Le programme du RN (anciennement FN) à l’élection européenne du 26 mai prochain tient en un « Manifeste pour une nouvelle coopération en Europe » de 75 pages, complété et / ou résumé dans une brochure de dix pages intitulée, elle : « Pour une Europe des nations et des peuples ». Nous nous intéresserons, ici, au volet économique de ce projet.
Que le parti d’extrême droite soit, pour « rétablir les contrôles aux frontières nationales », pour « l’arrêt de l’immigration légale », puis – de manière démagogique afin de coller aux préoccupations et revendications des Gilets jaunes – pour l’instauration du RIC ou référendum d’initiative citoyenne ne constitue pas une nouveauté ni une surprise.
C’est sur le volet économique et institutionnel (relatif aux structures de l’Union européenne) qu’il y a du relativement nouveau, dans la mesure où, lors des scrutins précédents, le FN, qui n’avait pas encore changé de nom, prônait la sortie de l’Euro et jouait au moins avec l’idée de quitter l’Union européenne. Cet aspect a été gommé lors de la préparation du scrutin européen de 2019, le profil basiquement anti-européen du parti d’extrême droite avait ajouté à son échec à l’élection présidentielle de 2017, le faisant apparaître comme « irresponsable » dans les milieux économiques et conservateurs.
La fin des institutions politiques européennes
Le premier aspect du projet de la principale liste d’extrême droite française – sur sept, au total, qui se présentent à cette élection européenne, dans l’Hexagone – est qu’il préconise le maintien du cadre européen, mais en réduisant quasiment à néant le pouvoir supranational au sein de l’Union, autrement dit, en ramenant à un niveau proche de zéro le transfert de souveraineté.
Le RN entend, en effet, totalement privilégier l’action « intergouvernementale » au sein de l’Union européenne, et réduire l’exécutif de l’Union – la Commission européenne basée à Bruxelles – à un simple exécutant des pouvoirs nationaux. Dans la version longue du projet (celle de 75 pages), le parti d’extrême droite écrit ainsi noir sur blanc : « Instrument technique de second rang, la Commission européenne deviendra le secrétariat général du Conseil, c’est-à-dire un simple secrétariat administratif sans rôle décisionnaire. L’initiative des lois reviendra exclusivement au Conseil qui réunit les chefs d’État et de gouvernement légitimement élus dans chacun des pays.»
Cette Union sera donc avant tout dirigée par les exécutifs nationaux, réduisant encore plus que ce n’est déjà le cas aujourd’hui, le rôle du Parlement européen. Alors que ce dernier n’est pas aujourd’hui doté de tous les pouvoirs d’un vrai parlement – il peut délibérer sur des projets de loi émanant de la Commission européenne ou du Conseil, mais pas en proposer lui-même de sa propre initiative -, avec le projet du RN, il lui en resterait encore moins.
La défense du capital français
En termes d’économie, le projet est avant tout fondé sur une vision de la guerre économique qu’il s’agit de gagner en faveur de, pour le résumer vite, « nos » entreprises.
D’un côté, le RN écrit ainsi dans la brochure : « L’acceptation de l’union douanière nécessite, en contrepartie, que la France puisse mettre en œuvre le patriotisme économique en rendant les entreprises françaises prioritaires dans la commande publique. »
Résumé : les autres pays ont le droit d’acheter chez « nos » entreprises qui exporteront sans entraves chez eux – union douanière oblige -, mais ce sont les entreprises françaises qui auront la priorité dans l’attribution de l’argent public français. Bien entendu, les autres pays auront sans doute la liberté de faire la même chose chez eux ; étant précisé qu’en raison de la puissance économique française, les entreprises hexagonales (renflouées d’argent public français) pourront tout de même rafler des parts de marché…
A l’échelle européenne, c’est à peu près la même vision qui prévaut. Dans la version longue du projet, le RN écrit ainsi : « Des champions nationaux sur le marché européen, des champions européens sur les marchés mondiaux : Les champions nationaux seront incités à partir à la conquête des marchés européens, comme ils le font dans l’industrie, comme ils le font encore trop peu dans les services. […]. Mais quand ils affrontent des géants mondiaux, américains, chinois, ou encore indiens ou russes, chaque fois que l’intérêt stratégique et l’autonomie de l’Europe sont en question et que l’intérêt mutuel des entreprises le commande, les projets communs et les alliances s’imposent pour que des géants européens se battent à armes égales avec leurs vrais concurrents ! Une vue étriquée de la concurrence ne doit pas retarder les coopérations. » C’est, en effet, clair comme l’eau de roche : il s’agit de défendre l’intérêt des gros groupes capitalistes européens, parce que ce serait « nos » groupes. Défense de rire.
Le RN opposé à un salaire minimum européen
Un salaire minimum pour les travailleurs et travailleuses salarié/e/s ? Peut-être en s’accordant, comme le proposent certaines listes (sous des conditions qui diffèrent entre elles, mais pour le principe, même les libéraux de LREM y pensent), sur un niveau de rémunération minimum à l’échelle de l’Union européenne, afin d’éviter que le dumping social mette le plancher vraiment trop bas ? Vous n’y pensez pas ! Le RN pointe, en la matière, un prétendu risque majeur : « Cette harmonisation aboutirait en pratique à l’effondrement des salaires et donc du pouvoir d’achat dans les pays d’Europe occidentale. » Avant de s’offusquer bruyamment : « Mme Loiseau, la tête de liste LREM, défend l’idée d’un SMIC européen : il faudrait qu’elle en explique aux Français les conséquences qui en résulteraient sur leur niveau de vie ! »
Comme si fixer un minimum en matière salariale abaissait les rémunérations ! La réalité est, évidemment, tout à fait différente. C’est, tout d’abord, l’absence d’un plancher et la compétition qui tirent les salaires vers l’infiniment bas. Les modèles évoqués dans le débat public, quelles que soient leurs limites ou quels que soient leurs défauts, ne visent pas à tirer les SMIC les plus élevés vers le bas, mais les moins élevés vers le haut.
En ce qui concerne l’idée d’un salaire minimum européen ou transnational, elle n’est, bien entendu, pas un remède en soi. Toute la question sera de savoir quel serait le niveau du minimum envisagé (dans les projets les plus communément discutés, il se calculerait dans chaque pays européen en pourcentage du salaire médian mesuré), quels seront ces mécanismes de réévaluation – compensation de l’inflation ? à quelle périodicité ? « coups de pouce » ? possibilité d’un débat politique régulier sur le niveau du salaire minimum ? et sur quelle base de comparaison il sera calculé.
Le FN refusait, historiquement, l’existence d’un SMIC en France ; or, depuis son tournant du libéralisme économique (cher à Jean-Marie Le Pen dans les années 1980) vers la démagogie sociale et un discours national-social et protectionniste (à partir des années 1990), il s’est à l’idée d’en admettre le principe. Aujourd’hui, il retrouve ses vieux démons économiques dans le débat européen…
Bertold du Ryon