Entretien. Après le rejet le 31 mars dernier par le Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant la contention en psychiatrie, nous nous sommes entretenus avec Mathieu Bellahsen, psychiatre. Il publie en août prochain aux éditions Libertalia un livre sur le sujet : « Abolir la contention et le système contentionnaire ».
Le Conseil constitutionnel vient de rejeter deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant la contention en psychiatrie (enfermement dans des chambres d’isolement, avec juste un matelas par terre, attachement par des sangles aux pieds, poignets et abdomen). La législation actuelle est pourtant selon toi insatisfaisante ?
Depuis des années, le gouvernement refuse un débat de fond sur la réduction, voire l’abolition des pratiques d’entraves, au premier rang desquelles se situe la contention mécanique. Pour ne parler que de la contention, cette pratique traumatise les personnes qui y sont soumises, voire créent des reviviscences traumatiques d’événements violents. Pour les soignantEs, la contention peut provoquer à la fois une grande souffrance au travail et/ou une banalisation, voire un sadisme délétère. La question qui n’est pas posée, c’est la légitimité de ces mesures en matière de soins. En octobre 2021, le ministre Véran disait à l’Assemblée nationale que l’isolement et la contention sont « thérapeutiques » ! Des soignantEs soutiennent également cette position. Or le Contrôleur général des lieux de privation de libertés, le Conseil de l’Europe, la littérature scientifique internationale s’inscrivent en faux face à ces déclarations. Par ailleurs, comment expliquer la recrudescence de ces pratiques alors qu’en France pendant quelques décennies de nombreux services s’en passaient ? Et l’argument de la pénurie n’est pas suffisant pour tout expliquer. L’imaginaire sécuritaire, la peur des patientEs, la banalisation de la violence auprès des patientEs et les complicités institutionnelles sont aussi en cause.
Dans ce contexte, le contrôle judiciaire des mesures d’entraves est une bonne chose car il peut servir de contre-pouvoir à l’intérieur de l’institution psychiatrique. Pour autant, encadrer ces mesures sans se poser la question de leur réduction conduira fatalement à leur inflation. Tant que la procédure est respectée, on peut attacher !
Par ailleurs, la dernière décision du Conseil constitutionnel conclut à une conformité mais reste problématique dans son argumentation. Étant donné que les personnes isolées et attachées peuvent faire des demandes de réparations financières pour les isolements et contentions abusives, cela revient à dire que le respect des libertés fondamentales peut être bafoué au motif d’une réparation financière d’après-coup !
L’idée selon laquelle la contention serait une modalité du soin est aujourd’hui largement répandue. Ce n’est pas ton avis ?
Non, pour moi il s’agit d’un anti-soin. Dans le cadre du travail d’écriture du livre qui paraîtra en août prochain, j’ai reçu des témoignages directs de personnes qui ont été contentionnées. Que disent-elles ? Que la contention est une humiliation, un traumatisme voire une retraumatisation de violences physiques et psychologiques déjà subies par le passé (inceste, violences sexuelles, agressions physiques, maltraitances psychologiques, etc.). La contention aggrave la méfiance envers les soignantEs et décontenance la relation thérapeutique à construire. Par ailleurs, comme je le raconterai au travers de vignettes vécues, la contention peut produire du sadisme du côté des soignantEs et de la banalisation par les directions hospitalières et les tutelles pour qui, la plupart du temps, l’important est que l’ordre règne. Dans mon exercice de psychiatre de secteur, je n’ai jamais attaché de patientEs. Dans le pôle de psychiatrie dont j’étais chef nous avions proscrit cette pratique. Pour que cela tienne, il faut un travail institutionnel généralisé au secteur, une limitation permanente des penchants abusifs du corps psychiatrique qui va des tutelles et directions hospitalières en passant par les psychiatres et les soignantEs. La liberté est toujours un combat et on voit à quel point la société peut sentir le renfermé en ce moment, ce qui se traduit par plus de murs, de chambres d’isolement, de contention et de médicamentations forcées en psychiatrie. Et par un penchant répressif envers les équipes qui soutiennent une psychiatrie critique.
Pourquoi la question de la contention occupe-t-elle une place centrale aujourd’hui ?
Elle est la face émergée de ce que j’appelle le système contentionnaire. Dans la Révolte de la psychiatrie, nous avions montré avec Rachel Knaebel que cette pratique était revenue insidieusement dans les hôpitaux sans que l’on puisse dater exactement son retour majoritaire1. Aujourd’hui, 85 % des lieux attachent et isolent de façon régulière alors que les 15 % de lieux qui font autrement sont décrédibilisés par les premiers. Le renversement de la charge de la preuve indique bien la perversion du système contentionnaire et comment il fait vriller les pratiques au détriment des premierEs concernéEs, les personnes en souffrance psychiques. Par ailleurs, à mesure que l’intérêt des politiques publiques se centre sur la « e-santé » mentale et les gadgets numériques qui développent de nouveaux marchés pour les start-up, cette « dématérialisation » des relations humaines s’accompagne d’une surmatérialisation des entraves mécaniques et physiques. La contention est clairement une question clinique et politique.
Tu expliques qu’il existe des alternatives à la contention en t’appuyant sur d’autres pratiques. Peux-tu en donner quelques exemples ?
La première alternative au système contentionnaire est de reprendre à la racine le symptôme qu’est la contention et de déplier toutes les sangles de ce système. Faire qu’il y ait plus de lieux de prévention et d’accueil pour la souffrance psychique et éviter que les personnes arrivent dans des conditions dégradées aux urgences où elles seront attachées…. Donc refaire une psychiatrie qui soigne et non se contenter d’une cérébrologie faisant porter tous les troubles aux patientEs. En psychiatrie, l’alternative principale à la contention est un travail sur l’ambiance institutionnelle, des réunions avec les personnes en souffrance psychique, des activités thérapeutiques, des soins psychocorporels, une disponibilité importante et un intérêt pour l’existence et l’histoire singulières des patientEs, l’accueil de leur milieu de vie, de leurs familles, de leur monde. Ensuite, il y a des techniques de désescalade. Dans le service, nous pratiquions des enveloppements, il y avait un espace d’apaisement et des temps de club thérapeutique qui permettaient que se tissent d’autres liens, plus transversaux, moins verticaux entre les soignantEs et les patientEs.
Au niveau international, l’Islande a aboli la contention. De nombreuses institutions internationales comme le Comité de prévention de la torture sont abolitionnistes et des associations d’usagerEs et de famille le sont également. Il est regrettable qu’en France, la contention ne suscite que peu d’intérêt comparé à sa gravité dans les pratiques : la contention fait des morts tous les ans notamment par asphyxie. Voulons-nous collectivement poursuivre sur cette voie d’une psychiatrie asphyxiante ?
Propos recueillis par J.C. Laumonier
- 1. Mathieu Bellahsen a déjà publié la Santé mentale, vers un bonheur sous contrôle aux éditions La Fabrique, 2014 et la Révolte de la psychiatrie, avec Rachel Knaebel, aux éditions La Découverte, 2020.