Publié le Lundi 27 juin 2022 à 01h34.

Le programme de la NUPES : entre mesures radicales et gestion du système

Les principaux partis de la gauche réformiste se sont unis pour former la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) après le second tour de la présidentielle du 24 avril 2022 et le bon score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour. L'union s'est faite sur la base d’un programme pour présenter des candidat.e.s dans les 577 circonscriptions aux élections législatives de juin 2022. Ce programme reprend largement le plan et les formulations du programme de Jean-Luc Mélenchon « l’Avenir en commun ».

Il y a 650 mesures que mettrait en œuvre un gouvernement de la NUPES. Il n’est pas question, ici, d’étudier chacune de ces mesures. De façon subjective, nous en sélectionnerons quelques-unes. Mais disons que malgré le flou qui entoure la mise en œuvre concrète de tous ces points, si ces mesures étaient intégralement appliquées, la vie des classes populaires serait considérablement améliorée.

Ce n’est pas une surprise : ce programme n’est pas anticapitaliste. C’est clairement dit dans la présentation nommée « Un programme partagé de gouvernement » : « Nous ferons une grande place dans les travaux législatifs de l’Assemblée, à l’initiative parlementaire. » Par ailleurs même des formules déjà bien floues, ambigües et galvaudées comme « révolution citoyenne », « insurrection citoyenne » ne figurent pas dans cet accord.

Pour autant, doit-on balayer d’un revers de main le programme de la NUPES sous prétexte qu’il s’agit d’un programme réformiste d’inspiration keynésienne ? Avant de répondre à cette question, étudions-en certains des principaux points.

 

Chapitre 1 « progrès social, emploi et retraites »

La réduction du temps de travail en reste aux 35 h mais il est affirmé que le rétablissement de cette durée hebdomadaire du temps de travail sera effectif. Les 32 h de travail hebdomadaires seront réservées aux métiers pénibles ou de nuit.

On est tout de même très loin d’un véritable progrès social qui permettrait aux salariéEs de se dégager de l’exploitation et d’avoir enfin du temps libre. René Dumont, premier candidat écologiste à la présidentielle en 1974, proposait une réduction du temps de travail à 4 heures par jour pour repenser la société sur d’autres bases que celle, suicidaire, de la croissance1.

Pour créer des emplois, le programme de la NUPES propose des grands chantiers : lancer un plan de dépollution de la Méditerranée et plus largement des façades maritimes et fonds marins. Rénovation intégrale des réseaux d’eau et d’assainissement. Lancement de grands travaux de rénovation des voies ferrées et réouverture de lignes et de gares fermées depuis 30 ans.

Concernant les emplois existants, la NUPES réaffirme le CDI comme la « forme normale et générale de travail ». Le programme prévoit l’abrogation des lois Pénicault et El Khomri. Plus globalement, l’application de ce programme adoucirait singulièrement les conditions de vie et de travail de bon nombre de salariéEs : augmentations de salaires, titularisation des contractuelLEs de la fonction publique, limitation de la précarité dans les entreprises, égalité professionnelle entre hommes et femmes, amélioration des conditions de travail, garantie de retraite…

Signalons tout de même ces points en fin de chapitre : « Le Parti socialiste et Europe Écologie-Les Verts ne soutiendront pas le droit de veto suspensif des comités d’entreprise sur les plans de licenciements et proposeront que la garantie d’emploi s’appuie sur la mobilisation de dispositifs existants, notamment “Territoire zéro chômeur de longue durée”, au sein de comités locaux pour l’emploi solidaire pour une politique de l’emploi, garanti et durable.

Le Parti socialiste ne soutiendra pas la suppression de toutes les stock-options et la titularisation proposée à tous les contractuels de la fonction publique. »

Comme le dit le programme ces points seront mis à la sagesse de l’Assemblée…

 

Chapitre 3 : « partage des richesses et justice fiscale »

Dans le sous-chapitre : « Instaurer des protections sociales et écologiques pour produire localement et assurer notre indépendance », il y a une liste de mesures comme la relocalisation de productions essentielles, l’élargissement du devoir de vigilance des multinationales au niveau européen ou encore renégocier le cadre de l’Organisation mondiale du commerce en le plaçant sous l’égide de l’ONU… Comment tout cela sera appliqué concrètement compte tenu des rapports de forces actuels, nationaux et internationaux ? Cela reste en suspens.

L’interdiction des licenciements boursiers fait partie du sous-chapitre : « Revenir sur les privatisations et défendre notre outil industriel ». On y trouve aussi la renationalisation des aéroports stratégiques, des autoroutes et de la Française des jeux. Voilà qui crée une rupture avec le gouvernement Jospin qui, de 1997 à 2002, était celui qui avait procédé au plus grand nombre de privatisations…

Le programme se prononce également pour l’interdiction des licenciements économiques par les entreprises qui versent des dividendes ou qui reçoivent des aides publiques… C’est donc ainsi que l’on apprend que les aides publiques dont les capitalistes se gavent depuis des décennies sont toujours à l’ordre du jour en cas de majorité de la NUPES à l’Assemblée nationale.

La NUPES se propose de mettre au pas la finance et de définanciariser l’économie réelle. Avec par exemple, l’identification et l’interdiction des produits dérivés et toxiques de la finance et la limitation des rendements actionnariaux exorbitants. Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler que Hollande considérait lui aussi la finance comme son ennemie. Simplement pour exprimer le fait que les mots ne sont pas toujours suivis d’actes.

La NUPES se propose ni plus ni moins de faire la révolution fiscale, d’éradiquer la pauvreté…

Là aussi en fin de chapitre on apprend qu’entre autres EELV ne veut pas de nationalisation des banques généralistes. Le PS prévoit, entre autres, l’indemnisation des bailleurs dont les locataires sont en rupture de loyers, le temps de trouver des alternatives aux expulsions.

 

Le chapitre 4 est consacré aux services publics

On y trouve des déclarations d’intention forts louables. Comme la réouverture des urgences, sortir du « tout T2A » (mais pas de la T2A)… Et ce, parmi de nombreuses propositions concernant la santé publique qui, si elles devenaient concrètes, amélioreraient considérablement le fonctionnement des hôpitaux, la prise en charge des patientEs, les conditions de travail du personnel hospitalier.

Même progrès en ce qui concerne la prise en charge des prochaines pandémies où l’on trouve en bonne place la levée des brevets, la réquisition – temporaire – des entreprises produisant du matériel sanitaire et de secours et encore de nombreuses propositions intéressantes…

Les Outre-mer figurent dans ce chapitre. De nombreuses propositions d’ordre général indiquent une vraie conscience des problèmes rencontrés par la population en matière d’éducation, de santé, de salaire, de protection de l’enfance. Les termes colonie ou colonialisme ne figurent pas dans le programme.

Par contre, on trouve en creux, dans le programme, l’affirmation de rééquilibrer les rapports de domination culturelle dans ces territoires : « Soutenir l’enseignement des langues et des cultures d’Outre-mer, et intégrer dans les programmes scolaires nationaux, en France hexagonale et Outre-mer, l’enseignement de l’histoire des Outre-mer ou encore Proposer des sessions de formation (histoire, géographie, culture et enjeux locaux) pour les fonctionnaires non originaires des Outre-mer. » Les grands propriétaires Békés n’ont pas trop de craintes à avoir dans l’immédiat.

 

Pour les arts et la culture, le programme propose un budget à hauteur de 1 % du PIB par an. Là aussi si tous les points figurant dans ce chapitre étaient appliqués, on irait vers l’amélioration du régime des intermittentEs, avec une référence au mouvement d’occupation des théâtres du printemps 2021, vers la gratuité dans les musées et des monuments publics ou encore le fait de revenir sur les privilèges fiscaux – excessifs – offerts au mécénat culturel.

Le financement de la recherche publique est prévu d’être porté à 1,5 % du PIB d’ici 2027. Il est également prévu, dans les promesses de la NUPES, d’organiser des débats entre science et société ou de créer un service public de la publication scientifique avec des licences ouvertes pour permettre à chacunE d’accéder gratuitement au contenu des publications. Là encore de nombreuses propositions détaillées et en rupture avec la politique des gouvernements précédents vont dans une direction progressiste.

Le programme se propose de libérer le sport et les corps de l’argent avec une série de points qui vont de la mise en place de 4 heures d’EPS dans les cursus scolaires à la mise en place – réelle, est-il précisé – d’un plan d’action sur les violences sexuelles, le harcèlement et les LGBT-phobies dans le sport…

La NUPES promet d’éradiquer l’illettrisme pour les jeunes sortis du système scolaire et les adultes d’ici 2027.

Concernant la petite enfance, le programme prévoit l’ouverture de 500 000 places supplémentaires dans les crèches et modes de garde adaptés dans les 5 ans à venir en visant la gratuité des crèches publiques.

Une grande place est laissée à l’éducation. De l’école à l’enseignement supérieur. Impossible ici de détailler tous ces points. On y trouve la satisfaction de vieilles revendications : la suppression de Parcoursup, la suppression du bac nouvelle formule, la revalorisation des salaires des personnels, l’embauche généralisée, tous concours confondus, la gratuité des cantines scolaires… Les années Blanquer seraient rangées au musée des antiquités si ce programme était effectivement appliqué !

En fin de chapitre on apprend que le Parti socialiste ne soutiendra pas l’interdiction des subventions extralégales des collectivités à l’enseignement privé, notamment pour le périscolaire, ainsi que l’abrogation des lois relatives aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et Fioraso et du principe d’autonomie des universités.

Dans le chapitre sur la VIe République et la démocratie, là aussi, un certain nombre de choses amélioreraient notre quotidien en cas d’application de ce programme. En référence aux Gilets jaunes, le premier point prévoit l’instauration du RIC. Un point promet de revenir sur les peines infligées à des citoyens, syndicalistes, militants écologistes, politiques, associatifs et Gilets jaunes qui ont exercé leur droit de manifester, à travers une loi d’amnistie.

Après l’incontournable promesse détaillée de passer à la VIe République et d’en finir avec la monarchie présidentielle, il est également prévu de mettre en place un plan de séparation de la finance et de l’État. Par exemple des peines d’inéligibilité sont systématiquement prévues pour toute personne condamnée pour corruption, ou encore le durcissement des règles contre le conflit d’intérêt et l’interdiction du pantouflage et, bien sûr l’arrêt de l’utilisation des cabinets de conseil style Mc Kinsey pour déterminer les politiques publiques.

Une référence à la laïcité prévoit de combattre les communautarismes et l’usage politique de la religion. Dans le contexte islamophobe actuel, ce point ne nous parait pas très opportun et c’est un euphémisme.

Enfin il y a un certain nombre de déclarations d’intention pour mettre fin à l’emprise de quelques milliardaires sur la presse.

En fin de chapitre il est spécifié que le Parti socialiste proposera que l’Assemblée nationale soit élue à un scrutin à dominante proportionnelle et que la loi d’amnistie ne s’applique qu’aux personnes qui ont exercé leur droit de manifester sans violence et dans le cadre légal et que le Parti communiste français ne soutiendra pas le droit de vote à 16 ans. Il n’est pas favorable à l’octroi à la Corse du statut prévu par l’article 74 de la Constitution.

Le chapitre consacré à la sûreté et à la justice reste très respectueux de ces fonctions régaliennes de l’État

Les BAC et BRAV-M ne seraient pas supprimées mais redéployées. Il est toutefois prévu que l’IGPN et l’IGGN seraient remplacées par une autorité indépendante composée d’universitaires de magistrats et de citoyens. L’abrogation de la loi de Sécurité globale est prévue. La légalisation du cannabis est également promise. C’est sûr que la NUPES prévoit de tourner le dos aux années Valls, Castaner et Darmanin sans remettre en cause le rôle de défenseurs de l’État bourgeois de la justice et de la police.

Il est croustillant de savoir que « le Parti socialiste refuse l’utilisation de la terminologie “violences policières”, en conséquence il ne soutiendra pas la création d’une commission d’enquête sur les violences policières ayant entraîné la mort ou la mutilation de citoyens pour en établir toutes les responsabilités et que le Parti socialiste et le Parti communiste français proposeront l’organisation d’un débat public dans la première année de la législature sur la question de la légalisation du cannabis. »

Le chapitre 8 s’intitule « égalité et lutte contre les discriminations. » Il prévoit en plusieurs points de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes. Il est prévu ni plus ni moins d’abolir la prostitution. D’imposer la parité dans les directions des partis politiques, des syndicats, des associations…

La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations est détaillée en plusieurs points.

Un plan massif de recrutement est prévu pour les EHPAD ainsi que la création de 10 000 places. L’AAH atteindrait le niveau du SMIC et serait déconjugalisée.

Enfin le dernier chapitre traite de l’Union européenne et de l’international. Il s’agit là d’un exercice de grand écart puisqu’en tête de chapitre il est spécifié que « La France insoumise et le Parti communiste français sont héritiers du non de gauche au Traité constitutionnel européen en 2005, le Parti socialiste est attaché à la construction européenne et ses acquis, dont il est un acteur clé, et Europe Écologie-Les Verts est historiquement favorable à la construction d’une Europe fédérale.

Ensemble, nous voulons faire bifurquer les politiques européennes vers la justice sociale, l’écologie, le progrès humain et le développement des services publics. »

Suit une liste de déclarations d’intention comme : renforcer la lutte pour le climat, transformer la politique agricole commune, étendre les droits sociaux, éradiquer l’évasion fiscale, l’accueil digne des exiléEs, renforcer la démocratie.

La NUPES tente de répondre préventivement à celles et ceux qui pensent que cette volonté de modifier les règles européennes seraient vouées à l’échec. La FI et le PCF souhaitent sortir de l’OTAN ; pas le PS.

Un programme de gouvernement

En conclusion un gros travail a été fait pour que la NUPES apparaisse comme une véritable coalition de gouvernement dans le cadre des institutions actuelles. Si ces 650 propositions étaient effectivement appliquées, la vie de la population serait grandement améliorée. Mais il y a une grande absente, c’est la mobilisation populaire massive et consciente, c’est la lutte des classes.

Parce qu’il faut être clair : la bourgeoisie ne se laissera déposséder d’aucune de ses prérogatives, elle n’acceptera pas de se priver d’un seul centime si elle n’y est pas contrainte par un rapport de force composé de luttes dans les entreprises, dans les quartiers, dans les rues de façon autoorganisée.

Frédéric Lordon qui sympathise pourtant avec la FI et la NUPES, disait en décembre 2021 sur Là-bas2 que « Mélenchon n’aurait même pas le temps de poser ses fesses sur le fauteuil présidentiel ou, dans la situation actuelle, dans celui de Premier ministre, que son gouvernement serait torché en moins de quinze jours. » Il explique que « ce gouvernement serait pris dans une tempête totale : une tempête médiatique, une tempête financière et une tempête politique généralisée avec les malversations du capital industriel qui est tout à fait capable de mettre une économie en rade par simple sabotage comme l’expérience du Chili l’avait cruellement prouvé. »

À moins d’une immense mobilisation populaire dans la foulée de l’élection, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Lordon. Mais si mobilisation il y a, nous n’appellerons jamais à terminer une grève, comme le disait Thorez, le dirigeant du PCF, en 1936. Nous pousserons de toutes nos forces à ce que ce soit la population auto-organisée qui pose ses fesses au pouvoir dans toute la société et pas seulement pour quinze jours !

  • 1. Reporterre : Réduire le temps de travail, une nécessité écologique. Willy Gianinazzi. 3 juillet 2020
  • 2. Frédéric Lordon : « le capitalisme nous détruit, détruisons le capitalisme » (2/2) | Entretiens | Là-bas si j’y suis (la-bas.org)