « prise illégale d’intérêts », qui sera traitée par la Cour de justice de la République (CJR). Une condamnation judiciaire paraît improbable, mais il est important que le problème soit abordé publiquement.
Afin d’éteindre l’incendie qui s’était déclenché, le gouvernement a publié – samedi 24 octobre – un décret, enlevant au ministre de la Justice le pouvoir hiérarchique de conduire l’enquête lancée à l’encontre des trois membres du PNF pour la confier désormais au Premier ministre. Ce qui revient à écarter, dans les faits, Dupond-Moretti du dossier... mais à conférer à ce dernier de façon explicite un caractère éminemment politique.