Publié le Mardi 14 avril 2020 à 11h57.

Lettre ouverte à unE amiE, à unE syndicaliste, à unE Gilet jaune qui « croit » à l’hydroxychloroquine

Comme moi, tu as découvert avec intérêt les travaux du professeur Raoult de Marseille, qui parlait de l’hydroxychloroquine comme d’une molécule qui avait fait la preuve de son efficacité contre le Covid-19. Et j’ajouterais qui décidait de tester massivement les Marseillais, quand le gouvernement disait que cela ne servait à rien ! Bien sûr j’avais été surpris qu’au lieu de faire des tests au plus prés des habitants, dans les quartiers, les laboratoires, les entreprises, il rassemble parfois au mépris des distances sociales une foule face à son institut. Comme un symbole de l’homme providentiel, du seul contre tous !

« Comme toi, je suis un adversaire des trusts pharmaceutiques »

Mais je connaissais la chloroquine, pour l’avoir déjà prise en prévention du paludisme il y a une vingtaine d’années, quand elle était encore efficace. 100 mg par jour. Mais là, la dose est de 600 mg par jour. À cette dose, les risques de troubles du rythme cardiaque, de mort subite sont importants. Encore plus importants quand l’hydroxychloroquine est associée à d’autres médicaments, qui comme elle « allongent le QT ». Parmi eux l’azithromycine, utilisée dans son protocole. Mais aussi la ventoline que tu utilises contre ton asthme, ou les anti-allergiques contre les pollens qui te pourrissent la vie. Si on ajoute que 20% des patients atteints du Covid-19 en réanimation ont une atteinte du muscle cardiaque, cela fait trois facteurs de risque cardio-vasculaire ! Il allait falloir que l’association soit sacrément efficace pour que la balance bénéfice-risque soit bonne !

Comme toi, je suis un adversaire des trusts pharmaceutiques qui nous ont cent fois donné la preuve qu’ils préfèrent leurs profits à notre santé. En 2001, ils mettaient en procès l’Afrique du Sud qui vendait 30 dollars des génériques contre le Sida, qu’eux vendaient 3000 dollars. Alors je suis allé lire non pas la presse médicale sponsorisée par les labos, mais la revue Prescrire. Une revue de pharmacologie, indépendante, financée uniquement par ses abonnés, qui a sorti par exemple le scandale du Médiator. Et là ma déception fut immense pour ton héros ! Parmi les 26 patients qui ont reçu l’hydroxychloroquine, trois patients ont été transférés en réanimation et un un patient est mort. Mais le professeur Raoult a décidé de les sortir de ses résultats, de ne plus les compter ! Aucune évolution de ce type n’est décrite parmi les 16 patients témoins. Faute de groupe témoin recruté selon un protocole semblable et un suivi identique, on ne sait pas si le délai de portage du virus est plus court ou non en l’absence d’hydroxychloroquine.

« Fin de partie pour le Covid » ?

Pire, début mars 2020, le professeur chinois Chen publiait un essai avec deux groupes déterminés par tirage au sort, sans différence majeure de caractéristiques. Chez les 30 patients Covid-19, pas de démonstration d’efficacité de l’hydroxychloroquine. Avec une disparition du virus dans la gorge en quatre jours dans le groupe chloroquine, contre deux jours dans le groupe sans. L’état de santé de certains patients s’étant aggravé, tous dans le groupe chloroquine, l’hypothèse que celle-ci aggrave parfois le Covid-19 n’est pas exclue ! L’hydroxychloroquine est une habituée des fausses bonnes nouvelles. Déjà contre le chikungunya, elle était active in vitro, dans le tube à essai. Mais dans l’organisme, c’est autre chose ! Elle favorisait le développement du virus, prolongeait la fièvre, le portage et la durée des douleurs ! Et contre le coronavirus de 2003, elle n’avait pas montré de réelle efficacité.

De nombreux pays, loin de la polémique française, ont intégré l’hydroxychloroquine à leurs protocoles et recherches. Comme la Suède par exemple, qui vient de l’abandonner. Trop de problèmes cardiaques, pas assez d’efficacité. On est bien loin des déclarations tonitruantes du Professeur Raoult, qui n’hésitait pas à dire « fin de partie pour le Covid » : « La maladie sera bientôt l’une des plus simples et les moins chères à traiter et prévenir, parmi toutes les maladies respiratoires infectieuses. » Plus de 100 000 morts plus tard, la démonstration n’est pas faite !

Alors tu penses que cela marche et moi pas ? Mais non, je te dis qu’il faut faire de vraies études, sur l’hydroxychloroquine, sur les antiviraux, sur le plasma des personnes immunisées, pour connaitre vraiment ce qui marche ou pas, sur qui, à quel moment de la maladie. Mais le professeur Raoult a refusé de les faire, avançant que les études cliniques en double aveugle, contre placebo ou médicament reconnu efficace, sont des machines bureaucratiques, imposées par les labos. Alors là, mon sang n’a fait qu’un tour, car si les études pharmacologiques sont la norme dans le médicament, ce n’est pas parce que l’industrie pharmaceutique l’a souhaité, cela lui coûte des milliards et, au contraire elle souhaite les alléger. C’est parce qu’après les scandales sanitaires des années 1970, et notamment le scandale des bébés sans bras de la thalidomine, un anti-nauséeux mis sur le marche sans études, partout des associations de consommateurs ont imposé ces études, qui malheureusement ont été confiées par les gouvernement aux labos eux-mêmes. Il faut défendre ces études contre l’industrie pharmaceutique, et les rendre indépendantes !

« Le professeur Raoult ne me fait plus rêver »

Climato-sceptique, partisan des OGM, bataillant contre les mouvements féministes, adulé par les complotistes et le milliardaire président Donald Trump, le professeur Raoult reste un grand infectiologue et son hydroxychloroquine doit être testée scientifiquement. Mais il ne me fait plus rêver. Si tu veux t’opposer aux trusts de la pharmacie, en ces temps de pénurie, de foire d’empoigne capitaliste sur la course aux médicaments et aux vaccins, regarde plutôt du côté de l’appel de 61 organisations européennes, dont Médecins du Monde, l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicaments, la revue Prescrire. Des millions d’euros de subventions sont accordées pour la recherche médicale par l’Union européenne, les gouvernements. Mais ces subventions publiques « ne mentionnent aucune garantie que des clauses d’accessibilité financière seront mises en place pour faciliter l’accès au produit », « le financement communautaire n’empêche pas la délivrance de licences d’exploitation exclusives »,  en clair de brevets qui permettront de vendre au plus offrant. « Compte tenu de l’urgence de la santé publique, nous ne pouvons pas permettre une approche de type "business as usual" dans laquelle la dynamique du marché dicte la fixation des prix au détriment de l’accès rapide, et où les considérations financières – plutôt que de santé publique – guident où et quand les produits seront disponibles ». Nos vies valent plus que leurs profits, mais cela ne passe pas par le professeur Raoult.