Publié le Mercredi 19 avril 2023 à 18h06.

« C’est le retour d’une sorte de triage entre “bons” et “mauvais” patients »

Entretien. Infirmier en psychiatrie depuis quatorze ans, Charlie Mongault, militant SUD santé-sociaux au CHU de Tours et membre de la commission psychiatrie de cette fédération 1, explique les conséquences du manque de moyens pour la psychiatrie publique.

Dans son discours aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021, Olivier Véran, ministre de la Santé, déclarait : « nous allons donner à la santé mentale et à la psychiatrie la place qui leur revient, une place à la hauteur de l’enjeu pour le quotidien des Français ». Un an et demi plus tard, quel bilan peut-on tirer de ces annonces ?

Depuis la grande agitation gouvernementale des Assises de la santé mentale, rien n’a changé. C’était juste des effets d’annonce comme chaque fois que le gouvernement prend la parole sur un sujet majeur : psychiatrie, écologie, même combat. Au contraire, la grande nouveauté imposée par ce gouvernement, c’est le changement de financement qui après plusieurs années de retard doit entrer en application en 2023. Le financement du public et du privé sont désormais alignés, ce qui ne tient pas compte des missions particulières du service public. Surtout, ce financement se fait désormais en fonction de l’existence ou non de projets « innovants ». Il y a une injonction à l’innovation qui ne tient aucun compte des besoins de fonctionnement courant des services. 

En quoi le soin psychique est-il particulièrement attaqué aujourd’hui ?

Il serait facile d’évoquer la privatisation rampante de la psychiatrie, mais quasiment tout le monde connaît parfaitement ce processus à l’œuvre. Ce qui est plus spécifique à la psychiatrie, c’est la volonté d’en finir avec la psychiatrie publique de secteur qui s’est mise en place dans les années 1960. Elle était marquée par la volonté de sortir les soins aux malades mentaux des asiles en s’intégrant à la société, au plus près de la vie des gens. Elle faisait reposer l’organisation de l’ensemble des soins (prévention, gestion de la crise et soin de suite de crise) sur une seule et même équipe publique pluridisciplinaire travaillant ensemble sur un secteur géographique. Cela permettait à la fois d’assurer les soins lors des hospitalisations complètes (à l’hôpital), mais aussi à l’extérieur dans les centres de consultation ou des lieux de soins ambulatoires dans les villes et les quartiers (centres médico-psychologiques, hôpitaux de jour…).

L’attaque menée actuellement touche les moyens mis à disposition de la psychiatrie. Elle se fait selon une orientation idéologique bien précise de segmentation du soin. Cela se traduit par la multiplication de propositions de soins hyper­spécialisés, avec des équipes dédiées à une seule problématique (comme la prévention du suicide ou des soins dédiés au psycho­traumatisme). Cette stratégie semble à première vue une évidence et frappée au coin du bon sens. Elle a en réalité des effets pervers graves et nombreux. 

Le développement des nouvelles structures se fait au détriment de la psychiatrie publique généraliste sectorisée. Au niveau des moyens, on déshabille Pierre pour habiller Paul. Et on prive également les équipes de psychiatrie généraliste des savoir-faire de professionnelEs travaillant désormais uniquement dans les équipes spécialisées. C’est pourtant un moment où leur présence dans les services serait indispensable pour transmettre leur savoir et leur expérience aux nouveaux professionnelEs. Ceux-ci se retrouvent ainsi souvent démunis et sans soutien face aux cas complexes qui arrivent dans les unités « non spécialisées ».

Il s’opère, de fait, une sélection des patientEs sur des critères d’entrée restrictifs. C’est le retour d’une sorte de triage entre les « bons » et les « mauvais » patientEs. Lorsqu’on sait l’intersectionnalité entre la maladie mentale et toutes les problématiques politiques et sociétales, comment fait-on avec les personnes qui ne « rentrent pas dans les cases ? »

La situation des unités de secteur devant assurer un fonctionnement 7 J / 7 avec, 24 h / 24, avec un nombre de patientEs de plus en plus nombreux, avec des équipes insuffisantes et fragilisées, manquant de professionnelEs expérimentés, devient critique.

Le summum de la perversité de ce système se retrouve lorsque les unités spécialisées après avoir appliqué la prise en charge définie pour une problématique réadressent les patientEs vers la psychiatrie de secteur pour la poursuite de la prise en charge globale, alors même qu’elle se retrouve sous-dotée pour pouvoir mener à bien les soins.

En 2018, les luttes emblématiques qui avaient eu lieu notamment à Sotteville-lès-Rouen, au Havre et à Amiens avaient laissé espérer un « printemps de la psychiatrie ». Où en sont aujourd’hui les résistances et les mobilisations ?

Comme dans les autres secteurs de la santé, la période du Covid est venue mettre un frein aux mobilisations massives qui avaient tendance à se multiplier. Des luttes et résistances continuent à voir le jour d’un établissement à l’autre. Ce fut le cas pendant un an et demi dans mon établissement, au CHU de Tours, où un projet architectural de regroupement des différents sites d’hospitalisation a servi d’excuse à la direction pour supprimer 84 lits. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. À la suite des mobilisations évoquées, un collectif large s’est monté, justement nommé « le printemps de la psychiatrie ». De mémoire de collègues, cela faisait bien longtemps qu’une mobilisation ne s’était pas basée sur le refus catégorique de la dégradation de la qualité des soins. Ce collectif est toujours actif. Comme tous les secteurs qui se battent pour le progrès social, la question est de savoir comment articuler les luttes locales avec un niveau global.

Propos recueillis par J.C. Laumonier