Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, la coalition formée lors des dernières législatives sous l’impulsion de La France insoumise est traversée de tensions multiples qui mettent en péril son existence même. Les désaccords tactiques voire stratégiques, évacués avant l’été dernier par une séquence électorale pleine de promesses, reviennent aujourd’hui comme un boomerang.
«Adhérer directement à la Nupes » ? C’est visiblement ce que souhaitait dimanche Sandrine Rousseau, la députée EÉLV, reprenant ainsi une proposition formulée le jour même par Manuel Bompard dans une interview au JDD. Une proposition aussitôt balayée par le PS et le PCF qui y voient la possibilité d’y perdre leur indépendance organisationnelle, en passant sous les fourches caudines de LFI qui en assure à cette heure le leadership.
Regain de tension
Toujours selon Sandrine Rousseau « la Nupes n’est pas juste une alliance électorale ». Certes, mais force est de reconnaître que celle-ci a bien du mal à exister au-delà de l’intergroupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Si les « groupes d’action » de La France insoumise sont une force militante dans beaucoup de villes, on peine à trouver de tels cadres à l’échelle de la Nupes. Pire les tentatives venues de la direction de La France insoumise de mettre en place des structures a minima d’élaboration commune, telles qu’un « parlement de la Nupes », n’ont rien fécondé face aux réticences de leurs « partenaires ». Et la manifestation nationale du samedi 21 janvier contre le projet de contre-réforme des retraites n’avait vu que l’engagement de la seule France insoumise, avec un refus plus ou moins poli du reste de la Nupes...
C’est aussi dans ce cadre qu’il faut apprécier les positionnements divergents qui sont apparus dans le cadre du débat parlementaire. Après la demande formulée par les directions de la CGT et de la CFDT que l’Assemblée nationale puisse aller jusqu’à l’examen, voire au vote, du fameux article 7 reculant l’âge légal de départ à la retraite, les députéEs de la Nupes ont retiré 90 % de leurs amendements pour accélérer les débats… Mais ils se sont ensuite renvoyé la patate chaude face à l’échec de cette tactique, les Insoumis assumant pleinement « l’obstruction parlementaire » pour empêcher à tout prix le vote de l’article 7.
Et la semaine dernière, le lamentable retour d’Adrien Quatennens voté par le groupe parlementaire LFI a fait tousser quelques-unEs de ses députéEs, dont François Ruffin et Clémentine Autain, mais a surtout donné à voir la discorde existant au sein de la Nupes. Le PS a parlé de « faute politique », un choix qualifié de « lamentable » par la sénatrice EÉLV Mélanie Vogel...
Si un point semble faire accord en son sein, c’est que la Nupes a besoin d’un « Acte 2 » pour se relancer. Car le premier bilan de la séquence de mobilisation actuelle, c’est que ni la coalition ni aucune de ses composantes ne profitent à plein de la colère sociale contre le macronisme, laissant ainsi le danger RN apparaître comme le réceptacle politique de celle-ci.
Avec qui et pour faire quoi ?
Entre clarification de l’orientation et réorganisation démocratique, les différentes composantes de la Nupes ne mettent pas le curseur sur les mêmes difficultés, et surtout évacuent les questions qui fâchent : avancer, oui, mais avec qui et pour aller où ?
À l’évidence, le PCF a bien sa petite idée sur la question. Son dernier congrès, clos il y a une dizaine de jours, a été marqué par la victoire de la ligne de son ex-candidat à la présidentielle, Fabien Roussel. Une ligne qui combine une auto-affirmation identitaire « communiste » (dans le sens du PCF en tant que parti, d’une légitimité issue d’une trajectoire historique) à une orientation de gestion quotidienne dans les institutions municipales, départementales ou régionales en force d’appui à un PS sous direction social-libérale. C’est dans cette visée politique qu’il faut apprécier le positionnement de la direction actuelle du PCF soucieuse de desserrer l’étreinte d’une France insoumise trop hégémonique à son goût : « Concernant la Nupes, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais il faut changer l’eau du bain de temps en temps ! »… Une formule toute rousseliste pour justifier la main tendue à Carole Delga et Bernard Cazeneuve, les peu ragoûtants restes du hollandisme avec lesquels le PCF se dit prêt à travailler pourvu que cela l’éloigne de Mélenchon. Derrière le « Front populaire », le retour de la gauche plurielle...
Du point de vue de ses perspectives, l’épreuve du feu est devant la Nupes. Non sans ambiguïté et zigzags, elle a su être une force d’opposition dans les institutions, souvent sur la base du plus petit dénominateur commun. Mais les élections européennes l’année prochaine vont devoir trancher. La révision du programme « l’Avenir en commun », les 650 mesures qui servent de base programmatique à la Nupes, avait opportunément laissé de côté la question européenne, qui cristallise le niveau de rupture avec les canons capitalistiques de la construction européenne, de la rupture nécessaire avec les traités qui la régissent. Et EÉLV comme le PCF affirment déjà leur volonté d’aller aux urnes sous leurs propres couleurs. Or, comme le dit Manuel Bompard, « comment gouverner ensemble le pays si nous ne sommes pas capables de porter des combats communs au niveau européen ? »
Entre gestion et rupture, la Nupes ne pourra renverser la table qu’au prix d’un choix douloureux. Y survivra-t-elle ?