Publié le Samedi 29 mai 2010 à 09h12.

Martine Aubry veut mettre du care dans l’idéologie du Parti socialiste

La notion de « care » est apparue aux États-Unis dans les années 1980. Ce concept comprend de multiples dimensions contrairement à l’utilisation qu’en fait Martine Aubry. Pour celle-ci, le care se limiterait à la maladie et à la dépendance. Le 2 avril dernier, Martine Aubry se prononçait sur Mediapart en faveur d’une « société du bien-être et du respect, qui prend soin de chacun et prépare l’avenir ». Cette société que la première secrétaire du Parti socialiste appelle de ses vœux se voudrait le socle idéologique d’une « gauche solide sur ses valeurs » et la réponse face « au matérialisme et à l’individualisme ». La société du « care » dont il est question serait, selon la maire de Lille, la société « du soin mutuel : la société prend soin de vous, mais vous devez aussi prendre soin des autres et de la société ». Le mot care, traduit en français généralement par soin, attention, sollicitude ou encore « concernement » est apparu dans le sillage de la deuxième vague du féminisme américain à partir des travaux de la psychologue Carol Gilligan. Ce concept anglophone désigne tout à la fois un souci, une attention portée à autrui (to care about) et le fait de s’occuper, de prendre soin de quelqu’un, de quelque chose (to take care of). Cette perspective qui a pris le nom de care, permet de réévaluer toute une série d’activités généralement mises à l’écart, ignorées, voire méprisées, et souvent reléguées à la sphère privée ou intime et qui sont le lot des femmes d’une part, et de tous les « outsiders » du pouvoir, d’autre part. Même si le concept n’est pas neuf et date des années 1980, son introduction dans le débat public national est une première. Il est vrai que tant les féministes que les chercheurs français n’ont jamais été séduits par ce concept, à la différence du monde anglo-saxon où le livre de Carol Gilligan, In a different voice1, a été un best-seller et demeure la référence pour plusieurs générations de militantes.  Mais son utilisation dans le débat français par Martine Aubry soulève plusieurs questions. Et la première est bien celui du choix des mots : ainsi Patricia Paperman et Sandra Laugier2, rares spécialistes de ce concept en France, ont refusé de traduire le care en français. Elles cherchaient en fait à en garder les multiples dimensions et échapper ainsi à toute réduction qui porterait vers le soin ou l’expression de sentiments et d’émotions. Martine Aubry en le traduisant par « soin mutuel, bien-être », tombe justement dans ce que les auteures cherchent à éviter et laisse penser que c’est un concept limité à la maladie et la dépendance. La question centrale du care est sa volonté manifeste de donner du pouvoir à ceux et celles qui n’en ont pas, principalement en revalorisant tout un ensemble d’activités de la sphère privée et du monde du travail qui sont marginalisées par la société capitaliste. Dans ce sens, la conception de l’individu, qui n’est pas un simple être juridique mais un parcours, une histoire, des sentiments, permet de penser l’égalité, le travail ou la citoyenneté. La première secrétaire du Parti socialiste n’arrivera pas à nous faire croire que son parti est capable de mettre du care dans le politique, surtout après avoir fait, et depuis longtemps, le choix du marché et des puissants.. Wassim Azreg1. Une voix différente, collection Champs, Flammarion.2. Paperman P. & Laugier S. (dir.), Le souci des autres. Éthique  et politique du care, éditions de l’EHESS, « Raisons Pratiques », 2005.