Publié le Vendredi 14 février 2020 à 20h59.

Nous ne verserons aucune larme sur le sort de Benjamin Griveaux

Benjamin Griveaux a donc jeté l’éponge dans la course à la mairie de Paris, dans laquelle il était largement distancé, dans les sondages, par Anne Hidalgo et Rachida Dati, entre autres en raison de la candidature dissidente de Cédric Villani. Un renoncement qui s’est certes fait dans des circonstances particulières, suite à la publication de messages et d'images relevant du domaine privé, un procédé pour le moins sordide, mais qui participe nénamoins d’une dynamique plus large de déstabilisation et de fragilisation du pouvoir. 

Leur empathie et la nôtre

Jusqu’à preuve du contraire, Benjamin Griveaux n’a, dans « l’affaire » qui a précipité sa chute, rien commis d’illégal ou de répréhensible, dans la mesure où la personne destinataire de ses messages, photos et vidéos aurait été, selon l’homme qui les a mises en ligne, Piotr Pavlenski, consentante : « Clairement, malgré nos relances, il [Pavlenski] n’indique aucun comportement, à ce stade, susceptible d’être inapproprié, voire de relever de harcèlement sexuel. »1 C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont fait que Mediapart, contacté en début de semaine par Pavlenski, a refusé de publier les « informations » de ce dernier : « Ces messages et ces vidéos ne sont rien d’autre qu’une atteinte manifeste à la vie privée, ou de la pornodivulgation (le terme officiel pour "revenge porn"). […] Et cela n’a absolument rien à voir avec les enquêtes que Mediapart a publiées depuis bientôt dix ans sur les violences sexistes et sexuelles, ou sur les comportements jugés inappropriés de personnes en position de pouvoir. »2 Un point de vue que nous ne pouvons, au vu des informations pour l’instant disponibles, que partager. 

Rien de politique donc, et rien de très reluisant, dans la révélation de ces vidéos et photos. Mais le moins que l’on puisse dire est que l’on a du mal à éprouver de l’empathie pour le candidat d’une majorité présidentielle qui joue à fond la carte de la « peopolisation », en faisant de la vie privée un argument de vente politique, et qui, surtout, mène depuis plus de deux ans et demi une politique détruisant nos droits, nos libertés, nos vies. Que le procédé consistant à rendre publiques des images privées soit dégueulasse ne rend pas Griveaux sympathique, et nous ne mêlerons pas nos voix à ceux qui proclament leur « soutien » ou leur « solidarité » avec le représentant d’un pouvoir qui insulte chaque jour les salariéEs et les chômeurs, qui détruit méticuleusement les services publics, qui brise des vies par ses contre-réformes ultra-libérales, qui veut nous faire travailler jusqu’à la mort, qui blesse, qui mutile, qui soutient les flics tueurs, qui persiste dans une politique climaticide, qui participe à des sales guerres, qui vend des armes à des dictatures… la liste n’est pas exhaustive. 

Un renoncement qui en dit long

La dénonciation des mœurs supposément dissolues des responsables politiques, aussi détestables soient ces derniers, ne fait pas partie de nos méthodes, et l’histoire nous enseigne qu’elle n’a jamais servi, bien au contraire, les projets émancipateurs. Au passage, nous ne sommes d’ailleurs guère surpris de voir surgir, dans cette « affaire », le nom de l’avocat Juan Branco3 : celui-ci, qui affirme conseiller l’artiste russe Piotr Pavlenski, s’était en effet fait remarquer pour son ouvrage Crépuscule, consacré aux premiers cercles de la Macronie, dans lequel le discours moral l’emportait largement sur l’analyse politique et sociale, à un point tel que Branco s’en prenait aux « mœurs irrégulières des plus riches de notre pays » et évoquait « cette République qui a aspiré le monde, et qui sombre maintenant entre des mains prostituées »4. Sic

Mais nous ne verserons pas de larmes de crocodile sur le « destin tragique » de Benjamin Griveaux et, même si nous aurions préféré que son départ se fasse dans d’autres conditions, difficile de se retenir de penser : « Un de moins ! » A fortiori dans la mesure où son renoncement, même s’il s’est passé dans les circonstances que nous connaissons, est un indice supplémentaire de la fragilité de la Macronie. On ne peut en effet s’empêcher de penser que si le pouvoir n’avait pas été aussi peu populaire, que si les « affaires » ne s’étaient pas multipliées depuis le début du mandat de Macron, et que si la majorité LREM n’était pas aussi fissurée, notamment sous la pression des mobilisations, au point de voir se multiplier les candidatures municipales dissidentes, comme dans le cas de Cédric Villani, Griveaux n’aurait pas été contraint de renoncer à la course à la mairie de Paris. 

Un pouvoir déstabilisé

Dans des situations autrement plus graves et/ou compromettantes, d’autres se sont ainsi accrochés à leurs postes (à l’instar de François de Rugy) ou continuent de le faire (Richard Ferrand), rivalisant d’ingéniosité pour établir leur bonne foi. Rien de tel chez Benjamin Griveaux, qui a jeté l’éponge en moins de 48 heures, en raison d’une affaire privée dans laquelle, répétons-le, rien d’illégal, jusqu’à preuve du contraire, n’a été commis. La Macronie demeure certes arrogante, mais le temps des certitudes semble, pour certains, révolu, comme l’a concédé à mots à peine couverts un élu LREM : « S’il [Griveaux] avait été à 32 % dans les sondages, il aurait peut-être pu tenter de retourner l’opinion. Vu ce que les gens pensent déjà de lui, c’était le naufrage assuré. La décision de partir était inéluctable. »5

  • 1. Lénaïg Bredoux et Ellen Salvi, « Benjamin Griveaux, les vidéos et Mediapart », Mediapart, 14 février 2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/140220/benjamin-griveaux-les-videos-et-mediapart
  • 2. Idem.
  • 3. On n’aura pas manqué, en outre, de relever que le nom du député Joachim Son-Forget figure également en bonne place dans cette « affaire », puisqu’il est l’un des premiers « gros comptes » Twitter à avoir relayé les images de Benjamin Griveaux. Ironie de l’histoire (?), c’est donc l’un des éléments les plus décomposés de la Macronie, propulsé député suite à la sélection opérée sur CV, en 2017, par les DRH de LREM, qui a participé à précipiter la chute de Griveaux.
  • 4. Lire à ce propos Julien Salingue, « Juan Branco ou le crépuscule des idées émancipatrices », 9 octobre 2019, en ligne sur https://npa2009.org/idees/culture/juan-branco-ou-le-crepuscule-des-idees-emancipatrices
  • 5. Manuel Jardinaud et Ellen Salvi, « Benjamin Griveaux renonce à sa candidature à la mairie de Paris », Mediapart, 14 février 2020 : https://www.mediapart.fr…] D’autres paniquaient déjà à l’idée que la campagne municipale de LREM, à Paris comme au niveau national, soit encore plus agitée qu’elle ne l’est déjà. On constate d’ailleurs – signe des temps ? – que, pour prendre la suite de Griveaux, cela ne se bouscule pas au portillon, à part du côté de Mounir Mahjoubi, le Marcheur aux dents les plus longues de la place de Paris.

    « Vu ce qu’on montre en ce moment, les élus locaux qui ont l’étiquette En Marche ont du souci à se faire  » : ainsi s’exprimait, sous couvert d’anonymat, un député LREM, quelques heures avant d’être reçu, au côté de l’ensemble des élus du groupe, le 11 février à l’Élysée. Le renoncement de Benjamin Griveaux ne va pas inverser cette tendance, bien au contraire, et participe en réalité d’une dynamique de déstabilisation du pouvoir qui ne cesse de s’amplifier. Les Gilets jaunes et la mobilisation contre la réforme des retraites y sont pour beaucoup : en s’opposant avec détermination aux politiques antisociales et en gagnant les batailles idéologiques face à un gouvernement qui multiplie mensonges et provocation, ces mouvements contribuent largement à fragiliser le pouvoir. Un encouragement à poursuivre, sur le terrain politique et social, nos combats, en premier lieu pour les retraites, et à continuer d’aller pourrir les apparitions publiques des petits soldats de la Macronie qui, sous leurs airs arrogants, n’arrivent pas à reprendre la main et, petit à petit, perdent pied.