« Prévenir et sanctionner les violences lors des manifestations » : tel est l’intitulé chantant de la proposition de loi adoptée par le Sénat en première lecture le 23 octobre. Proposé par le groupe Les Républicains, ce texte, qui n’a pour l’instant pas force de loi puisqu’il n’a pas été examiné par l’Assemblée nationale, propose de durcir les dispositifs répressifs contre les manifestations, et de restreindre encore un peu plus les libertés publiques.
« Bien davantage que de casseurs de vitrines, il s’agit en fait de briseurs de République. Eh bien, la République doit briser ces groupes » : le ton martial adopté par Bruno Retailleau, président des sénateurs LR, est à l’image du contenu de la proposition de loi. Exploitant les événements du 1er Mai dernier à Paris, le texte prend prétexte de l’existence et de l’action des « black blocs » pour s’en prendre, en réalité, à toutes celles et tous ceux qui manifestent pour résister à la destruction méthodique de nos droits et acquis sociaux.
Une batterie de dispositifs liberticides
L’une des principales dispositions de la proposition de loi est la généralisation de la possibilité, pour les préfets, de prononcer des interdictions de manifester, à titre préventif, contre « toute personne dont la participation à cette manifestation constitue un risque d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Lorsque l’on connaît l’usage élastique qui peut être fait de la notion d’« ordre public », on mesure aisément les résultats que pourrait engendrer l’inscription, dans le droit commun, d’un tel dispositif, jusqu’alors utilisé de manière « exceptionnelle » (et déjà arbitraire). Une mesure qui s’accompagnerait de la création d’un « fichier national de personnes interdites de manifestations ». Il est vrai que l’on manquait de fichiers…
Autre mesure proposée dans le texte, la transformation de l’infraction de dissimulation du visage lors d’une manifestation en délit, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le Sénat va même encore un peu plus loin en proposant de modifier l’article 431-10 du code pénal, qui punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de participer à une manifestation en étant détenteur d’une arme. La peine concernerait désormais les individus porteurs d’une « arme par destination », « c’est-à-dire tout objet qui, sans être en soi une arme, peut être utilisé en tant que tel ». « C’est-à-dire » une longue liste potentielle d’objets… Signe des temps, le texte propose même d’inclure « le fait de détenir ou de faire usage, sans motif légitime, de fusées d’artifice ». Les cheminotEs n’ont qu’à bien se tenir…
« Présomption de responsabilité collective »
Les contrôles aux abords des lieux de manifestation seraient également renforcés, avec la possibilité pour les préfets d’établir des « périmètres ciblés » dans lesquels pourraient être organisées « des fouilles ciblées, pendant les douze heures qui précèdent la manifestation et jusqu’à dispersion ». Avec la possibilité que la police soit assistée, lors de ces contrôles, par « des agents de sécurité privée ». No comment…
Enfin, on notera une autre trouvaille des sénateurs LR, avec la proposition de consacrer une « présomption de responsabilité civile collective » par laquelle les personnes condamnées pour des faits de violences lors de manifestations « sont présumées coresponsables de l’ensemble des dommages résultant de la ladite manifestation ». On imagine facilement le genre d’escalade à laquelle une telle disposition pourrait conduire…
Le texte n’a pas, pour l’instant, franchi les portes du Sénat. Le gouvernement explique qu’il souhaite un texte « plus abouti », et a expliqué qu’un groupe de travail commun aux ministères de la Justice et de l’Intérieur rendrait ses conclusions le 15 janvier. La vigilance s’impose…
Julien Salingue