Publié le Vendredi 19 février 2021 à 15h28.

Crise sanitaire, crise écologique, crise globale, inégalités Nord/Sud

La pandémie met en lumière la dépendance des humains à l’égard de la nature, dont ils font partie. La santé évolue au sein des écosystèmes et ces écosystèmes eux-mêmes sont soumis à des changements rapides.

 

Les 50 dernières années ont vu une transformation radicale. Aujourd’hui la plus grande partie, et de loin, de la biomasse globale des vertébrés est constituée du bétail, puis vient la part humaine. La faune sauvage ne représente qu’une toute petite partie. C’est dans la faune sauvage, là où il y a la plus grande diversité génétique, que se trouve tout le pool génétique des virus et des agents pathogènes. Mais la pression de la sélection naturelle pousse les pathogènes à aller vers le bétail (la biomasse la plus importante) puis vers l’espèce humaine.

Après l’épidémie du SRAS en 2002, qui était déjà un coronavirus, les conclusions d’une série de scientifiques ont été traduites dans des rapports officiels. Deux notamment présentés à l’Assemblée nationale en 2005 et 2009, qui pointaient la grande probabilité de voir se répéter une nouvelle épidémie comme celle du SRAS, provoquée par un virus d’origine animale qui saute la barrière des espèces et se répand au sein de l’espèce Homo sapiens. En 2018, l’OMS avait dressé une liste des agents pathogènes connus qui font peser des menaces sanitaires sur le globe. Et elle y avait inséré une maladie X, jugeant probable l’apparition d’un pathogène inconnu, capable de provoquer une épidémie aux conséquences très graves. L’OMS estimait que ce nouveau pathogène serait de type coronavirus. Comment en est-on arrivé à ce scénario pourtant prévu ? Que nous dit la crise sanitaire ? Quelles en sont les causes ? Quelles solutions ?

 

La crise sanitaire mondiale

Alors que le développement des connaissances permet d’avoir des capacités d’anticipation énormes, la population mondiale est infectée par un virus, et soumise ensuite à des contraintes plus sécuritaires que sanitaires, provoquant des désastres sociaux et le désespoir dans de nombreuses catégories de populations. Les gouvernements, qui semblent diriger en direct depuis des bunkers connectés aux capitalistes décideurs du monde, laissent les entreprises pharmaceutiques attendre qu’un marché soit porteur pour lancer les recherches. Ils sont donc incapables de protéger les populations. D’autant qu’ils ont appliqué l’austérité aux budgets sociaux, organisé la casse de la Sécurité sociale, la mise au pain sec des services publics, en particulier dans les hôpitaux, ont tracé la voie des politiques répressives et infantilisantes nécessaires à la mise sous cloche de la vie collective. Le principal pour eux étant de faire tourner l’économie au service des profits. Tout est donc en place pour que la pandémie Covid-19 poursuive sa trajectoire.

 

Lien entre les pandémies et la dégradation de l’environnement

Les épidémies sont apparues, au Néolithique, quand les humains ont pratiqué l’élevage, domestiqué des animaux pour se nourrir. Le contact avec les virus, bactéries, parasites s’est établi. Mais depuis quelques décennies, les épidémies se multiplient sous la pression du développement productiviste capitaliste qui modifie, appauvrit, altère ou détruit les milieux naturels, favorisant ainsi le rapprochement des virus avec les humains. Toutes les maladies comme le sida, le zika, la peste porcine, la grippe aviaire, le chikungunya, le SRAS-1, en 2002, puis maintenant le SRAS-CoV-2, sont nées dans des écosystèmes naturels détraqués, agressés, ou dans des élevages industriels.

 

Environnement dégradé et capitalisme

Quand on étudie les pandémies, on trouve toujours les mêmes caractéristiques qui facilitent les zoonoses (passage d’un pathogène d’un animal à un humain) et modifient voire rompent la pathocénose (l’état d’équilibre des maladies à un moment donné de l’histoire et dans une société donnée – concept élaboré par Mirko Grmek, médecin et historien).

C’est la façon dont Homo sapiens occupe le monde, sous la férule du capitalisme, qui est à questionner. En effet, le mode de production mais aussi de déplacement, l’organisation du commerce et le tourisme de masse, le défrichage et le déboisage qui sont au cœur de la crise écologique, favorisent la circulation des pathogènes et leur transmission aux humains.

Plusieurs éléments de la crise écologique majeure que l’humanité traverse sont en cause dans les pandémies :

• Le réchauffement climatique, en déstabilisant de manière brutale les écosystèmes, participe à la baisse de biodiversité, et favorise l’installation de nouvelles espèces et donc de leurs parasites. De plus la fonte du permafrost risque de libérer des bactéries ou des virus anciens.

• L’industrie de la viande qui est au cœur du processus d’émergence des zoonoses. Dans le secteur de l’élevage, la disparition des espèces domestiques locales au bénéfice d’un tout petit nombre d’espèces conduit à une standardisation génétique qui favorise la transmission des pathogènes. L’élevage intensif, et ses mauvaises conditions d’hygiène, facilite la propagation des virus, crée des « ponts » génétiques vers Homo sapiens. Par exemple, les virus de la grippe aviaire, hébergés par le gibier d’eau, font des ravages dans les fermes remplies de poulets en captivité, où ils mutent et deviennent plus virulents. La croissance de la population et l’extension des régimes carnés ont fait exploser la demande en protéines animales (viande, œufs et lait). L’industrialisation de la production animale qui répond à cette demande croissante, et incite à l’augmenter encore, s’accompagne de l’agrandissement des exploitations et de la standardisation des élevages intensifs.

• Le changement dans l’utilisation des terres, la déforestation, les zones humides asséchées, l’artificialisation et l’extractivisme font disparaître ou fragmentent les habitats naturels de la faune sauvage contraignant l’hôte traditionnel du pathogène (la chauve-souris par exemple) à se déplacer et à se trouver en contact direct et nouveau avec des populations humaines et des élevages.

• L’agriculture formatée aux cultures intensives et uniformes, hors de leur aire écologique, grâce à des procédés artificiels (amendements, produits chimiques) détruit non seulement les écosystèmes locaux, mais bouleverse les coévolutions ancestrales entre les virus, les mammifères et les humains.

 

Ces marqueurs du mode de production capitaliste produisent eux-mêmes des facteurs aggravants :

• La chute de biodiversité. L’écologie des maladies infectieuses montre que la réduction du nombre d’espèces favorise l’apparition de nouveaux pathogènes, accélère les zoonoses et augmente les risques d’épidémie. Car moins de biodiversité c’est moins d’hôtes compétents pour accueillir le virus, et donc empêcher l’effet de dilution de la transmission. 10 espèces au lieu de 100 dans un écosystème favorisent la circulation des pathogènes.

• L’uniformisation des paysages. Une espèce contaminée peut plus facilement contaminer si aucune autre espèce ne fait barrière. Par exemple les immenses plantations de palmiers à huile qui offrent un refuge aux chauves-souris chassées de leur habitat par la déforestation. Leurs déjections se répandent dans les élevages de porcs industriels.

• La destruction brutale d’écosystèmes, comme la déforestation, conduit des espèces « réservoirs à virus » à se trouver en contact direct avec des populations humaines concentrées. Les derniers virus, sida, SRAS, Nipah, Ebola, portés par des espèces animales chassées par la déforestation, ont dû trouver d’autres niches, se sont rapprochés des humains. Notons que les populations anciennes, d’avant le Néolithique, et les populations dites « autochtones » vivant au contact et par la faune sauvage ne sont pas ou n’étaient pas sensibles à ces pathogènes. En effet, fortement soumises à la sélection naturelle, peu ou pas concentrées et ayant longuement coévolué avec leurs espèces proies et donc leurs pathogènes, elles étaient elles-mêmes très protégées.

• La concentration de populations humaines, dans de mauvaises conditions de vie et d’hygiène dans ces zones de « ponts », notamment dans les pays d’Asie du Sud-Est.

• L’augmentation exponentielle de la mondialisation des échanges humains et commerciaux. Pour la grippe aviaire, il est révélateur de constater que le virus a emprunté les voies commerciales (d’est en ouest) et non les routes de migration des oiseaux porteurs naturels du virus. Comme le virus de la grippe espagnole a emprunté les routes de la guerre, celui de la fièvre jaune les voies de la colonisation des Conquistadors.

• L’augmentation de la population humaine qui est passée de quelques centaines de milliers d’individus à 7 milliards. Il serait contre-productif et faux, sans parler de l’aspect immoral, d’incriminer la démographie humaine et d’en déduire, en suivant des logiques néo-malthusiennes, que les pandémies « font le ménage ».

Contre-productif car c’est justement le développement des instincts sociaux et la capacité d’aide et de soutien aux plus « faibles » qui est à l’origine du succès évolutif d’Homo sapiens. Faux car il n’y a pas d’augmentation exponentielle de la population humaine. Les démographes prévoient un accroissement démographique jusqu’à 9 milliards d’individus puis un recul de cet accroissement et une annulation au milieu du siècle (adapté de Michel Husson, Sommes-nous de trop ?).

 

C’est bien la façon dont l’espèce humaine habite son environnement qui est en cause et cela nous donne du coup aussi les clés pour agir. Non pour supprimer les maladies et les pathogènes, mais pour en réduire de manière importante les impacts. Car les virus ne sont pas nos ennemis.

Vivre avec les virus

Chaque humain abrite en lui une biocénose (communauté vivante) qui lui est propre. Nous hébergeons en nous un plus grand nombre de bactéries et de virus que nos propres cellules constitutives.

Les virus ont évolué pour trouver des hôtes, condition de leur survie. Le génome de l’hôte a évolué pour en freiner l’expansion. C’est la coévolution, constitutive du vivant. Si ces micro-organismes existent dans chaque individu de chaque espèce, c’est que la sélection naturelle ne les a pas éliminés, donc qu’ils ont trouvé leur place. De longues coévolutions conduisent à ce que certaines espèces soient des « réservoirs » à virus. Ceux-ci ne sont plus (ou à la marge) pathogènes pour l’hôte, mais vivent avec lui en permanence. On suppose que lors de la 5e grande crise d’extinction (il y a 66 millions d’années), des virus ont littéralement « trouvé refuge » chez de nouveaux arrivants, comme les chauves-souris. C’est certainement pour cette raison que chauves-souris et oiseaux sont souvent impliqués dans les dernières maladies virales émergentes (SRAS, Ebola, Nipah, etc.). Bactéries et virus font partie du vivant. Il est donc stupide de vouloir, comme l’a dit Macron, mener une guerre au virus. De plus ils peuvent apporter des avantages à l’hôte. En modifiant son génome, en participant à ses défenses immunitaires, ils l’aident à assurer ses capacités de survie face à des changements brutaux dans les écosystèmes. Mais les virus ne maîtrisent pas la lutte des classes et attaquent de façon inégalitaire.

Le coronavirus révélateur des inégalités

L’épidémie a creusé les inégalités dans les pays où les « derniers de cordée » se sont retrouvé les premiers de corvée et les premiers touchés, mais aussi entre les pays du Nord et les plus vulnérables, au Sud, là où les services publics sont peu développés, où les populations souffrent d’un manque de soins ou d’insécurité alimentaire et de malnutrition. Près de 170 millions d’habitantEs, privés de travail, contraints comme en Inde de fuir les mégalopoles où un tiers de la population s’entasse dans des bidonvilles insalubres, sans eau courante, se retrouvent dans l’extrême pauvreté. Les pays du Sud, soumis aux politiques des institutions mondiales, accablés par les dettes pour la plupart odieuses ou illégitimes, entravés par le ralentissement des économies, ne s’en sortiront pas seuls. Il n’est pas surprenant de constater que plus les pays ont une protection sociale solide, meilleure est la résilience des populations. Cette constatation devrait imposer les solutions pour agir. Mais l’OMS tributaire des États, n’a pas engagé de programmes de recherches internationaux sur les moyens de prévenir et traiter les maladies virales. Alors qu’elles devraient pouvoir imposer une gouvernance mondiale pour aider tous les pays à combattre la pandémie, à égalité de moyens, elles ne font que noter les inégalités entre les pays, dans une impuissance criminelle, laissant les multinationales pharmaceutiques faire leur beurre dans les « pays riches ».

En conclusion

Le système capitaliste provoque, aggrave les causes des pandémies qui sont au cœur d’un rapport de prédation à notre environnement. Aucune solution viable sans sortie du capitalisme. Nous avons besoin d’une société écosocialiste, non productiviste, car il y a urgence pour produire moins, transporter moins, partager plus, prendre soin de nous et de la Terre.

 

Des propositions alternatives :

• Limiter au maximum les risques par un système économique non destructeur pour les écosystèmes et qui laisse la place à des milieux naturels moins ou non anthropisés, avec en priorité la protection des forêts tropicales et équatoriales, qui associe la prise en compte des impératifs sociaux et écologiques et détermine les productions et activités nécessaires.

• Mettre fin aux élevages industriels et à l’agriculture intensive. L’alternative est un système agricole plus diversifié et complexe constitué d’une mosaïque de polycultures et élevages locaux.

• Diminuer de manière drastique les « échanges » inutiles en termes d’intérêt collectif.

• Décarboner l’économie pour stopper le réchauffement climatique.

• Revoir profondément les modalités du tourisme, en particulier du tourisme de masse et des déplacements.

• Investir massivement dans un système de santé communautaire et des hôpitaux publics : embauche massive de personnel, réouverture de lits, achat de matériel (en particulier de réanimation), formation du personnel, gestion démocratique des hôpitaux publics en donnant du pouvoir au personnel, création de centres de santé.

• Mettre l’industrie pharmaceutique, la recherche, les médicaments, les vaccins, les brevets sous contrôle public. Ce qui implique, dans l’immédiat, de réquisitionner les entreprises et les chaînes de production. C’est la seule façon d’imposer la production de médicaments et de vaccins sûrs, fiables et gratuits.

• Développer des outils de gestion démocratique d’une crise sanitaire.

Ces outils restent à inventer : collectivement et démocratiquement !

On pourrait imaginer mettre en place un conseil scientifique travaillant en collaboration avec un conseil citoyen (composition, modalités de désignation de ces deux conseils à inventer, responsabilités à préciser, il faudrait également prévoir les modalités du contrôle de telles structures) avec des porte-parole informant quotidiennement et honnêtement le public, via des médias non commerciaux, de l’évolution des connaissances (ce qui est connu et ce qui reste encore inconnu), et expliquant le pourquoi des mesures sanitaires proposées voire organisant des débats (de vrais débats !) télévisés. Il s’agirait donc de faire appel à l’intelligence, à la solidarité, à la responsabilité et cesser de recourir à la peur, à l’infantilisation et aux méthodes policières pour faire respecter les mesures sanitaires. Ce pourrait être un moyen de restaurer la confiance envers les éluEs, les scientifiques, les journalistes,

préalable indispensable au respect des mesures barrières et sans doute aussi un moyen d’éviter les polémiques (action de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine, port des masques non obligatoire quand il n’y en avait pas, obligatoires et payants quand il y en a, opposition entre les FFP2, FFP3, en tissu…)

• Réduire massivement le temps de travail, construire un projet global de société qui donnera toute sa place au temps libre et transformera profondément la répartition des tâches et les rapports entre les femmes et les hommes.

 

La santé est l’affaire de tous et de toutes. Et là non plus, pas question de laisser le marché décider pour nous.