Devant le Congrès à Versailles, Hollande a annoncé la déchéance de la nationalité pour les binationaux coupables d’actes terroristes. Cette proposition directement extraite du programme du Front national, soutenue d’après les sondages par 85 % de la population, semblait forgée pour sauver les conseillers régionaux du PS. Puis l’exécutif a paru reculer avant que Hollande, suivi de Valls, ne réaffirme son objectif.
Cette mesure est présentée par tous les dirigeants politiques comme symbolique, c’est-à-dire inutile en pratique — il est évident que la peur de perdre sa nationalité ne décourage pas un kamikaze — et de nature fondamentalement politique.
L’état d’urgence permanent
Son sens premier est de donner un cadre idéologique à la politique actuelle. Car des mesures bien concrètes sont en préparation, avec l’introduction de l’état d’urgence dans la Constitution et la limitation des libertés : surveillance des ordinateurs et téléphones, assignations à résidence, retenues de quatre heures par la police, perquisitions de nuit, fouille des véhicules, contrôles d’identité sans justification, interdiction de réunions, voire un contrôle sur la presse. Tout cela sans mesure judiciaire, sur simple ordre des préfets à leurs policiers.
La proposition de déchéance de nationalité apporte une justification politique à cet arsenal. Elle reconstruit la figure de l’ennemi intérieur, infiltré au sein du pays, parmi les immigrés, les étrangers ou les musulmans.
La difficulté pour l’exécutif est que la mesure rompt avec le discours républicain classique de l’égalité entre les citoyens et choque ainsi jusqu’au sein des Républicains. La pirouette imaginée par Cambadélis, permettre la déchéance de nationalité y compris pour les Français non binationaux, est elle-même contradictoire avec la Déclaration des Droits de l’Homme car elle créerait des apatrides. Difficile, lorsqu’on se prétend « patrie des Droits de l’Homme », d’y déroger…
Où vont Hollande et Valls ?
La fuite en avant de l’exécutif provoque des réactions fortes à gauche. Des dizaines d’associations, dont de nombreuses sont liées au PS, ont signé l’appel « Pour nous c’est définitivement non », des milliers de personnes signent les pétitions. Le PS même semble parfois au bord de l’explosion. Benoît Hamon, il y a quelques mois encore ministre, a déclaré, à propos du clivage entre la gauche et la droite : « dans la réalité, la nature des politiques mises en œuvre sur les questions économiques et sociales n’est pas fondamentalement différente. » Même Cambadélis est mal à l’aise et le Mouvement des jeunes socialistes s’est désolidarisé de Hollande.
Tous ces courants ne sont pas révolutionnaires, loin s’en faut. La majorité a même soutenu l’état d’urgence et les bombardements en Syrie. Mais il est tout de même intéressant de constater que certaines franges du PS conservent, malgré tout, des liens avec des secteurs des classes populaires qui s’opposent à des mesures aussi dramatiques.
Autour des élections régionales, s’appuyant sur l’Union nationale mise en place après les attentats, Hollande et Valls ont lancé plusieurs appels en direction de la droite. Ceux-ci ont été repris par Raffarin, qui s’est dit prêt à accepter un pacte national contre le chômage.
Le soutien du FN, d’une partie de la droite et de la majorité des sondés à la déchéance de la nationalité permet à Hollande de se présenter comme au-dessus des partis, en particulier du sien, pour tenter de sauver sa candidature à la présidentielle. On assiste à une tentative de prise de distance de l’exécutif vis-à-vis du PS et de la gauche, un choix voulu par Valls lorsqu’il était candidat à la primaire socialiste.
Vers « L’Etat fort »
Valls et Hollande cherchent un bouleversement de l’échiquier politique, sous la pression de l’extrême droite mais aussi de l’enfoncement du pays et du monde dans la crise. Les exemples grecs et espagnols leur font penser que, pour gérer les affaires de la bourgeoisie, il faut une mutation profonde du système, de l’Etat, des structures démocratiques (voir dans ce numéro l’article d’Henri Wilno sur « l’Etat fort »).
C’est une tendance internationale, avec l’élargissement de la répression, la mise en place de gouvernements « techniques » ou « d’experts », ou les décisions prises à l’échelle de l’Union européenne. La montée de l’extrême droite dans les classes sociales supérieures est d’ailleurs un indicateur du développement, petit à petit, de la volonté de certains secteurs de la bourgeoisie de mettre en place des solutions autoritaires.
Pour les révolutionnaires, au-delà de la dénonciation des trahisons et hésitations des uns et des autres, il y a urgence à construire une mobilisation unitaire contre la politique du gouvernement, contre la déchéance de la nationalité, contre l’état d’urgence et la guerre. C’est dans l’action que nous pouvons faire progresser les consciences et redonner confiance au monde du travail.
Antoine Larrache