Les membres du gouvernement risquent-ils l’indigestion, à force d’avaler trop de recettes répressives à la fois ? Nous n’en savons rien. Ce que nous savons en revanche, c’est à quel point la tendance actuelle est dangereuse et inquiétante, en ce qui concerne la politique répressive elle-même, surtout dans ce qui est communément appelé le « maintien de l’ordre ».
Si on ne sait pas si le gouvernement souffre d’indigestion, nous apprenons au moins, en lisant Libération le mardi 19 mars, qu’« un ministre », qui reste anonyme, se montrerait en désaccord, voire dans l’incompréhension : « Monter encore d’un cran après la loi anticasseurs, lorsque l’on sait qu’on a déjà inscrit l’état d’urgence dans le droit commun [en 2017], je nous souhaite bon courage… Il ne restera donc plus que l’article 16. » Ce dernier article, inscrit dans la Constitution, confère les quasi-pleins pouvoirs au président de la République en cas de guerre ou de crise majeure (mais tout en lui interdisant de dissoudre le Parlement qui « se réunit de plein droit »).
Ficher, réprimer
« Loi anticasseurs » : on désigne depuis plusieurs semaines sous cette dénomination, qui était en réalité le nom officiel d’une législation des années 1970 (que le gouvernement de François Mitterrand a supprimée peu après les élections de 1981), la loi que les deux chambres parlementaires ont définitivement adoptée le 12 mars 2019.
Son intitulé officiel est « loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs ». Initialement proposé par la droite LR majoritaire au Sénat, et rencontrant d’abord l’opposition de la majorité macronienne, le texte a finalement été repris par cette dernière dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes, moyennant quelques remaniements en marge. La droite LR, elle, a fini par voter une version conforme au Sénat, pour garantir une adoption rapide du texte : au cas où Assemblée nationale et Sénat votent un texte identique, il n’y a en effet pas de « navette » entre les deux chambres, et la loi concernée peut rapidement être promulguée. On devine aisément que le contenu du texte comble de bonheur la droite.
Celui-ci transforme en délit, passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende, le fait de se « dissimuler le visage » lors d’une manifestation de nature politique ou sociale. Jusqu’ici, cette dissimulation constituait une contravention passible de 750 euros d’amende, selon une disposition de la « loi antiburqa » de 2011 également applicable aux manifestantEs.
La future loi permet également de prononcer des interdictions administratives de manifester, une possibilité qui constituera une arme entre les mains des préfets. Ce seront en effet les préfectures qui décideront ces interdictions, un contrôle par unE juge n’étant possible qu’a posteriori, lorsque la manifestation sera – la plupart du temps – terminée. Un fichier recensera toutes les personnes concernées par une telle interdiction. Ce pouvoir conféré à l’administration constitue – selon les mots du député Jérôme Durain – « un risque d’arbitraire [puisqu’] il peut finalement permettre au préfet, donc au gouvernement, de choisir ses manifestants ».
Nouvelle batterie de mesures
Et ce n’est pas tout, car une nouvelle batterie de mesures a été annoncée, lundi 19 mars, par le Premier ministre Édouard Philippe suite à la manifestation des Champs-Élysées. On y trouve notamment la création de nouvelles « unités anticasseurs » de la police, hautement « mobiles » à l’intérieur des manifestations. Le commandement de la police, jusqu’ici concentré sur l’île de la Cité dans le cas parisien, sera beaucoup plus décentralisé, ce qui peut permettre plus d’initiatives autonomes… et, sans doute, encore moins de retenue dans un certain nombre de cas où il s’agira de frapper vite et fort. A fortiori dans la mesure où Philippe, comme Castaner, ont clairement laissé entendre qu’il ne fallait en aucun cas limiter l’usage des LBD, armes de mutilation massive.
Autre mesure annoncée, le simple fait de participer – de façon passive – à une manifestation interdite par les autorités reste une contravention, mais l’amende prévue passera de 38 euros actuellement à 135 euros. En outre, des zones telles que les Champs--Élysées à Paris ou la place du Capitole à Toulouse pourraient être interdites de manifestation de manière générale. Enfin, le gouvernement annonce de possibles poursuites pénales contre des porte-parole (de fait) de mouvements tels que les Gilets jaunes, en annonçant qu’ils et elles seront traités personnellement comme des instigateurs de violences commises dans les mobilisations auxquelles ils sont liés.
Autant de mesures qui constituent une menace supplémentaire sur nos libertés… mais qui ne nous empêcheront pas de manifester.
Bertold du Ryon