Pour la première fois depuis 2007, le PCF a décidé de présenter son propre candidat à l’élection présidentielle, en la personne de son secrétaire national, Fabien Roussel. Il s’agit là d’une rupture dans la politique de Front de Gauche menée par ses prédécesseurs, dont Roussel présente les fondements dans Ma France, le livre qu’il a publié en septembre.
Une campagne pour rompre avec la direction sortante
Dans Ma France, Roussel explique que sa candidature est la conséquence de la mise en minorité de Pierre Laurent, lors du 38e congrès du PCF, tenu en novembre 2018. Roussel y raconte sa rencontre dans une brasserie parisienne avec Pierre Laurent, au lendemain du vote militant. Alors que Laurent lui proposait un poste de porte-parole du parti et l’expectative d’une candidature à la présidentielle en échange de son propre maintien au secrétariat national, Roussel lui répondit : « Pierre, il faut que tu partes ». En rappelant que pour première fois depuis l’ère thorézienne, le PCF se dotait d’un secrétaire national qui n’avait pas été désigné par son prédécesseur, Roussel s’attache dans Ma France à se poser en homme de la rupture, avec une politique qu’il considère comme celle de l’effacement du PCF.
La lecture de Ma France permet toutefois de comprendre que l’arrivée au pouvoir de Roussel s’apparente davantage à une révolution de palais qu’à un renouvellement militant. Le peu de story telling que l’on trouve dans son livre en témoigne. Fils d’un permanent du PCF, il a passé une partie de son enfance au Vietnam où son père était correspondant de l’Humanité, et depuis son adolescence son meilleur ami est Olivier Marchais, le fils de Georges, à qui il a donné une place de choix dans sa direction de campagne.
Un retour à la gauche plurielle
Roussel s’attache à se situer dans l’histoire du PCF, en expliquant que Thorez et Marchais demeurent pour lui des références majeures. Il rassure les militants communistes en assurant qu’il n’envisage pas de changer le nom du PCF, même s’il a décidé de le mettre en retrait, en associant au logo du parti le slogan « L’humain d’abord ». Il ne faut toutefois pas s’y tromper : plus qu’un retour à l’identité communiste, le projet de Roussel est d’abord et avant tout un retour à la politique d’Union de la gauche, qui vise à tourner la page du Front de Gauche.
Ce retour à une stratégie dont le bilan a été catastrophique pour le PCF ne peut qu’interroger. Quel bilan Roussel tire-t-il des différents gouvernements de gauche qui se sont succédé depuis les années 1980 ? Comment escompte-t-il tirer à gauche un Parti socialiste, qui ne cesse de dériver vers la droite ? Pourquoi s’obstiner dans une alliance avec un PS dont le poids politique s'est fortement réduit ? On chercherait en vain dans Ma France une réponse à ces questions, comme si l’actuelle direction du PCF n’avait d’autre projet stratégique que de conserver ses sièges dans les collectivités territoriales et son groupe à l’Assemblée nationale.
Au fil des pages de Ma France, on constate que la carrière de Roussel s’inscrit en tout cas dans une logique d’Union de la gauche. Elle a commencé dans les cabinets des ministres communistes de Jospin, pour se poursuivre par des postes d’attachés parlementaires, avant que Roussel n’hérite en 2017 de la circonscription d’Alain Bocquet. À la différence de Pierre Laurent, qui était un permanent avant d’être élu, Roussel est d’abord et avant tout un élu communiste, comme le sont aussi ses principaux soutiens dans le parti, à l’exemple d’André Chassaigne ou de Ian Brossat.
Le « retour à la nation »
Roussel explique dans Ma France que son désaccord avec Pierre Laurent trouve ses racines dans la mise en place des « collectifs anti-libéraux », impulsés par Marie-George Buffet en 2005, au lendemain du rejet par référendum du Traité constitutionnel européen. Au-delà des questions stratégiques, Roussel reproche surtout à Buffet et Laurent d’avoir commis une erreur en considérant que « le non l’ayant emporté à 54,68 %, il y avait donc 54,68 % de Français antilibéraux et anticapitalistes ». Pour Roussel, la victoire du non ne procédait en effet pas d’un vote antilibéral, mais plutôt « d’un vote réflexe pour défendre la nation ». Roussel regrette que sous la direction de Buffet et Laurent « le parti communiste n’a pas su porter cette exigence de respect de la souveraineté, de la nation ». Pour lui, les choses doivent être désormais claires : « il ne faut pas laisser au seul Front National la mainmise sur des sujets comme la nation, la souveraineté, la sécurité, le vivre-ensemble ».
Derrière les accents identitaires de Roussel, qui lui ont servi lors du 38e congrès à flatter la base militante, la nouvelle direction du PCF a ainsi impulsé un tournant droitier. Stratégiquement, elle s’est tournée sur sa droite, en rompant avec les Insoumis pour retrouver plus franchement son alliance privilégiée avec le PS. Politiquement, elle a adopté un discours national, ce qui l’amène à s’éloigner des fondamentaux du marxisme.
Une vision fantasmée des classes populaires
Comme le dit non sans à-propos Roussel, « la gauche est faible parce qu’elle a tiré un trait sur l’électorat populaire, le monde du travail ». Toutefois, Roussel développe une conception particulière des classes populaires, en considérant qu’elles sont françaises et blanches – et par ailleurs souvent aussi masculines. Pour Roussel, « l’ouvrier » s’inquiète du « vivre-ensemble » et éprouve de « l’angoisse face au terrorisme et à l’intégrisme ». Quand Roussel parle des classes populaires, il ne songe pas à ces jeunes raciséEs qui détestent la police, mais au « chauffeur de bus qui habite dans un logement social et a droit à la tranquillité dans son quartier ».
Cette vision fantasmée d’une classe ouvrière blanche, qui ne constitue en dernière analyse qu’un alignement sur la droite populiste, amène Roussel à s’engager sur un terrain des plus glissants. Pour ne pas laisser la défense de la police à l’extrême droite, il en est venu à participer à la manifestation factieuse d’Alliance devant l’Assemblée nationale. Afin de ne pas laisser le RN prospérer sur la xénophobie, il est allé jusqu’à affirmer que « quand on ne bénéficie pas du droit d’asile, on a vocation à rentrer chez soi ». Il a même récemment pris la défense de la chasse à la glu, en expliquant qu’on « en a un peu marre des intellectuels condescendants qui donnent des leçons ».
Roussel semble aussi considérer que la reconquête de l’électorat populaire ne serait rien d’autre que la reconquête de l’électorat du RN. Roussel s’en fait l’avocat, en expliquant que l’électeur de Le Pen n’est en général « ni raciste, ni fasciste, ni sexiste, ou homophobe ». Au-delà de formules très générales, qui affirment l’internationalisme du parti et dénoncent en termes moraux le racisme, Roussel prend garde de ne pas mécontenter cet électorat qui pour être ni fasciste, ni raciste et moins sexiste ou homophobe, ne se reconnait en tout cas pas dans l’antiracisme, l’antifascisme ou encore la lutte contre l’homophobie et le sexisme. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ces combats n’ont aucune place dans le livre de Roussel.
Sans surprise, Roussel fait aussi preuve d’un total aveuglement devant le danger fasciste. Il explique ainsi que Macron et Les Républicains vont être en 2022 ses plus grands ennemis, comme si l’extrême droite n’existait pas et que l’hypothèse de son arrivée au pouvoir, à court ou moyen terme, ne se posait pas. Plus généralement, Roussel semble considérer qu’il suffirait que la gauche développe un discours national et sécuritaire pour assécher, comme par enchantement, la montée en puissance de l’extrême droite.
L’adieu au socialisme
En avril dernier, Roussel avait critiqué le caractère par trop socialiste à son goût du programme des Insoumis, qui auraient eu le tort de considérer « que chacun doit avoir un travail et que si quelqu’un n’en trouve pas, l’État doit être employeur en dernier ressort ». Roussel avait alors précisé que « nous ne partageons pas du tout cette philosophie-là ; ça, c’est l’époque soviétique, le kolkhoze ». Loin d’être le fruit d’un moment d’égarement, cette déclaration s’inscrit dans une révision des horizons programmatiques du PCF, que Roussel développe dans Ma France.
De manière souvent très pertinente, Roussel s’y pose en défenseur des services publics, des salaires ou encore d’un revenu pour les jeunes. Toutefois, sa défense des classes populaires ne s’inscrit pas dans une perspective de lutte des classes, puisqu’il explique que « la France du travail est aussi celle des petits patrons et même si cela peut paraître surprenant de la part d’un secrétaire national du Parti communiste, je souhaite prendre leur défense ».
Ce discours populiste l’amène à se livrer à une dénonciation des « charges qui pèsent sur ces petits entrepreneurs », avant d’expliquer qu’il n’est « pas opposé aux dividendes que se versent des petits patrons » et qu’il souhaite soutenir les PME et les TPE face aux grandes entreprises. Roussel l’affirme : il n’est « pas favorable à ce que tous les secteurs de l’économie soient mis sous la coupe d’un État patron ». Il se prononce donc pour une économie de marché régulée par « un État stratège », en considérant que « des nationalisations restent bien sûr indispensables, mais l’étatisme, que certains prônent encore à gauche, a montré ses limites ».
La France dont rêve Roussel prend ainsi l’aspect d’une société de petits propriétaires, avec « une agriculture à taille humaine » et une économie laissée aux mains de petits capitalistes bien régulés, qui associeraient leurs salariés à la gestion de leurs entreprises. Ces considérations s’accompagnent d’une conception surprenante des rapports sociaux, puisque Roussel se félicite d’avoir de régulières conversations avec « des responsables syndicaux comme Philippe Martinez ou Laurent Berger », plaçant ainsi sur le même plan la CGT et la CFDT.
Une campagne sans utilité pour les classes populaires
Pour conclure, la campagne Roussel n’est malheureusement pas celle d’une refondation militante du PCF, ni de son retour à des positions de classe. Elle ne propose au mouvement ouvrier qu’une stratégie obsolète, celle d’une Union de la gauche qui n’a d’autre sens que d’assurer à une poignée d’élus communistes le maintien à tout prix de quelques strapontins dans les institutions. Elle n’a d’autres idées à développer que celles d’un populisme interclassiste, qui constitue une rupture avec la lutte des classes et la perspective du socialisme.
Une telle campagne n’a aucune utilité pour les classes populaires. Elle fait preuve d’un dramatique aveuglement face à la montée de l’extrême droite, dont Roussel alimente au quotidien le discours, en fantasmant sur une classe ouvrière blanche et naturellement réactionnaire, qui ne correspond à aucune réalité sociale. C’est pourtant en combattant son discours, et non en le légitimant, que l’on pourra faire reculer l’extrême droite, qui constitue le pire ennemi des classes populaires.