Mardi 21 octobre, a été voté à une courte majorité, 266 voix contre 245, la partie recettes du budget 2015, vote marqué par une abstention des « frondeurs » dont trois anciens ministres, Aurélie Filippetti, Benoît Hamon et Delphine Batho, ainsi que celle de 14 écologistes dont Cécile Duflot. La crise rebondit de plus belle dans un PS en plein psychodrame et en pleine crise d’identité...
Cette première partie du débat budgétaire met Valls et son gouvernement dans une situation difficile. Pourtant, les « frondeurs » n’ont nullement l’intention de basculer dans l’opposition : ils se contentent de reprocher à Hollande de ne pas résister à Bruxelles et de ne pas dialoguer avec eux. Sur le fond, ils ne remettent rien en cause, seulement soucieux de ne pas être associés au discrédit qui touche l’exécutif.
L’austérité, oui, mais à quelle sauce ?À court terme, Hollande n’a pas plus à craindre de sa majorité que de Bruxelles, de l’abstention des « frondeurs » que de la lettre de la Commission européenne. Les uns et les autres ne font que discuter des modalités de mise en œuvre de l’austérité. Il n’empêche que tout cela affaiblit Hollande et Valls.Benoît Hamon rencontre un certain écho quand il dénonce « la préparation tout droit, comme on s’y prépare pour 2017, d’un immense désastre démocratique [...] non seulement l’arrivée au second tour de la présidentielle de Marine Le Pen sans coup férir, mais en plus la menace que demain, elle dirige le pays ». Cambadélis peut se dire choqué ou le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, dénoncer un « manquement au devoir […] Il y a des devoirs quand on est dans une majorité. La question budgétaire est essentielle. Donc il y a un manquement au devoir ». Mais les leçons de morale seront impuissantes à imposer la solidarité avec un gouvernement en déroute.Martine Aubry en profite pour régler ses comptes avec Hollande tout en se posant en leader éventuel des « frondeurs ». Elle dégomme une politique faite « au détriment de la croissance », les aides aux entreprises sans contreparties, la grande réforme fiscale qui ne vient pas, le « mirage » du travail du dimanche, la remise en cause de l’assurance chômage, le refus du débat avec les « frondeurs »... Tout en affirmant à qui veut l’entendre : « Je veux absolument que François Hollande réussisse » !
« Se réinventer ou mourir »...Valls a contre-attaqué, cherchant à accélérer les ruptures. « Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. La seule question qui vaille, c’est comment orienter la modernité pour accélérer l’émancipation des individus », dit-il sans rire. Il propose, mais ce n’est pas vraiment une nouveauté, de « bâtir une maison commune » de « toutes les forces progressistes », sous la forme d’une fédération ou d’un parti commun, face à la « menace d’une droite dure et d’une extrême droite qui progresse ». Et, vieille rengaine aussi, le PS devrait abandonner son étiquette « socialiste » pour se contenter d’être « pragmatique ». Convaincu que le PS ne survivra pas au discrédit du pouvoir, Valls prépare 2017 en se démarquant, et de Hollande et des dirigeants du PS, pour jouer son propre jeu au centre et à droite, vers Bayrou et Juppé.Cambadélis, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas hanté par son surmoi marxiste, postule à être celui qui sauvera le PS. Étrange sauveur que celui dont le parcours personnel est jalonné de reniements, de coups tordus, et par l’attrait pour le pouvoir et l’argent. Le rôle de syndic de faillite lui va, en fait, comme un gant.Tout ce petit monde nous joue une mauvaise farce, qui s’étale avec le cynisme et l’inconscience des gens de pouvoir aveuglés par leurs illusions sur eux-mêmes, par les jeux médiatiques, au point de ne pas voir leur propre fin qu’ils prennent un étrange plaisir à accélérer. Une mascarade qui accélère surtout la salutaire rupture des classes populaires, des travailleurEs, avec cette gauche qui n’a jamais été de leur côté, toujours prompte à trahir une fois élue ses propres engagements aussi faibles soient-ils. Aujourd’hui, Cambadélis et ses amis n’ont plus rien à trahir et les travailleurEs n’ont plus d’illusions à perdre. Il leur appartient de prendre leurs affaires en main : faire de la politique pour leur propre compte sur leur terrain de classe.
Yvan Lemaitre