La psychiatrie publique était jusqu’à présent une exception dans le système de santé français. Sous le nom de psychiatrie de secteur, elle mettait à la disposition des patientEs un système de soins public et gratuit, permettant d’assurer sur tout le territoire la prévention, l’accueil, les soins et le suivi des patientEs.
Cette prise en charge était permise par la présence d’une même équipe « pluridisciplinaire »1 sur un territoire d’environ 60000 habitantEs, travaillant dans et hors hôpital. Les centres médico-psychologiques (CMP), les équipes de soins à domicile, les hôpitaux de jour implantés dans les villes et les quartiers donnaient la possibilité de pratiquer, dans la proximité, une psychiatrie « ouverte » en lien avec la cité (familles, médecins, travailleurEs sociaux, éluEs, associations). L’hospitalisation dans le service d’un centre hospitalier n’était, dans ces conditions, qu’une modalité de soin possible pour un temps limité.
Démantèlement du système de soins
Cette organisation a permis de rompre avec l’enfermement derrière les murs de l’asile devenu hôpital psychiatrique. Elle est aujourd’hui en cours de démantèlement. Les lieux de consultations et de soins sur le territoire ferment ou sont regroupés. Il en résulte un retour de plus en plus important des patientEs, faute d’autre solution, vers l’hôpital. La suroccupation entraîne des conditions d’accueil et d’hospitalisation indignes2 et une incapacité des équipes à dispenser des soins de qualité. Les nouveaux modes de financement qui favorisent les projets dits « innovants », au détriment du fonctionnement généraliste des services, ne font qu’aggraver la situation.
Le temps indispensable de l’accueil et de la prise de connaissance de la personne et de son environnement est remplacé par le diagnostic et l’orientation par des « plateformes ». Le suivi avec le temps nécessaire en CMP disparaît faute de moyens. Il n’est nullement remplacé par le forfait de 8 consultations du dispositif « Monpsy », payées à un tarif scandaleusement bas chez unE psychologue libéralE. Dans cette vente à la découpe, les secteurs « rentables » de l’hospitalisation et du soin s’adressant à la clientèle la plus aisée sont confiés au secteur privé lucratif et libéral. La dimension relationnelle du soin s’étiole, avec pour conséquence inévitable la montée de la violence dans les services, souvent seul moyen d’être « entendu » pour le patient, auquel répond le recours à la violence institutionnelle (enfermement, contention).
Le discours convenu sur la « déstigmatisation » du malade mental ne peut cacher le maintien de la législation sécuritaire issue de l’époque Sarkozy, sur laquelle ni Hollande ni Macron ne sont revenus. Ce durcissement autoritaire s’appuie sur les paniques identitaires, exploitées par la droite et l’extrême droite, qui font de « l’autre » étrange ou étranger un danger. La tendance à une psychiatrie « d’ordre public » visant à protéger la société par l’enfermement et le contrôle social au détriment du soin reste d’actualité.
La psychiatrie, « une médecine comme les autres » ?
Le démantèlement en cours du système de soins psychiatriques s’accompagne d’une offensive idéologique qui en fourni la justification. Selon la pensée aujourd’hui dominante, le 21e siècle verrait enfin l’émergence de la psychiatrie comme discipline « scientifique », qui en ferait une « médecine comme les autres » débarrassée des « idéologies » du siècle passé.
Cette opération en réalité très idéologique consiste à réduire, sans démonstration convaincante, ce qu’il est convenu d’appeler « maladie mentale » à des causes essentiellement biologiques et génétiques. La dimension sociale et culturelle de la folie disparaît. Les « troubles psychiques » sont ramenés pour l’essentiel à un « dysfonctionnement » du cerveau et à de mauvais apprentissages qu’il conviendrait de « reprogrammer ».
Cette vision scientiste constitue une régression qui met en cause les approches humanistes du soin psychique et de la folie qui ont accompagné les luttes émancipatrices au cours du 20e siècle. La personne en souffrance n’est plus un sujet ayant des droits, que l’on prend le temps de rencontrer, de connaître et avec qui on élabore un projet de soins. Elle est soumise au bon vouloir d’une science qui l’objective dans ses symptômes.
Cette psychiatrie-là est bien à l’image d’une société libérale autoritaire où les « premierEs de cordée » censéEs savoir ce qui est bon pour l’ensemble de la population entendent imposer aux « gens de rien » les décisions justes et répriment celles et ceux qui y résistent.
J.C. Laumonier
- 1. Comportant notamment psychiatres, psychologues, infirmierEs, éducateurEs spécialisés, assistantEs de service social, aides-soignantEs, ASH, ergothérapeutes, etc.
- 2. Les conditions d’accueil en hôpital psychiatrique sont régulièrement dénoncées dans les rapports de la contrôleuse des lieux de privation de liberté.