Publié le Lundi 20 septembre 2021 à 14h37.

Zemmour et l'extrême droite en continu sur les chaînes d'infos

Le pluralisme politico-médiatique, il fonctionne, qu’on se le dise… même chez Bolloré, le pantagruléique groupe médiatique, qui, après son entrée dans « Europe 1 » (qui a déclenché une grève de la rédaction), s’apprête justement maintenant à mettre la main sur « Le journal du dimanche » et « Paris Match ». Tant que ça concerne les débats qui déchirent la droite et l’extrême droite… ! Sur CNews, chaîne phare du groupe, là où les uns défendent bec et oncles la candidature (officiellement non encore annoncée…) du chroniqueur suspendu par le CSA, Eric Zemmour, les autres défendent un certain œcuménisme à l’extrême droite.

C’est ainsi que le 14 septembre, alors qu’Olivier Dartigolles, ex-porte-parole du PCF – qui, pour des raisons insondables, se prête au jeu du pseudo-débat sur la chaîne – critiqua le plan de Zemmour de faire quitter le territoire français à tous les « non assimilés », l’animateur Pascal Praud vola ouvertement au secours du candidat-qui-n’en-est-pas-encore-officiellement. Dans le style : bé non, bé non, voyons, vous n’avez pas compris, ce n’est pas si grave que ça, quand il parle des « non assimilés », Zemmour ne souhaite finalement renvoyer que les lourdement condamnés, hein, faudra-tout-de-même-pas-déformer-sa-pensée. Ce à quoi répondra Ivan Rioufol, l’indécrottable commentateur extrême-droitier du « Figaro » et ailleurs, qu’il ne faudra tout de même pas perdre de vue que Marine Le Pen, aussi, était finalement très bien. Eric Zemmour venait de prétendre sur sa nouvelle chaîne YouTube de non-officiellement-candidat que, grâce à sa présence dans la campagne-à-laquelle-il-ne-participe-pas-encore-officiellement, la future élection présidentielle allait la première qui allait porter sur LE sujet important à ses yeux, : l’immigration, « la disparition de notre peuple » et autres Grands-remplacements. C’était le moment, pour Rioufol, de mettre une mine grave et de rappeler que, tout de même, le Front National devenu RN faisait dans le genre « depuis quarante ans », et qu’il faisait ça – on comprenait aisément que tel était le point de vue de Rioufol – fort bien.

Tout cela promet un beau de débat d’obsédé-e-s de divers bords, l’extrême droite ayant plusieurs candidatures au feu ; une partie de la droite dite « républicaine » ne manquera peut-être pas d’y ajouter son grain de sel, non plus. Déjà Eric Ciotti, le très droitier député de Nice, a-t-il déclaré le 05 septembre 21 qu’en cas de second tour opposant Emmanuel Macron et Eric Zemmour – scénario en attendant hautement improbable - , il allait voter pour, vous l’aurez deviné.

Eric Zemmour déroule ses propositions, qui sont effectivement celles habituelles du FN devenu RN, en pire (en tout cas dans l’affichage, le fond étant largement le même). Zemmour entend ainsi publiquement faire interdire les « prénoms musulmans et étrangers », et vive le droit à la vie privée et familiale…, et salit la mémoire des victimes juives de Mohamed Merah tués en mars 2012 à Toulouse. Ces enfants n’ont-ils pas été enterrés en terre étrangère (en l’occurrence en Israël) ? Quel piètre attachement à la patrie française, de la part de leurs proches ! Le propos aura choqué jusque dans les rangs conservateurs. Le même non-encore-candidat s’inscrit dans une vision nettement complotiste lorsqu’il prétend, lors d’un déplacement de campagne-qui-n’en-est-pas-encore-une à Aix-en-Provence, les 30 et 31 août (sur invitation d’un chef d’entreprise proche de François Fillon), qu’il n’y avait pas de « délinquance » dans les quartiers populaires mais que tout était « djihad ». Sous-entendu : tout, absolument tout appartient à un grand plan machiavélique, et s’il existe des transgressions de la loi dans les quartiers populaires, c’est qu’en réalité, les musulmans cherchent à faire peur aux populations terres pour les chasser et remplacer. CQFD. L’écrivain Renaud Camus (condamné le 21 avril 2000 à retirer des passages antisémites d’un livre) a développé exactement cette idée, mot pour mot, le 18 décembre 2010 aux « Assises contre l’islamisation de nos pays » organisées par la mouvance identitaire. Lui, au moins, a été définitivement condamné pour ces délires, en 2015 par la Cour d’appel de Paris.

Le RN – a-t-on souvent supposé – pourrait choisir de jouer le rôle du « modéré » à côté des élucubrations de Zemmour, pour en tirer un avantage stratégique dans le cadre de la pré-campagne électorale qui a commencé. Il n’en rien, en tout cas jusqu’ici. Lors du lancement officiel de sa campagne présidentielle, le 12 septembre à Fréjus, Marine Le Pen a consacré l’essentiel de son discours au verbiage sur les obsessions classiques du parti : l’immigration, l’islam, l’insécurité et les prétendus liens intrinsèques entre les trois thèmes. Elle aura ainsi fustigé les « narco-cité talibanisées » que seraient, à l’en suivre, certains quartiers populaires en France, les comparant à l’Afghanistan… Une vision d’hoorreur dépeinte par la candidate alors que celui qui la remplacera maintenant à la tête du parti, Jordan Bardella, a trouvé, le 29 août sur BFM TV, que les Talibans étaient très bien pour la population afghane, puisque (selon lui) « 99 % du peuple afghan souhaite l’application de la Charia ». Tout cela, évidemment, pour ne pas accueillir des réfugié-e-s afghans et afghanes qui cherchent maintenant par tous les moyens à fuir le régime des Talibans.-

Le principal désavantage stratégique de la candidature Zemmour, qui finira probablement par la cantonner à un électorat limité, réside dans l’absence de tout discours social. Ce qui se comprend aisément lorsqu’on connaît les patrons ultra-libéraux qui l’entourent (Philippe Izraelewicz, ex-élu RPR qui court désormais les plateaux TV pour Zemmour) ou le financent (Charles Gave, dont la phobie aux fonctions sociales de l’Etat tourne à l’obsession maladive). Zemmour ne promet, au fond, aux salarié-e-s qu’augmentation du temps de travail et de l’âge du départ à la retraire, combinées à une vague annonce de « réindustrialisation de la France ». Le FN devenu RN, à l’époque de Jean-Marie Le Pen dans les années 1980, défendait une vision comparable mais s’est converti – depuis les années 1990 et la chute de l’URSS qui lui faisait miroiter une « mort de marxisme », l’orientant vers une OPA politique sur les classes populaires – à un discours se voulant « national et social ». Or, là où sa candidate pourrait trouver un intérêt tactique de se démarquer de Zemmour en se montrant « recentrée » et tournée vers les questions sociales, elle choisit jusqu’ici de chasser sur les mêmes terres que Zemmour. Un choix qui trahit sans doute la préoccupation d’assister à une fuite du noyau dur militant vers le « camp Z », mais qui pourrait ne pas être le plus intelligent à plus long terme.

En attendant les suites de part et d’autre, Eric Zemmour partira, en même temps que Marion Maréchal – la nièce et rivale de sa tante de candidate -, en Hongrie sur invitation du régime : pardon : du gouvernement de Viktor Orban. Les deux assisteront, les 23 et 24 septembre, à un colloque sur la « démographie » pour y parler homoph.., pardon : « famille ». Un événement qui montre à la fois la proximité des divers courants de l’extrême droite, mais aussi les rivalités et dissonances stratégiques au sein de son principal parti.