Publié le Mercredi 9 décembre 2020 à 17h16.

Le pouvoir autoritaire de Macron défié

Les profits se portent bien dans de nombreuses entreprises, pendant que les conditions de vie des classes populaires se dégradent. Heureusement, face à la politique sécuritaire du pouvoir, les mobilisations commence à se développer.

 

«Amazon affiche une santé insolente dopée par le coronavirus », titraient le 1er novembre les Échos. La firme venait de déclarer un chiffre d’affaires net en hausse de 96,1 milliards d’euros au troisième trimestre 2020 et d’annoncer que ses bénéfices avaient triplé1. Et elle n’est pas la seule. Selon le rapport d’Oxfam de septembre dernier, les bénéfices de 32 des plus grandes entreprises du monde devraient connaître un bond spectaculaire de 109 milliards de dollars en 2020 et parmi elles, outre Amazon, les géants américains de l’informatique et du numérique : Google, Apple, Facebook et Microsoft.

En France, « les entreprises du CAC 40 avancent à deux vitesses2 ». Leur chiffre d’affaires cumulé a baissé de 19 % entre janvier et juin, avec des reculs jusqu’à 30 % et d’autres à 5 %, notamment dans le secteur du luxe qui a bénéficié, lui, d’un rebond de la consommation en Asie cet été ! De ce côté du monde capitaliste, la crise est une aubaine et l’essentiel est un rien déconnecté des réalités de l’immense majorité des travailleurs/ses !

Les États au service des profits

Toutes les politiques mises en œuvre dans le contexte actuel, ici ou ailleurs, visent à préserver le système économique, fût-il chaotique. Éviter qu’il ne s’effondre ne sauvera pas les millions de pauvres, comme certains peuvent le penser. Les supplications (aussi vaines que pathétiques) du ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, enjoignant au début de l’été les entreprises à ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires jusqu’en janvier 2021 n’apparaissent que comme des larmes de crocodile pour apaiser de possibles colères.

Neuf entreprises sur les quarante que compte le CAC 40 lui ont d’ailleurs fait la sourde oreille : Dassault Systèmes, Danone, Sanofi, Schneider, Total et Vivendi ainsi que Pernod-Ricard et Sodexo. Business as usual…

Certains, véritables profiteurs de guerre, n’ont pas hésité à spéculer sur le vaccin, comme le PDG de Pfizer et la vice-présidente qui ont habilement vendu avec profit des actions le jour de l’annonce de l’efficacité du vaccin, pour un montant de 5,6 millions, soit environ ce que gagnerait un travailleur en France au smic en… 382 années !

Des centaines milliers d’emplois en danger

Pendant ce temps, les effets de la perte des profits sont immédiats sur l’emploi, touchant des centaines de milliers de salariés et la vie de millions de personnes, sans parler de ceux et celles dont la survie était déjà fort précaire.

Ainsi, selon les chiffres de la Dares, 657 plans de sauvegarde de l’emploi ont été signés depuis le 1er mars 2020, soit le double par rapport à 2019 à la même date. Ils concernent 67 100 contrats, soit presque 2,5 fois le nombre de personnes touchées l’an passé3. Depuis début mars 2020, 4 900 procédures de licenciement collectif ont également été notifiées concernant pour l’essentiel moins de 10 salariéEs4.

La liste est longue des entreprises qui licencient : dans l’automobile (Renault, Bridgestone, Valéo…) ; l’habillement (Camaïeu, La Halle...) ; le tourisme (TUI, Booking…) et plus récemment dans l’agroalimentaire avec Danone.

Le plus lourd tribut est payé par l’aéronautique puisqu’Air France a prévu de supprimer 7 580 postes d’ici à 2022, ce qui représente 16 % de son effectif et 42 % de l’effectif de Hop ! Et la liste risque de continuer à s’allonger dans les prochains mois.

En novembre 2020, le nombre de demandes d’activité partielle a augmenté de 385 300, élevant le nombre de salariés en chômage partiel à 6,4 millions5.

Dans nombre d’entreprises, les salariés s’organisent contre les licenciements, avec des manifestations ponctuelles la plupart du temps, mais aussi quelques grèves. À l’initiative des salariéEs de TUI, une structure de coordination se met en place, exerçant une pression sur la CGT pour une riposte coordonnée et travaillant à élargir les revendications. En effet, dans la plupart des entreprises, les salariéEs se battent pour de meilleures primes de licenciement alors que, selon nous, l’enjeu est bien d’interdire les licenciements et de partager le temps de travail. En tout cas, une manifestation nationale est en construction pour janvier.

Stop and go et l’impossible obtention du consentement

Si la crise que traverse le capitalisme est exogène, comme le souligne François Chesnais6, parce qu’elle est provoquée par la pandémie et qu’en conséquence sa résolution ne dépend pas du rétablissement du taux de profit mais de la fin de la pandémie, nul doute que maintenir les profits ou endiguer les pertes restent une préoccupation majeure des patrons et des actionnaires. Les moyens employés sont alors trop bien connus : plutôt restructurer que supprimer les dividendes des actionnaires (Danone, Auchan…).

Pour cela, les entreprises peuvent compter sur l’appui sans faille de l’État. La stratégie du gouvernement consiste en effet à confiner, déconfiner, reconfiner, instaurer des couvre-feux, réduire les libertés individuelles et sacrifier les droits démocratiques afin de maintenir l’activité économique telle qu’elle est, afin de maintenir son « cap7», celui des réformes anti-sociales à grande vitesse.

Cette stratégie du stop and go est loin de remporter une adhésion massive, tant elle semble incohérente du point de vue des considérations sanitaires. Entre fin octobre et début décembre 2020, le deuxième confinement s’est avéré en effet plus souple.

Des contestations larvées, sectorielles

Manifestement le gouvernement n’a pas réussi à obtenir le consentement à sa politique. Chaque secteur a défendu son caractère essentiel pour assurer sa survie, dans un système fondé sur la loi économique du plus fort…

Dans ce contexte, l’écho rencontré par les prises de position contre le géant Amazon en défense des petits commerces ou de l’ouverture des librairies début novembre exprime – à la manière des premières revendications des Gilets jaunes il y a deux ans – la résistance de certains secteurs de la population aux inégalités engendrées par le système capitaliste…

À une autre échelle, les très mauvais arguments du documentaire Hold-up ont facilement et rapidement trouvé un écho auprès d’une opinion déboussolée, abreuvée de la parole parfois contradictoire d’experts, défiante envers le gouvernement, les institutions et les partis. Ces contestations larvées sont souvent prisonnières d’un ressentiment sur lequel la droite et l’extrême droite font leur lit et surfent plus ou moins ouvertement.

Contre l’État liberticide

Rien n’est donc plus positif que le fait que le mouvement ouvrier n’est pas resté l’arme au pied pour rester maître de la mobilisation. Dans de nombreuses villes, sur le modèle de la mobilisation à Toulouse le 7 novembre, des manifestations contre les lois liberticides et en faveur de moyens pour la santé ont eu lieu. Le 10 novembre, les enseignants étaient en grève pour réclamer des conditions de travail à la hauteur des enjeux sanitaires.

C’est évidemment entre le 17 et le 28 novembre que la tension est montée d’un cran avec les mobilisations contre les violences policières.

Plusieurs manifestations ont eu lieu le 21 novembre, puis deux événements ont mis le feu aux poudres : l’évacuation des migrants, place de la République à Paris et le passage à tabac de Michel Zecler.

Ces événements ne pouvaient que faire un curieux écho avec la loi de Sécurité globale défendue dans le même temps dans l’hémicycle par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin au nom de « la sécurité, la première des libertés ». Ce slogan figurait déjà mot pour mot sur une affiche de Jean-Marie Le Pen en 19928 !

L’article 24 qui « punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser […] dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police » est particulièrement contesté notamment par les journalistes qui deviennent les moteurs d’une mobilisation naissante. C’est la liberté d’expression qui est mise en cause, alors même qu’elle était défendue quelques semaines plus tôt au moment de la mort tragique de Samuel Paty par le gouvernement…

Au-delà, pourtant, c’est toute la question des libertés publiques qui est en question et la politique du gouvernement criminalisant les classes dangereuses.

Ainsi, le 28 novembre, les colères se déconfinent. Dans plus de 70 villes, environ 500 000 personnes se rassemblent contre la loi de “sécurité globale” et plus largement pour contester la politique liberticide et autoritaire du gouvernement.

Un déconfinement suit l’autre. Comme en juin, les mobilisations ont été massives sur les questions de libertés, de racisme… rassemblant des milliers de jeunes des centres villes et des quartiers.

Gagner la bataille de la crise politique et démocratique qui s’ouvre

Cette prise de conscience à grande échelle que les droits et la justice sont bafoués, que la vraie démocratie est bâillonnée ouvre une crise politique à laquelle le gouvernement va chercher à répondre une fois de plus par la répression et le passage en force.

Le risque est grand de voir la mobilisation s’effilocher avant que les lois liberticides aient été retirées.

Les mobilisations récentes doivent redonner confiance aux travailleurs/ses pour faire la démonstration de leur vitalité démocratique face à des institutions obsolètes au service des profits et de leur capacité à s’unir, se coordonner, centraliser les résistances contre les licenciements et pour l’emploi.Exigeons que soient retirées la loi “sécurité globale” dans son entier, la loi de programmation de la recherche (pas seulement le délit d’entrave), le projet de loi confortant les principes républicains (loi séparatisme), et exigeons le départ de Darmanin.

Une défaite de ce gouvernement, de Macron et de son monde ne pourrait être qu’un encouragement aux luttes en cours pour un monde d’après qui ne ressemble pas furieusement au monde d’avant. Et qu’enfin soit posé : qui décide et pour quoi faire ?

Les travailleurs/ses ont tout à gagner à prendre leurs affaires en mains, à déterminer leurs propres lois et à réinventer leurs cadres d’organisation en croyant en leurs forces pour faire face à l’épidémie de Covid, à une situation sociale fortement dégradée et à un capitalisme en pleine restructuration.

  • 1. Mickaël Deneux, « Amazon triple ses bénéfices », LSA, 30 octobre 2020. https://www.lsa-conso.fr…
  • 2. Isabelle Chaperon, « Covid : les entreprises du CAC 40 avancent à deux vitesses », Le Monde, 19 octobre 2020.
  • 3. Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), Situation sur le marché du travail durant la crise sanitaire au 24 novembre 2020 (https://dares.travail-em…)
  • 4. Idem.
  • 5. Idem
  • 6. François Chesnais, « L’originalité absolue de la crise sanitaire et économique mondiale du Covid-19 », Contretemps, 13 novembre 2020. (https://www.contretemps…)
  • 7. Barbara Stiegler, Du cap aux grèves. Récit d’une mobilisation 17 novembre 2018-17 mars 2020, Editions Verdier, 2020.
  • 8. Jérôme Hourdeaux, « Comment la gauche s’est perdue dans le consensus sécuritaire », Médiapart, 27 novembre 2020. (https://www.mediapart.fr…)